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En juillet dernier, je participais à un groupe de
discussion à Baraquoon (une convention à Cambridge, Grande-Bretagne)
pour discuter de la raison pour laquelle les jeux de rôles de
science-fiction sont moins populaires que ceux de Fantasy. J’ai
fait ce que je pensais être une observation qui ne soulèverait aucune
controverse, que la " fiction ne fait pas de bonnes parties et
vice-versa ". Il y eut des cris de protestation immédiats. Les
gens insistaient pour dire que leur longue campagne ferait un formidable
roman épique. D’autres étaient certains qu’ils pouvaient prendre n’importe
quel livre et en faire une aventure convenable.
Je n’ai joué dans aucune de leurs parties, ils avaient peut-être donc
raison. Cependant, je ne disais pas que la fiction et le jeu ne pouvaient
se mélanger ou que les bonnes histoires et les bons décors ne pouvaient
pas enrichir les environnements de jeu, juste que les deux sont
différents. Tenter de changer une chose en une autre est une erreur.
Lorsque j’ai commencé à jouer aux jeux de rôles, on indiquait
habituellement des inspirations à la fin du supplément suggérant -
requiérant presque - leur lecture. Habituellement, cela incluait du
matériel inspirationnel comme Le Seigneur des Anneaux, les
histoires de Conan et à peu près tout de Michael Moorcock.
Le plan était que les Maîtres de Donjon/de Jeu/de l’Espace et leurs
joueurs explorent un monde d’une certaine manière inspiré par cette
fiction. La plupart des univers, particulièrement dans l’Héroïc-Fantasy
acidulé (orques, elfes, bien et mal) et le Space Opera (chats et
chiens extraterrestres, vastes empires, désert/forêt/mondes de glace),
ont servilement suivi ces inspirations.
Quelques temps après, la revue White Dwarf poussa cette réflexion
plus loin en publiant des articles sur la manière de recréer le voyage
à travers la Moria pour D&D, et ainsi de suite. Dans un
écrit d’une stupidité épique, quelqu’un a même décrit comment
Liane la Voyageuse (du roman de Jack Vance La Terre Mourante)
pourrait éventuellement éviter Chun l’Inévitable. Chun n’est pas un
bon gars : il tue des gens et coud leurs yeux à son manteau, aussi
personne ne veut le rencontrer. Mais Chun, voyez-vous, est inévitable. C’est
justement de cela qu’il s’agit. Cependant, un tel déterminisme,
quoique parfaitement naturel dans une histoire, est inapproprié dans une
partie.
Pour des raisons qui m’échappent encore, les auteurs de ces articles se
devaient de faire des pieds et des mains pour estomper la limite entre ces
deux activités distinctes; raconter des histoires et jouer des parties.
Fondamentalement, les romanciers, les producteurs de films et de séries
télévisées et les dessinateurs de bandes dessinées sont des conteurs d’histoires.
Leur but est de divertir, voire d’éduquer, leur public. Quelques-uns de
leurs sujets seront familiers, d’autres moins, et l’intrigue peut
toujours marcher. Les conteurs d’histoires peuvent juger leur succès s’ils
sont bien payés (ou applaudis) ou non. En fait, c’est cela le rôle du
public : consommer le produit. C’est une relation passive et
unidirectionnelle.
C’est aussi un événement discret [au sens mathématique] à court
terme. À moins que l’auteur ne soit une fripouille (ou un tâcheron qui
produit en série – dont je dirais davantage plus loin), l’histoire
est complète en elle-même, l’édifice au complet, tandis que le
scénario de jeu de rôle n’en est même pas le plan. Il est plus
apparenté aux notes de projet du promoteur, sujet à l’approbation des
architectes et des ingénieurs.
Le jeu de rôle n’est pas la consommation passive de la vision de quelqu’un
d’autre. Bien que ce soit le but des compagnies de jeu de vendre des
produits, le groupe de jeu (MJ compris) est séparé de cela, c’est un
groupe où les individus se divertissent eux-mêmes. Le groupe peut très
bien acheter le matériel provenant des éditeurs mais il n’y est pas
obligé. Il est sans doute possible de jouer une partie captivante sans
règle formelle ni scénario rédigé. Les membres du groupe sont
activement impliqués par le divertissement de chacun, plutôt que de
seulement s’asseoir et attendre d’être amusés.
En mettant de côté leurs intentions, les déroulements de ces deux
médias sont aussi distincts.
La fiction est vendue comme un produit fini. Vous lisez un livre ou
regardez un film. Selon l’habileté du conteur, vous pouvez penser que c’est
merveilleux, moyen ou complètement nul; vous n’avez aucun contrôle sur
le processus ou la qualité. Cependant, le jeu de rôles peut évoluer à
différents niveaux selon le goût du groupe. Les joueurs peuvent faire
évoluer la partie depuis un simple jeu de guerre tactique jusqu’à l’immersion
complète dans un environnement étranger. Ils peuvent s’asseoir autour
de la table, bouger autour et vivre une histoire. Cette interaction est
pratiquement complète.
La fiction – ou du moins la bonne fiction, utilise une sélection de
personnages intéressants et bien détaillés. Ils ont des motivations
plausibles, solides, qui expliquent leurs actions. De bons personnages de
jeux de rôles peuvent également posséder ces qualités. Dans une
histoire, l’auteur met en place les aspects des personnages pour l’intérêt
de l’histoire; s’ils agissent correctement, l’histoire en sera
enrichie. La même chose s’applique pour la sélection des
caractéristiques des PJ – ils vont rendre le personnage plus amusant à
jouer et cela, espérons-le, améliorera la partie pour les autres
joueurs. Cependant, les personnages de l’auteur servent aux buts de l’histoire
tandis que ceux des joueurs amusent le groupe. Idéalement, ils doivent
être divertissants, qu’il y ait une aventure en vue ou non
Bien que dans les parties que j’ai jouées ou maîtrisées les PJ
tendaient vers le bas de l’échelle sociale, vers les malfrats crasseux,
il est certainement possible d’avoir un personnage héroïque et de s’amuser
à en incarner un. Très important aussi; en mettant de côté les PJ
automatiquement condamnés de L’Appel de Cthulhu, il y a souvent
la présupposition que le MJ ne permettra pas aux personnages de mourir,
ce qui diminue quelque peu leur héroïsme.
Il n’y a pas de raison pour que les personnages survivent à une
histoire. En effet, la mort de un ou deux personnages sert souvent mieux l’intrigue
que leur survie. Essayez de dire cela au joueur dont l’ex-sorcier a
été réduit, pour des raisons d’intensité dramatique, à un chapeau
pointu collé dans une flaque de vase. Certains joueurs peuvent très bien
accueillir la mort d’un camarade comme une occasion de roleplay mais je
doute qu’ils penseraient la même chose du décès de leur propre
personnage.
Un ou deux personnages bien détaillés peuvent finir étripés dans un
roman, mais plusieurs des personnages survivent, et ceci est
particulièrement vrai dans ces séries à rallonge que les éditeurs
adorent tellement. Ces cycles ont plus en commun avec les JdR que l’histoire
unique, mais ils restent différents. Ils ressemblent aussi à des
feuilletons et à des longues séries de science-fiction comme La
Guerre des Étoiles, Star Trek et Babylon 5. Les téléspectateurs
sont encouragés à s’identifier étroitement avec un groupe de
personnages, tel l’équipage de la passerelle de l’Enterprise, ou la
famille si étrangement extensive de Luke, confortés par la connaissance
que rien d’effroyable ne va lui arriver. Tous les autres sont du
décorum, et par là sacrifiables.
Maintenant, à moins que les joueurs n’interprètent les personnages
apparaissant dans les séries, ils incarnent quelqu’un d’autre dans le
même univers. Le background, étant généralement le strict minimum pour
donner un contexte derrière les actions des personnages principaux, n’est
pas suffisamment détaillé et consistant pour supporter cette déviation.
C’est tout à fait évident pour les histoires ayant une trame
générale, comme La Guerre des Étoiles ou Babylon 5. Ici,
non seulement on connaît le rôle des personnages principaux, et même de
ce qui va leur arriver, mais par définition, tout le reste n’est que d’importance
secondaire. Les PJ ne peuvent rien faire d’important dans la Rébellion
ou dans la Guerre des Ombres. Tout le monde sait qui a tout fait, et à
qui, avant que l’action ne débute.
Par conséquent, les auteurs de ces deux jeux ont eu à extrapoler des
cultures entières pour y insérer les personnages, tout en demeurant
cohérents avec les travaux déjà publiés. C’est sans surprise qu’ils
choisissent pour leurs parties des moments d’accalmie dans la trame
principale (respectivement entre Star Wars et l’Empire
contre-attaque, et avant les premières séries). Ce dont il est
question est que les PJ sont conscients qu’ils ne sont que des
personnages de second ordre et qu’ils vont le demeurer. Ils peuvent bien
être dans le même univers que celui de l’action, mais n’en feront
jamais partie. Les statistiques de combat de Darth Vador sont inutiles,
les personnages ne devant jamais devenir plus forts que lui.
Plutôt que de mettre les PJ à côté de l’action, les univers créés
de toutes pièces, tels Traveller ou Star Drive de Wizards
of the Coast (pour Alternity), se contentent d’enlever
entièrement la trame de fond. Ils permettent aux personnages de faire une
vaste variété de choses; depuis combattre ou devenir pirates sur la
frontière jusqu’à violer les lois dans les planètes-cités, mais rien
qui ne puisse changer le plan général. Cela signifie que les personnages
peuvent faire n’importe quelle atrocité sans égratigner la trame
elle-même. Bien que cela permette des parties cohérentes, cela ne peut
donner aux exploits des personnages une grandeur épique.
Bien qu’il y ait un groupe central important dans la plupart des
séries, il ne ressemble pas tant que ça au groupe d’aventuriers
standard. Les groupes de PJ sont habituellement un peu trop importants et
malcommodes pour les objectifs d’un auteur. Ils sont typiquement formés
par quatre à huit aventuriers solitaires et déterminés, avec des
compétences complémentaires et peu d’attaches émotionnelles ou
familiales. Ce n’est pas exactement le genre de choses qui engendre de
grands romans.
Les personnages de jeux de rôles demandent également un intéressant
mélange de capacités choisies par les joueurs, que ce soit la classe, l’occupation,
les clans de vampires ou des races non-humaines. Tous les personnages ont
quelque chose à apporter au groupe et presque toutes les aventures
publiées commercialement incluent des particularités qui peuvent
seulement être résolues par le bon spécialiste. Il y a des guerriers,
des éclaireurs/ voleurs/ roublards, des techniciens / magiciens /
psioniques et des toubibs combattants dans pratiquement tous les jeux.
Leurs manies sont habituellement rajoutées pour procurer de la profondeur
plutôt que d’être intrinsèques à eux-mêmes. Comme tels, ces
personnages peuvent être plaisants à jouer mais ne sont pas
dramatiquement intéressants. Inversement, la fiction peut aisément
supporter les personnages " inutiles ", pour autant qu’ils
créent du drame ou de l’humour.
Pour ce qui est d’adapter des personnages aux règles, un proverbe de
cours d’écriture créative est "montrez, n’expliquez
pas", ce qui est contraire aux règles nécessaires pour
classer et quantifier. Il importe peu à Tolkien, ou à ses lecteurs, de
savoir comment Gandalf fait briller son bâton. Établir que le Magicien
Gris ne peut produire laborieusement qu’une lumière continuelle et
quatre lumières dansantes par jour n’est pas seulement
complètement inaproprié, c’est une atteinte sérieuse à la qualité
du livre.
Cependant, ce genre de détail est très évident dans les traitements
fictionnels des mondes de jeu. Naturellement, cela importerait moins si l’auteur
utilisait simplement le décor, sans les types de personnages standards et
dans l’ignorance des mécanismes de règles impliqués. Cependant, soit
les auteurs sont chargés d’écrire pour un univers de jeu spécifique
par les éditeurs, soit ils en sont des fanatiques et veulent réellement
l’amener à la vie. En faisant cela, ils décident invariablement d’expliquer
aux lecteurs qu’est-ce qui est quoi, plutôt que de leur montrer.
En conséquence, dans les fictions dérivées d’AD&D, des
questions sans importance comme les composantes de sorts sont détaillées
et on discute des assortiments des alignements. Les différents types de
dragons sont passés en revue, exhaustivement. Cette obsession du détail
-et non, tel est mon postulat, le genre de détails dont un écrivain s’occuperait
- attire l’attention sur la pauvre caractérisation. Le groupe de PJ
devient superficiel, misant sur des motivations stéréotypées et
décrivant parfois explicitement ses membres dans des termes explicites de
classes de personnages.
Bien sûr, le problème ne se limite pas à la fiction basée sur AD&D.
Un jour, je suis déjà tombé par hasard sur un livre basé sur le jeu de
rôle Shatterzone et j’ai tenté de le lire, mais je ne pus me
rendre plus loin qu’à la page onze. Il était barbant au-delà de ce
que les mots peuvent décrire. Il en est de même pour les courtes
nouvelles basées sur le jeu Traveller qui surgissent
occasionnellement dans les magazines et les fanzines. Elles sont
simplement trop soucieuses du décor du monde de jeu pour prendre des
risques ou être divertissantes. Le besoin de demeurer loyal au jeu
déprécie la capacité de conter une histoire.
L’intrusion de règles ne doit pas être un problème pour des joueurs
plongés dans un univers. Les joueurs ne veulent pas forcément avoir une
intrigue solide et prédéterminée, mais avoir le plaisir d’être
quelqu’un d’autre, ailleurs, faisant des choses exotiques. Les règles
aident en couvrant les situations qui ne peuvent être résolues par un
consensus, ou sont trop vitales pour être laissées aux caprices du MJ.
Des événements importants, comme la chance de passer outre un garde sans
être vu, acquièrent une probabilité fixe.
Dans une histoire, tout dépend de la volonté de l’auteur.
Habituellement, le MJ a un genre de plan général en tête et les joueurs
finissent par faire quelque chose s’en rapprochant, mais ce n’est pas
la même chose que la paternité de l’auteur.
Les joueurs deviennent vraiment agacés lorsqu’ils sont forcés de
suivre une intrigue linéaire ou qu’ils soient limités dans leur
liberté d’action. Ils trouvent invariablement des solutions autres que
celles que le MJ trouvaient évidentes. S’ils parviennent à la fin à
atteindre la conclusion, cela sera autant par l’improvisation dans la
bonne humeur et les trucages que par autre chose. C’est une action
collective.
La fiction c’est quand l’auteur essaie de faire germer une image dans
la tête du lecteur. C’est un monologue. Cela reste vrai même si cette
fiction est jouée, filmée et accentuée par des effets spéciaux. Les
personnages sont entièrement dirigés par l’auteur et ne sortent jamais
du chemin tracé. Ils font ce qu’on leur dit, aussi stupide que cela
puisse leur sembler, parce que c’est leur rôle dans l’histoire.
Les joueurs deviennent dingues si leurs actions sont restreintes de cette
manière.
De même, le plaisir de la fiction est égoiste. Dans le cas d’un film,
les spectateurs peuvent être capables de regarder en tant que groupe,
mais leur plaisir est individuel.
Dans une partie, les membres du groupe partent dans toutes les directions
et agissent invariablement d’une manière imprévue. Les MJs (il faut l’espérer)
improvisent pour qu’il y ait des choses à faire pour les joueurs qui
ont décliné de prendre part aux événements pré-planifiés qui
faisaient avancer l’histoire. Le MJ n’est pas l’auteur et les
joueurs non plus, leurs personnages sont des entités pensantes
indépendantes se déplaçant dans les scènes fournies par le MJ. C’est
toujours le cas que la partie soit sur table, grandeur nature, respectant
les règles à la lettre ou mettant l’accent sur l’histoire. Tout le
monde contribue et tout le monde est diverti. Le succès de la partie
repose à la fois sur la contribution et le divertissement de tous les
participants.
Considérant ce qui a été dit plus tôt, il est clair que les parties de
jdr et la fiction sont différentes. Les deux offrent le même bénéfice
de l’évasion et du divertissement. Cependant, ils le font d’une
manière différente. Les auteurs, producteurs de films, les meilleurs
producteurs de TV, tous essaient de vous persuader de les laisser vous
enchanter. Bien que la réponse soit vôtre, l’aventure se déroule
selon leurs conditions. Vous ne pouvez, malgré le slogan marketing
de la menace fantôme " Entrez dans l’action ".
Vous pouvez, cependant, avec l’assistance de quelques amis, entrer dans
un environnement de jeu de rôle et y rester aussi longtemps que vous le
désirez. Vous pouvez y entrer avec propres termes, agir comme vous l’entendez
et vous immerger aussi profondément que vous le voulez. Et personne ne
peut vous dire comment ça va finir.
David Thomas a écrit et contribué à de nombreux suppléments de Traveller
pour the British Isles Traveller Support group, et est co-auteur d’
Alien Races 2 pour GURPS Traveller. Il travaille aussi comme
journaliste.
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