[1] NdT dans le guide du routard galactique
de Douglas Adams, " 42 " est la réponse ultime à la
question de l’univers et de tout le reste. |
Le problème est que la plupart de ces discussions se
terminent par la conclusion (admise explicitement ou non) que la réponse est
strictement personnelle, dépendante de votre conception du JdR. Il n’y a
probablement pas de réponse universelle à cette question. Toutefois, cela ne
rend aucunement la question moins intéressante. En fait, je crois que, comme
le proverbial "42" de Douglas Adams [1], c'est une situation ou nous
sommes tellement focalisés sur l'obtention d'une réponse que nous n'avons
pas réalisé que cela ne nous aidera peut-être pas, à moins d'examiner et
de comprendre la question.
Je crois aussi qu'en examinant la question nous pouvons réellement arriver à
une meilleure compréhension des nombreuses facettes du jeu de rôles et
proposer un meilleur langage pour le définir et l'analyser. Jetons donc un
œil sur la question. Racontons-nous une histoire ou jouons-nous à un jeu ?
Le premier de tous les problèmes soulevés par cette question est que chaque
alternative a son lot de supporters fanatiques et de détracteurs, ce qui a
abouti à ce que chaque côté s'est vu accoler un stéréotype péjoratif.
"Les conteurs d'histoires" [NdT : " storytellers "]
sont tous présentés comme de prétentieux fans de Vampire, anti-règles,
anti-dés, pro-atmosphère, se complaisant dans leurs angoisses, et qui
définissent le jeu de rôles comme un art dramatique qu'ils utilisent pour se
psychanalyser eux-mêmes. Tandis que les "joueurs" [NdT :
" gamers "] sont des fans de D&D
grosbillisants et immatures, pro-règles, amoureux des dés, anti-atmosphère,
qui n'aiment rien autant que d'éclater des kobolds et voler leurs trésors
dans une tentative pathétique de se sentir un homme. Enlevons donc dès le
début tous ces stéréotypes afin qu'ils n'obscurcissent pas le débat. Le
choix d'un joueur en ce domaine reflète peu, voire rien, de ses autres goûts
en matière de jeu, et aucun choix n'est plus recevable ou amusant que l’autre.
|
Tout au long de cet article, le terme
"joueurs" est utilisé dans un sens inclusif, pour désigner tous
ceux qui sont impliqués dans le jeu, qu'ils soient joueurs ou MJ.
[2] NdT : jeu de mots en anglais entre "Role playing", interpréter
un rôle et "Roll playing" jouer à faire rouler des des dés.
[3] NdT : Jeu deRôles se dit parfois simplement Roleplaying, ce qui désigne
aussi le roleplay : l’interprétation du personnage. |
Qui plus est, en dépit de la formulation de la question,
ce n'est pas un cas où il faut choisir l'un ou l'autre. Ce que nous avons
ressemble plutôt à deux facteurs indépendants qui peuvent être ajouté à
un JdR, à des niveaux variés. La question est lequel des deux est dominant.
Ce n'est pas non plus un choix définitif et qui détermine pour toujours
comment quelqu'un joue. Les joueurs peuvent changer de style aussi facilement
qu'ils changent de jeux. Un style typique émerge souvent mais cela se fait
graduellement, et l'apparition et l'adhésion à ce style se font avec peu,
voire sans, planification consciente.
Nous affinerons donc la question : Est-ce que votre préférence habituelle de
jeu est davantage centrée sur la narration d'une histoire ou sur le côté
ludique ?
Le deuxième problème que nous rencontrons est historique. Il y a dix ans,
avant le mouvement de "l’art du Conteur", cette question était
différente. En général, la question était alors " interprétons-nous
un rôle ou est-ce que nous lançons des dés ? [2]" Cette question
pointe le fait que "histoire ou jeu" ne recouvre pas tout ce qui
définit votre façon de jouer, et que nous devrions peut-être étendre notre
question afin d'obtenir un tableau plus complet. Elle indique aussi que nous
devons définir nos termes : Est-ce que l'interprétation est la même chose
que la narration d'une histoire, ou est ce que "jouer à un jeu"
équivaut à "lancer des dés" ? Nous ne pouvons discuter de cette
question à chaud sans clarifier la terminologie.
La première confusion que nous devons dissiper est que roleplaying est
à la fois le nom de notre loisir [3] et une façon de le mettre en œuvre. En
général, le premier est un terme inclusif, comprenant tous les styles et
n'implique pas que le style de jeu orienté sur l'interprétation -tel que
défini ci-dessous- serait la méthode "correcte". Pour éviter
toute confusion future entre ces termes, je mentionnerai le loisir au sens
large comme "JdR" à partir de maintenant.
Donc, revenons à la définition de nos termes. Comme tout le monde le sait,
définir le mot "jeu" n'est pas une tâche facile. Heureusement,
quelqu'un l'a fait pour nous. L'article de Greg
Costikyan, Je n'ai pas de mots et je dois
créer(ptgptb) n'est pas le seul travail sur le sujet mais c'est l'un des
meilleurs et il est disponible gratuitement sur le web. Je vous recommande
fortement de le lire si vous ne l'avez pas encore fait. Le vocabulaire
critique que développe Greg pour l'analyse et l'examen des jeux est
particulièrement intéressant ; cependant, au regard de mes objectifs, je
n'emprunterai que sa définition.
|
Ceux qui souhaiteraient approfondir la question
de la définition des jeux devraient chercher le travail effectué sur ce
sujet par le philosophe allemand, Wittgenstein. |
Greg définit principalement les jeux par ce qu'ils ne sont
pas : Ce ne sont pas des jouets, puisque les jouets n'ont pas de
structure ; ils demandent au joueur d'inventer ses propres buts, emplois
et restrictions en utilisant les divers aspects du jouet. Un jeu n'est pas non
plus un casse-tête parce qu'un casse-tête n'est pas interactif ; il a été
établi par quelqu'un d'autre et on ne peut "gagner" qu'en arrivant
à sa solution. Un jeu se situe entre ces deux extrêmes : il a des structures
et des objectifs donnés, mais exige interaction et contrôle de telle sorte
que chaque partie est effectivement construite par les actions des joueurs. En
conséquence un jeu n'est pas une œuvre de fiction, ni aucune autre forme
traditionnelle d'art, parce que ces dernières sont des expériences passives,
avec un développement linéaire contrôlé par l'artiste. Les jeux
nécessitent une participation avec des personnages prenant des décisions qui
affectent drastiquement la tournure du jeu.
Sous cette définition cependant, la catégorie "jeu" reste large,
et, en tant que tel ne nous aide pas à clarifier nos termes. Je vais donc
introduire une catégorie de jeux que j'appellerais les "jeux à
récit".
Le terme "récit" ne doit pas être confondu avec l'expression
"art du Conte", sur laquelle nous viendrons plus tard. Ce que je
décris ici sont des jeux qui possèdent une espèce de structure narrative
dans leurs événements internes. De nombreux jeux font partie de cette
catégorie : tous les jeux de plateaux de type wargames par exemple, y
compris les échecs. Les échecs sont une abstraction, mais ils racontent une
histoire : Deux armées se rencontrent sur le champ de bataille, chacune manœuvre
et un côté sort victorieux. Ce que cette définition nous permet, c'est
d'exclure les jeux qui sont purement et complètement abstraits, n'impliquant
aucun concept du monde réel ni aucune sorte de suite d'événements qui
pourrait ressembler à une histoire. De tels jeux comprennent la plupart des
jeux de cartes traditionnels comme le bridge, les jeux d'argent comme le craps
et les jeux de plateaux abstraits comme le morpion.
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Dr Rotwang utilise exactement la même
terminologie lorsqu'il discute la nature du JdR comme forme d'art dans son article(ptgptb) |
J'utilise l'expression "à récit" pour désigner
ces jeux, car ils partagent la même structure narrative littéraire.
Précisément, ils introduisent une progression d'événements qui arrivent
à, par ou autour de, un ou plusieurs personnages centraux. Une telle
définition nous permet de séparer les récits d'autres types d'histoires :
études de caractère, exposés, etc. Comme ils sont centrés sur une
succession d'événements, les récits se prêtent davantage que la plupart
des autres histoires à une séparation entre deux éléments clés : les
personnages, et les événements. Ou plutôt, puisque les événements sont
souvent déterminés par les personnages, entre les protagonistes, les
personnages principaux de l'histoire, avec lesquels le public s'identifie le
plus, et l'environnement, le monde autour d'eux et les gens qui s’y
trouvent, avec lesquels ils interagissent, mais qu'ils ne peuvent entièrement
contrôler.
Ces termes sont importants, car ils ont un lien direct avec les jeux à
récits. En définissant la nature de ces deux éléments et comment ils sont
utilisés par les joueurs, nous pouvons décrire plutôt correctement un jeu.
Habituellement, les joueurs contrôlent les protagonistes, et l'environnement
est contrôlé par les règles. Cependant, en rompant ce cadre, nous pouvons
produire des expériences de jeu très différentes.
Comme exemple, regardons à nouveau les échecs, l'histoire de deux armées en
guerre. Ici, les protagonistes sont manifestement les deux camps opposés.
Notez que quelque chose d'aussi abstrait qu'une force militaire peut toujours
être considérée comme un "personnage" pour les besoins de cette
définition. Maintenant, comme les forces militaires sont les protagonistes
clés, c’est au joueurs de les contrôler. Les joueurs peuvent être
considérés comme étant le cerveau de tout leur camp, contrôlant chacun de
ses mouvements. Il y a cependant des choses que les joueurs ne peuvent pas
contrôler. Premièrement, la nature de la simulation. Les deux forces doivent
s'affronter jusqu'à ce que les conditions de victoire soient remplies, elles
doivent utiliser un ensemble prescrit de pièces et doivent bouger ces pièces
de la manière indiquée. Quand une pièce est capturée, le joueur ne peut
l'empêcher de mourir. Tout ceci peut être vu comme l'environnement, les
règles de l'univers, qui déterminent ce qui arrive aux protagonistes, en se
fondant sur leurs choix.
Pour clarifier davantage, jetons un œil à un jeu qui est beaucoup plus
proche d'un récit : Talisman. Talisman et les jeux comme lui (Dungeon
Quest, HeroQuest, Wizard's Cave et de nombreux jeux sur
ordinateur) sont de proches parents des JdR pour plusieurs raisons. La
principale ressemblance est que chaque joueur contrôle un personnage
individuel ; bien sûr ce sont les protagonistes du jeu. Ici, l'accent est mis
sur les choix et les efforts individuels, et la compétition est moins
directe. Au lieu de cela les personnages courent après la puissance et
interagissent avec des événements aléatoires déterminés par le plateau,
par un jet de dés, des cartes ou une combinaison quelconque de ceux-ci.
L'environnement est défini à la fois par ces éléments aléatoires et par
les règles pour interagir avec eux.
Il y a beaucoup de jeux comme ceux-ci, qui partagent de nombreux traits avec
les JdR. Dans certains, les joueurs travaillent ensemble, se démenant pour
parvenir à remplir les conditions de victoire, se concentrant sur le meilleur
choix à faire sur l'utilisation des ressources. D'autres augmentent l’aspect
stratégique en donnant le contrôle d'une partie de l'environnement à un
autre joueur, afin que les joueurs puissent confronter leur vivacité
d'esprit. A un extrême, les règles peuvent ne faire que préciser la façon
dont l'environnement contrôlé par un joueur interagit avec les protagonistes
contrôlés par un autre joueur. On est alors très proche d'un jeu de rôles
et, de fait, certains jeux de stratégie de cet acabit présentent beaucoup
d'opportunités pour l'interprétation. En conséquence ils seront souvent
utilisés pour introduire les gens aux JdR. Les exemples qui viennent à
l'esprit ici sont des jeux comme Hero Quest et Warhammer Quest.
Ce qui empêche ces jeux d'être considérés pleinement comme des JdR sont
les notions de narration et d'interprétation. Cependant, pour définir
ceux-ci, nous devons définir le style de jeu "lance-dés".
Dans des jeux comme Talisman, le personnage manipulé par le joueur
dispose de quelques règles propres et de statistiques associées. Elles
interviennent en déterminant comment le protagoniste interagit avec
l'environnement. La nature des jeux de stratégie classiques est que le joueur
choisit la meilleure option à sa disposition, en se fondant sur les
caractéristiques du personnage et la situation de la partie, de telle sorte
qu'il puisse remplir une condition de victoire. Même si le personnage est
conçu de sorte que ce choix s’oriente vers un certain type de tempérament
(Par exemple, un Berserker est meilleur en corps-à-corps), tant que la seule
ou au moins la principale considération est l’option la plus profitable,
nous avons du lance-dés.
Non qu'il y ait quelque mal à cela. En fait, le lance-dés constitue une
large partie du JdR comme loisir, et cela se fait souvent en parfaite harmonie
avec une interprétation ou une narration véritables. Cependant, pour les
besoins de notre définition du JdR, quelque chose qui repose entièrement sur
des règles ne peut se distinguer d'un jeu de plateau ou de cartes classique
et, en conséquence, doit être exclu de notre définition. Dans la pratique,
cette exclusion n'est pourtant pas gravée dans le marbre et elle n’implique
aucune considération d’infériorité ; simplement pour les besoins de notre
définition nous devons, à certains moments fixer des limites strictes.
Alors maintenant, quelles sont ces deux choses que nous n'arrêtons pas de
mentionner - l'interprétation et la narration ? Eh bien, comme dit ci-dessus,
si le joueur choisit son mouvement en se fondant sur la meilleure option en
terme de jeu, il fait du lance-dé. Ce qui l’emmène plus loin, c'est quand
le joueur utilise autre chose pour se décider. Les choses que le joueur
pourrait prendre en compte nous permettent de préciser la différence entre
l'interprétation et la narration.
L'interprétation peut être définie comme une tentative de jouer le rôle
d'un personnage. Cela signifie que le joueur essaye de prétendre être
quelqu'un d'autre. Cependant, cette " prétention " peut
être complètement intériorisée, ou représentée uniquement au travers de
la narration des actions du personnage. En d'autres mots, l'interprétation ne
nécessite pas de faire l'acteur de manière expressive ni aucune sorte de
représentation devant un public. L'interprétation ne requiert pas davantage
de jouer une personnalité différente de celle du joueur. Se demander
"Qu'est-ce que je ferais dans cette situation ?", c'est tout
simplement s'interpréter soi-même, ou ce que votre personnalité serait si
vous étiez un pingouin ninja mutant et adolescent [4]. L'interprétation
vient de la réaction à une situation comme si elle était
"réelle" et pas seulement la réaction de quelqu'un assis à une
table recouverte de dés.
La différence entre l'interprétation et l'histoire est que l'interprétation
se concentre uniquement sur les personnages. Dans l'optique
interprétationniste [" roleplay "], les
personnages vivent des événements, et ils en causent, ce qui à son tour
produit des histoires, mais l'objectif de ces événements et de ces histoires
est seulement de fournir une toile de fond pour l’exercice
d'interprétation. Le mouvement narrativiste [" storytelling "]
a déplacé cette emphase sur un autre aspect : au même titre que
l'interprétation, les joueurs et le MJ devraient aussi travailler à rendre
les histoires impressionnantes, intéressantes et bien structurées.
Pour beaucoup, c'était et c'est implicite dans la vision
interprétationniste et effectivement la différence est quelque peu
nébuleuse. Une partie narrativiste va effectivement comporter de
l'interprétation (et vice et versa) ; la différence est que dans certains
cas lorsque les exigences d'une bonne histoire, forte et bien racontée
entrent en conflit avec les exigences d'une interprétation intense et
correcte, c'est l'histoire qui gagne le plus souvent dans une partie
narrativiste. Alors que dans une partie interprétationniste, c'est le
personnage qui tient bon.
Notez que ces définitions s'appliquent tant aux joueurs qu'aux MJ. Les deux
doivent prendre des décisions à différents moments, concernant le facteur
le plus important : les personnages - que ce soient les
personnages-joueurs ou les PNJ- ou l'histoire.
Donc, maintenant que nous avons défini ces termes de jeux à récits, de
lance-dé, d'interprétation et de narration d'histoire, nous pouvons
maintenant les utiliser pour définir un JdR.
Retournons alors à notre jeu Talisman. Est-ce un JdR ? Non, car les
joueurs font leurs choix en se fondant uniquement sur des éléments
stratégiques. Mais si nous décidions que les joueurs arrêtent de se
préoccuper de la victoire et commencent à prendre leurs décisions en se
fondant sur l'interprétation et la narration aussi bien que sur des
considérations techniques de jeu ? Est-ce un JdR ? Non, car il n'y a pas de
MJ : l'environnement est toujours contrôlé par les règles et non par une
personne. Alors que se passe-t-il si nous ajoutons un joueur de type MJ, qui
contrôle quels événements les joueurs rencontrent - est-ce un JdR ? Non,
car le MJ risque de toujours faire ses choix en se fondant uniquement sur les
règles et la stratégie. A la fois les joueurs ET LE MJ doivent prendre leurs
décisions en se fondant sur l'interprétation et la narration pour que cela
puisse être considéré comme un JdR.
|
Pour beaucoup plus d'informations sur la
définition du JdR, voyez le numéro 2. |
Ceci nous fournit alors une définition d'un JdR. Un JdR
est un jeu à récit, dans lequel un ou plusieurs joueurs contrôlent
principalement des protagonistes individuels qui ont un contrôle limité de
l'environnement, tandis qu'un autre joueur (appelé le MJ) contrôle
l'environnement et a un contrôle limité sur les protagonistes. Les règles
détaillent la nature de ces protagonistes et de l'environnement mais les
actions et les interactions des deux sont entièrement laissées entre les
mains des joueurs. Un JdR requiert également que joueurs comme MJ soient
guidés dans leur façon de jouer non seulement par les procédés et les
opportunités de ces règles mais aussi par le souci de l'interprétation et
de la narration.
Pour permettre à ces deux préoccupations d'avoir toutes les chances d'être
au premier plan, les règles doivent être suffisamment souples pour permettre
la simulation de n’importe quelle action (à condition qu'elle soit possible
dans cet environnement) de la part de chaque camp. Les règles doivent aussi
être suffisamment malléables pour être modifiées ou altérées si elles
rentrent en conflit avec l'interprétation et la narration. De la même
manière, les soucis d’interprétation et de narration doivent être
suffisamment flexibles pour pouvoir être négligés - ou plus habituellement
altérés - en se fondant sur les règles. Pour que quelque chose soit
considéré comme un JdR, ces deux éléments doivent être présents mais
aucun ne doit être complètement dominant. Si les règles sont complètement
dominantes, nous avons un jeu de stratégie classique, si l'interprétation ou
la narration est dominante nous avons quelque chose de plus proche du
théâtre d'improvisation ou de la construction collective d'une fiction que
d'un jeu.
Le corollaire de cette définition est que tout concept d'un ensemble de
règles de JdR qui comporterait un élément de rigidité, de formalisme ou
d'universalité est quelque part impossible : La définition même d'un JdR
exige ici de la flexibilité. Ceci implique alors que, peut-être, il ne peut
y avoir de règles "officielles" pour un JdR. Ce serait cependant le
thème d'un autre article.
La plupart des autres jeux ont aussi des considérations au delà des règles
prises au pied de la lettre. Par exemple, l'idée que les choses doivent être
relativement équitables, où tout le monde doit participer et s'amuser. Ces
"méta-règles" gèrent le souci d'un bon jeu. Les JdR ne
diffèrent pas des autres jeux à cet égard ; en fait, ces méta-règles sont
même encore plus importantes pour le JdR et il est souvent nécessaire de les
énoncer explicitement. Comme les besoins de l'interprétation et de la
narration rognent sur les règles, l'égalité de la participation des
personnages-joueurs et le bon fonctionnement des règles deviennent plus
difficiles à contrôler.
En conséquence, les JdR peuvent être considérés comme une espèce de tir
à la corde entre quatre préoccupations principales : les règles, l'interprétation,
la narration et le jeu. Ces considérations affectent chaque
aspect du jeu de rôle. Chaque joueur définit ses propres niveaux de
priorité pour chacun d'entre eux, produisant son propre et unique style de
jeu. Il définit de plus ses propres visions de la manière de les mettre en
avant, de telle sorte que deux joueurs qui mettent le même accent sur chaque
facteur peuvent quand même avoir des styles de jeu différents.
|
D'autres personnes ont fait des déconstructions
similaires du JdR, en particulier John
Kim, dont le modèle à trois volets est aussi décrit ici,
et Glenn Blacow, dont le modèle à quatre branches est référencé ici |
Par exemple, sur le sujet de l'utilisation des
personnages-joueurs pré-tirés, certains MJ préfèrent utiliser des
pré-tirés car ils peuvent alors être directement intégrés dans l'histoire
(narration), ou bien parce que les pré-tirés peuvent avoir des
personnalités intéressantes qui interragissent entre elles (interprétation)
ou les pré-tirés évitent tout abus ou erreurs de règles (règles) ou parce
qu’ils sont conçus pour équilibrer les degrés de participation de tous
les joueurs (jeu). D'un autre côté, certains MJ n'aiment pas les pré-tirés
car ils rendent les histoires trop centrées sur les personnages (narration)
ou parce qu'ils ôtent au joueur sa liberté de concevoir lui-même une
personnalité (interprétation), ou car cela signifie que les joueurs ne vont
pas comprendre toutes les règles qui concernent leur personnage et
commettront donc des erreurs lors de leur exécution (règles) ou encore car
ils pensent que la création de personnage est un moment particulièrement
agréable pour le joueur (jeu).
Désormais, nous avons défini les briques constitutives du JdR. Avons-nous
maintenant une meilleure compréhension de notre question initiale,
pouvons-nous avoir une idée plus claire sur le fait de savoir si nous jouons
à un jeu ou si nous racontons une histoire ? Oui et Non. Non, en ce sens
qu'en dépit d'avoir plein de jolis termes précis avec lesquels formuler la
question, la réponse appartient toujours à chacun. Qui plus est, même si un
joueur peut annoncer l'importance de l'emphase qu'il met sur chaque aspect,
nous venons de démontrer que cela ne nous donne pas pour autant une image
plus nette de la manière dont il joue.
Cependant, ces termes plus précis fournis ici nous donne un meilleur
éclairage sur la question. Nous avons éliminé l'opacité de mots comme
"jouer", de telle sorte que les préférences d'un joueur peuvent
maintenant être clairement définies en se fondant sur quatre facteurs
simples, identifiables, non-ambigus et globalement indépendant (bien que non
orthogonaux). Cela ne peut qu'aider à communiquer nos goûts et une meilleure
communication est toujours bonne pour notre communauté.
Les définitions de chacun de ces termes fournissent aussi un éclairage pour
des discussions plus approfondies sur les styles et types de jeu. En
particulier la définition des protagonistes et de l'environnement dans les
jeux à récits - et les récits. Nous pouvons maintenant parler de comment le
MJ et les joueurs définissent ces éléments. Généralement, les JdR mettent
le contrôle de l'environnement entre les mains du MJ et le contrôle de la
plupart des protagonistes principaux entre les mains des joueurs ; cependant
il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Chaque joueur peut avoir des
idées différentes sur le degré de contrôle sur chaque élément dont
chaque joueur (et MJ) doit disposer.
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Le numéro 10 renseignait davantage sur le thème
du contrôle de la trame. |
Vous remarquerez aussi que la distinction n'était pas
entre les protagonistes et la trame. C'est pour la bonne et simple raison,
comme tout écrivain vous le dira, que, dans une histoire, la trame et les
personnages sont inséparables. Cependant, certains styles de JdR les
séparent, la trame étant contrôlée quasi-exclusivement par le MJ. D'autres
placent la trame entièrement entre les mains des joueurs. La plupart
choisissent une solution intermédiaire. Là encore, chaque groupe trouvera
son propre équilibre sur comment et à quel niveau un joueur et un MJ peuvent
et doivent manipuler les protagonistes et l'environnement pour faire émerger
les éléments de la trame.
Quelque soit la nature de l'équilibre trouvé, une chose est claire : les JdR
(et en fait tous les autres jeux à récits) ne sont pas la même chose qu'une
œuvre de fiction narrative, que ce soit un livre, un film ou une pièce de
théâtre. Pour ceux-ci, les protagonistes et l'environnement sont
entièrement contrôlés par un seul cerveau. Ce contrôle total donne à un
auteur carte blanche sur la manière dont ils interagissent pour faire
émerger la trame, dont, en général, tous les autres éléments dépendent.
Les JdR sont différents. Les JdR rejettent cette idée et donnent le
contrôle de ces éléments à un groupe de personnes, et de façons très
différentes. En conséquence de quoi, il y a toujours quelque chose
d'aléatoire et d'inconnu dans ces interactions et le résultat est que
personne ne contrôle la trame. Elle est davantage modelée librement par une
conscience de groupe, pour devenir quelque chose de plus intéressant et avec
davantage de facettes que quoi que ce soit qu'une personne seule ne pourrait
jamais créer.
Cela peut devenir un désordre incroyable à cause de ça ou cela peut être
quelque chose de très spécial mais personne ne peut jamais prédire ce à
quoi cela ressemblera avant que cela ne soit joué. Ce produit fini pourra
être une œuvre d'art, un divertissement ou juste de l'amusement, mais quoi
que cela soit, ce ne sera jamais exactement la même chose qu'une œuvre de
fiction.
Et c'est cette différence, bien sûr, qui rend les JdR si particuliers.
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