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La règle d’or : l’équilibre du jeu – analyse et
réfutation
Rappar
Cet article apparaît comme plutôt bon: il est facile à lire
avec son récit de partie de convention, bien écrit ; il tape sur D&D,
c'est marrant et provocateur.
Mais avec un peu d’analyse, je démontrerai que cet article est fouillis,
contradictoire, qu’il se base sur des principes faux, et que le résultat
consiste à diviser la communauté rôliste entre les « bons » - qui font du jeu de
rôles - , et les « mauvais » - qui font du jeu de plateau. Tout cela, parce que
l’auteur n’a pas assez lu de théorie rôliste pour mettre ses préjugés un peu
en perspective, ne peut pas imaginer la richesse des différentes approches du
jeu de rôles ; et tombe dans ce travers rôliste qui consiste à se diviser en
chapelles et conspuer les autres chapelles sur les forums.
Un peu de contexte :
John Wick, né en 1968, a collaboré aux JdR
Livre des Cinq Anneaux, et 7th Sea - deux jeux de rôles qui jouent
énormément sur les clichés ; il est l'auteur de
Orkworld (où les joueurs jouent les « monstres » des JdR traditionnels),
entre autres jeux et projets.
Le texte a été écrit sur un blog, ce qui implique 1-que John Wick n’a
pas passé des heures à peser chaque phrase, et 2-son ton « billet d’humeur ». Le
résultat n’est pas un essai, c’est des idées qui partent dans plusieurs
directions, et un texte qui se finit par « mais je ne suis pas tout à fait
content de ma définition », plutôt que « j’ai beaucoup lu et beaucoup réfléchi,
et ma conclusion développée sur plusieurs pages est la
suivante ».
Pour ne pas ennuyer le lecteur, je répondrai dans le même ton direct. :-)
Analyse de fond
Le cœur de la première partie de l'article, est le syllogisme suivant :
1- « Un jeu de rôle est un jeu dans lequel les joueurs sont récompensés
pour avoir fait des choix cohérents avec les motivations de leur personnage ou
qui favorisent l'intrigue de l'histoire. »
2- ce n’est pas le cas de Donjons & Dragons (D&D);
3- donc D&D n'est pas un JdR (selon la définition personnelle de
l'auteur).
1.
Une définition imprécise
L’auteur précise bien que sa définition est personnelle : « Je prédis
que de fidèles lecteurs souligneront que ce n'est pas la définition que la
plupart des gens associent au jeu de rôle » mais sa réponse est : ceux qui
ont une autre définition sont des ignares, qui ne savent de toute façon pas bien
parler…
Le problème, c'est que sa définition est imprécise : il faudrait dire
précisément : « Un jeu de rôle simulationniste et narrativiste est un jeu
dans lequel les joueurs sont récompensés pour avoir fait des choix cohérents
avec les motivations de leur personnage ou l'intrigue de l'histoire. », donc D&D
n'est pas un JdR simulationniste ni narrativiste.
Qu’est-ce que cette distinction dans les types de JdR que Wick ignore ?
Le « LNS », acronyme de Ludiste /
Narrativiste / Simulationniste (GNS en anglais - G pour Gamism) est une
théorie, développée par Ron Edwards, qui a énormément contribué à la
compréhension de la pratique du jeu de rôles. Son essai, d’abord peu facile, est
disponible en français sur PTGPTB .
En la résumant très grossièrement : derrière la constatation banale « on vient
tous trouver dans une partie de JdR des choses différentes », on peut réduire
l’intérêt à jouer au Jeu de Rôles à trois aspects des parties de JdR:
Dans les parties à dominance ludiste, compétitives, gagner est amusant. Gagner
contre le système de règles, contre l’adversité, contre les PNJ, les énigmes,
l’intrigue, faire mieux que les autres joueurs, améliorer son perso... On récompense celui qui tire le meilleur parti des règles, des
descriptions, de l’univers de jeu...
Les jeux de rôles dont les
règles favorisent les parties avec des aspects ludistes sont par extension « des
jeux de rôles ludistes ».
Dans les parties
plutôt simulationnistes, on favorise le sentiment d’être quelqu’un d’autre, dans un
autre monde. Sont mis en avant l'immersion, le roleplay (l'interprétation de son
personnage selon leur description, la simulation de ce personnage), la
vraisemblance.
Les jeux dont les règles sont détaillées et réalistes répondent au goût des
joueurs qui préfèrent les simulations crédibles et interprètent logiquement leur
personnage. Ce sont des JdR simulationnistes. C’est pourquoi la définition du
JdR selon John Wick est en fait celle du jeu de rôle simulationniste.
Dans les parties majoritairement narrativistes, les participants essayent de créer de belles
histoires, des cas de consciences, des situations intéressantes. Même si cela
implique que « perdre » est plus riche dramatiquement ou en rebondissement que
« gagner »
Un jeu de rôle narrativiste récompense donc les actions qui favorisent
l'intrigue. C’est pourquoi la définition de John Wick, où un jeu de rôle digne
de ce nom pousse les joueurs à favoriser l’intrigue, - sans que l’on comprenne
bien s’il s’agit de l’avancer ou de créer une belle histoire - comprend les
jeux de rôles narrativistes.
Le premier reproche que je fais à John Wick, est donc de fonder son raisonnement
sur une définition imprécise.
2.
Un rejet d’une composante fondamentale du jeu de
rôles.
Apparemment ignorant de la théorie LNS, John Wick semble découvrir que
D&D ne favorise pas la manière de jouer qu’il préfère ! La sienne est la
meilleure ! Toutes celles qui ne sont pas la sienne ne sont pas du jeu de rôles
!
Ne pas connaître l’analyse LNS implique de devoir la réinventer, et le
reste de la première partie de l’article n’est qu’une présentation des manières
de jouer simulationniste et narrativiste : les actions qu’on y prend ont des
fondements dans la personnalité du PJ et pas simplement dans l’intérêt
d’accumuler des objets magiques.
John Wick aurait le droit de dire, qu’à son avis, seuls les aspects
narrativistes et simulationnistes sont propres au jeu de rôles, et que le
ludisme n’en fait pas partie. Sauf que n’importe quelle pratique d’une séance de
JdR démontre que « dans jeu de rôles, il y a jeu ». Un JdR contient ces
trois aspects, en plus ou moins grande proportion. Dans nos séances du samedi
soir, on est tour à tour ludiste, simulationniste et narrativiste. Si vous
enlevez tout un aspect, vous ne faites plus du jeu de rôles. Si vous enlevez les
aspects ludiques, c'est-à-dire les gains et la progression des personnages, la
compétition, les
enjeux, les défis et la victoire des efforts communs, alors ne reste que de
l’improvisation théâtrale ou une histoire écrite à plusieurs mains. Les éléments
narrativistes et simulationnistes sont indispensables au JdR, mais ils ne sont pas seuls.
L’apport du LNS, distinguant les différents plaisirs qu’apporte une séance de
Jeu de Rôles, aboutit à expliquer qu'il n'y a pas une manière de jouer qui serait
objectivement « meilleure », car les joueurs ont des préférences
subjectives pour tel ou tel aspect.
L’analyse LNS a permis aux rôlistes de se comprendre les uns les autres, « Marc
préfère les combats épiques, où son perso massacre une armée; moi je préfère des
combats réalistes et mortels et donc mon perso fuit devant le nombre, tandis que Hervé est déjà en train d’écrire
une ode de barde sur la mort héroïque de son perso. C’est nos choix ». Elle vise
à créer des groupes de jeu fonctionnels, et d'éviter que tant de parties se
terminent en disputes insatisfaisantes.
Le second reproche que je fais à John Wick, est donc de fonder son raisonnement
sur une définition partisane et ignorante de la réalité des composantes d’une
simple partie de JdR.
3.
Redécouverte que D&D encourage la manière de jouer
ludiste et décourage la manière de jouer simulationniste et narrativiste.
Ron Edwards expliquait pour juger la valeur d'un JdR d’une manière un
tant soit peu scientifique et sans préjugés sur
son genre, il faut vérifier si son système, son univers, son ambiance, etc. est
en conformité avec les attentes de ceux qui y jouent. Ainsi, si un JdR est
annoncé comme « fantastique, sombre et désespéré », mais qu’en le pratiquant,
les joueurs se marrent en truicidant des monstres folkloriques réduits à leurs
statistiques de combat, ce n’est pas un "bon" jeu
de rôle cohérent. Hors de tous autres facteurs,
il n'est pas ce que les joueurs attendent
D&D encourage les aventures épiques, et très irréalistes.
Personne ne dit le contraire : il est dur de faire tuer son perso à
D&D, et en
plus il y a la résurrection.
D&D est éminemment ludiste, favorisant ceux qui
connaissent le mieux les règles et les optimisent. Monte Cook (auteur de la 3ème
édition) le revendique même, dans
Création de JdR style «
Tour d’ivoire »(ptgptb)
« L’idée ici est que le jeu ne donne que les règles, et que les joueurs
comprennent les tenants et les aboutissants eux-mêmes - les joueurs sont
récompensés pour avoir réussi à maîtriser les règles et pour faire les bons
choix plutôt que les mauvais ».
On aime, ou pas. Le fait est que D&D est un jeu pour
grosbills, pour bourrins, pour optimisateurs, pour les experts de règles, et que
son succès est dû à tous ces aspects.
Ce n’est pas nouveau. Ces reproches sont aussi anciens que D&D 1ère
édition.
Pire : ils ne sont pas propres à D&D ; on peut dire cela de
Rolemaster, de Warhammer 1ère édition, de presque tous les
JdR de fantasy. Se focaliser sur D&D parce qu’il sort la 4ème
édition est ridicule ; s’il faut rejeter l’aspect ludiste, c’est toute la
catégorie de JdR qu’il faut rejeter (1).
Le raisonnement de John Wick est en fin de compte le suivant : 1. je n’aime pas
le ludisme. 2. D&D est très ludiste. Donc 3. je n’aime pas D&D.
(1) il faudrait rejeter le jeu de rôle Ambre. En effet, Ambre
est très ludiste;
- les personnages sont des demi-dieux; ils ont des pouvoirs surpuissants et
peuvent s'en acheter d'autres pour devenir encore plus puissants!
- ils sont en concurrence les uns avec les autres, à commencer par la "vente aux
enchères" des caractéristiques ("bon, qui veut être le plus Fort autour de la
table?") : les joueurs passent leur temps à comploter contre les PNJ ou contre
les autres joueurs.
- comme il n'y a pas de dés, il n'y a pas d'échecs critiques susceptibles de
dramatiser l'histoire; et les épisodes, qui n'ont pas de fin, tiennent plus de Dallas ou Dynastie que de La Morte d'Arthur
- comme il n'y a pas de hasard, face à plus forte partie, les joueurs sont
invités à se creuser les méninges pour gratter des avantages, gagner des bonus
et renverser les rapports de force (amener l'ennemi à combattre en position
défavorable, p.ex.). Or, cette optimisation est un mécanisme éminemment ludiste.
- les points de progression ne sont accordés que si les personnages surmontent
des obstacles, et leur nombre est proportionnel aux dangers encourus. Il est
explicitement écrit que si les joueurs passent leur temps à discuter entre eux,
ils ne gagnent rien.
Le ludisme n'est pas une question de jeter des dés ou non.
4.
Une confusion avec les mécanismes de méta-jeu
Dans son récit de partie, John aborde tout à coup un aspect de la
pratique du jeu de rôles qu’il n’aime pas :
- « Les autres joueurs ne jouaient pas beaucoup en groupe (en dépit de mes
suggestions) et se sont continuellement disputés et chamaillés. » C’est ici
que l’on voit l’article partir dans une toute autre direction. John Wick rajoute
ici à sa définition qu’un (vrai) Jeu de Rôles récompense l'action de groupe,
favorise en méta-jeu la coopération et ainsi l'amusement de tous.
1- à nouveau, D&D n’est pas l’unique jeu qui ne récompense pas
formellement la coopération et les considérations de méta-jeu. C’est même un
aspect ignoré de la presque totalité des JdR, qui se contentent de
renvoyer les Maîtres de Jeu à leur
appréciation: quelque chose comme « donnez un bonus de Points d’Expérience au
joueur avec le meilleur esprit de jeu »
Pointer du doigt D&D sur ce point revient donc à cacher la forêt avec
l’arbre.
2- de façon ironique, l’approche ludiste décriée par John Wick aurait plutôt
tendance à favoriser la coopération entre joueurs (2). En effet, dans cette
approche, la victoire contre l’intrigue et les ennemis est collective,
et les trésors sont partagés. Les personnages sont complémentaires comme
le reconnaît Wick ; le Guerrier combat au contact, le clerc est derrière pour le
soigner, le magicien balance des sorts depuis l’arrière...
(2) Je mets de côté Paranoïa, où par nature la compétition entre joueurs
est exacerbée, et le gagnant est le dernier clone survivant. Au fait,
Paranoïa non plus ne serait pas un jeu de rôle selon l’échelle de Wick!
3- les chamailleries entre joueurs dépendent donc davantage des joueurs et de la
partie, que du JdR joué.
5. Un mépris des autres pratiques
Il est bienvenu que Wick fasse la promotion du simulationniste.
Avez-vous connu cette sensation un jour? Vous sentir bien seul à une table de
jeu, parce que vous essayez d’interpréter son personnage en tenant compte du
décor de jeu ou de la simple vraisemblance, tandis que les autres joueurs ne
pensent qu’à se défouler, et résoudre le scénar en rentrant dans le tas en
lançant des dés. C’est toujours bien de remettre en cause le courant ludiste qui
s’est imposé depuis les débuts du JdR.
Cependant, ne pas étiqueter comme tel simulationnisme et narrativisme, et du
coup rejeter les autres pratiques, est beaucoup plus polémique, malhonnête, et
enfin, stérile.
C’est au minimum tardif ; White Wolf s’étant déjà lancé en 1995 - avec le
mouvement du Conteur – dans la promotion de la richesse d’univers et
l’interprétation de personnages.
Pas plus qu’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, aucun système de
règles d’aucun JdR favorisant l’immersion et les bonnes histoires, ne
transformera des joueurs ludistes en heureux joueurs co-scénaristes et
comédiens de l’Actor’s Studio. Au pire, ce JdR les contrariera, les fera
abandonner ce système et jouer à un autre.
Dans son récit de partie illustrant sa pensée, John Wick amalgame joueurs,
manière de jouer et un JdR du commerce. Et il raconte fièrement comment il a
pourri (oui !) une session de jeu de rôle, emmerdant ses partenaires ludistes
avec ses prétentions simulationnistes et narrativistes. Même si c’est drôle à
lire, c’est significatif d’un mépris, d’une fermeture d’esprit, et d’un refus de
prendre en compte les souhaits des autres joueurs.
Nous sommes en convention, cette partie est un « one-shot ». C’est l’unique
partie de tout le groupe, et voulue comme telle. Les joueurs sont des inconnus
de rencontre. On crée des persos.
-Wick crée un personnage à ne jouer qu’une fois - puisque le personnage est
programmé pour retourner à sa taverne. Il n’est pas adapté au scénario.
- « Mon personnage avait appris les talents de voleur car il avait été videur
de la taverne de son père. Il savait comment vider les poches car il devait
surveiller les pickpockets.» Voilà des justifications bien tordues pour
expliquer que le perso a des compétences de voleur mais n’en est pas un... Tout
cette démarche est à côté de la plaque parce que
Le système est important(Ptgptb) et que dans D&D1
(et AD&D) c’est la
classe qui donne les compétences. C’est pratique, facile et rapide, mais si tu
veux choisir tes compétences, faut jouer à Runequest !
- Wick se crée un passé de personnage en béton, parce qu’il préfère les persos
bien fouillés. Le Maître de Jeu n'a rien demandé, et ne tient pas compte dans
son scénar, ni n'arque son scénar autour du background du PJ. Pourquoi ? Parce
que le MJ est un affreux ludiste qui se fout des persos et de l’univers de jeu
et ne s’intéresse qu’aux stats des monstres ? Non ; c’est parce que c’est one-shot
de conv’. Dans une campagne, on prend plus de temps pour épaissir l’historique
de son perso, trouver des raisons de courir l’aventure avec les autres PJ, les
faire se rencontrer et discuter pour créer un groupe, et exploiter leur background
par des intrigues secondaires. Dans une convention, on n’a que 3 heures pour
aller cogner la liche dans son repaire.
John Wick se plaint que D&D ne récompense pas la création d’historique de
personnage.
« - Je dois souligner que le jeu en lui-même n'exige pas que je fasse tout
cela. Il n'y a aucune règle ou mécanisme qui le nécessite et il n'y a aucune
règle ou mécanisme qui m’en récompense. »
(L’auteur aurait préféré être récompensé de ses efforts. Qu’est-ce qui
distingue un ludiste qui tente d’obtenir des récompenses par ses victoires,
d’un narrativiste qui veut obtenir une récompense par ses histoires ?)
- Est-ce que Warhammer, l’Appel de Cthulhu ou Vampire, offrent des
points ou des bonus à celui qui écrit 15 pages d’historique à son personnage ?
Non. A ma connaissance, seul Ambre le fait. Il faudrait donc
« déclasser » 95% des jeux de rôles existants ?
-
Est-ce qu’un JdR donne des XP au perso prêtre pour faire des prêches, l’artisan
pour créer des objets, etc. ? J’ai entendu dire que Chivalry & Sorcery le
faisait, mais que c’en était injouable, chaque
personnage allant faire sa quête dans son coin....
John Wick se plaint ensuite de ne pas être en phase avec les autres joueurs :
« Alors que nous marchions, j'ai commencé à bavarder avec les autres
personnages. J'étais très bavard. Ils me réprimandèrent pour avoir ralenti
l'aventure. Pas mon personnage. Mais moi. Il me réprimandèrent pour avoir joué
mon rôle. Visiblement, je jouais au mauvais jeu »
Remarquez la supériorité du français, où l'on distingue et traduit selon les
cas "game" par "jeu" ou "partie". Wick découvre que les attentes des autres
joueurs sont différentes des siennes. Donc il ne jouait pas la bonne PARTIE à la
bonne table, pas avec le bon MJ ni les bons JOUEURS - pas forcément au mauvais
JEU.
L’auteur aurait pu être réprimandé par des joueurs ludistes à n’importe quel jeu
! Découvrir que d’autres joueurs n’ont pas les mêmes priorités n’est pas une
nouveauté, ni une avancée, à part pour l’auteur. De plus, les autres joueurs auraient peut-être aussi aimé faire parler leurs persos…
s’ils n’avaient pas conscience, eux, de la brièveté d’une partie de convention…
et peut-être voulaient-ils jouer l’aventure plutôt que de passer la moitié de la
partie à faire discuter leurs persos dans l’auberge.
Si les autres joueurs et le MJ aimaient le roleplay, ils lui auraient fait de
gentils sourires et l’auraient félicité de sa prestation. Mais il en faut pour
tout le monde : les autres joueurs de cette partie savaient, eux, en
s’inscrivant à la partie, que D&D est un jeu d’aventures épiques.
Ils auraient été contrariés par des règles qui les auraient forcés à
l'interprétation alors qu’ils n’en auraient pas envie. Est-ce qu’ils font du jeu de
plateau pour autant? Mais au lieu de se conformer à l’ambiance générale ou de
respecter les autres, John Wick rejette en bloc jeu, règles et joueurs par un
jugement hâtif, biaisé par son mépris de ses partenaires, « forcément bourrins
puisqu’ils jouaient à D&D ».
6.
Une pratique du JdR qui détruit autant la partie que
ce qu’il dénonce.
- « Pendant ce temps,
j'ai volé tout ce que j'ai pu. Lorsque j'étais seul et que je trouvais quelque
chose, je le gardais. Je devais sauver la taverne de mon père, quels que soient
les obstacles. Encore une fois, je jouais mon personnage, mais contre l'intérêt
du groupe qui était le partage du trésor »
– Contradiction de l’auteur, qui cherche plus haut la coopération entre
joueurs, mais finalement préfère jouer à fond son personnage : « je suis un
SIMULATIONNISTE. Je plante la coopération (et la partie), mais c'est parce que
je joue mon perso! ». « Je suis un
NARRATIVISTE. Je favorise l'intrigue. Mon intrigue. Pas la vôtre.»
Mais qui donc a défini son personnage de telle façon que le jouer
l’oppose au groupe ?
- « Et quand l'aventure fut terminée, je dis que je prenais ma retraite. Ils
me regardèrent tous avec incompréhension. Je leur rappelai que la seule raison
pour laquelle j'avais fait tout cela, c'était pour sauver la taverne de mon père »
- quel intérêt de jouer à fond son perso, quand on est le seul à le faire ? Et
puis, en quoi l’auteur fait-il rebondir l'aventure d'une manière intéressante et
narrativiste, s'il y met fin en mettant son perso à la retraite ?
En fait, l’auteur essaye de présenter comment il a renvoyé chez eux ces bourrins
d’autres joueurs, alors qu’il a tout simplement saisi la première opportunité
plausible de quitter une partie qu’il n’aimait
pas. Après tout, il aurait été tout aussi cohérent de dire que son personnage,
une fois les dettes paternelles réglées, avait pris goût à l’aventure et
confiance en lui. Il ne se contentait plus d’être fils d’aubergiste et, tel
Murat, allait terminer Maréchal d’Empire et roi de Naples...
Le simulationnisme poussé à l’extrême plombe l’ambiance : « je joue mon perso et
je vous emmerde ». « Je tue le perso de Julien car mon perso a de bonnes raisons
pour cela ; moi le joueur je sais qu’il est innocent, mais mon perso ne le sait
pas ».
Tandis que le narrativisme extrême crée les ennuis : « on va dire que mon
perso et celui d’Eric sont rivaux pour le cœur de la même dame. Quel beau drame
et quels beaux conflits on va créer ! ». Tant qu’à raconter ses expériences de
jeu, j’ai joué à une campagne de ce genre, et au bout d’un moment les
personnages s’entretuaient ou se séparaient. Cela ne fait pas des parties
amusantes.
- « L'équilibre du jeu consiste à permettre à un joueur de raconter
son histoire sans éclipser les autres personnages » – en effet, en l’absence
d’autres joueurs narrativistes, l’auteur tire la couverture à lui avec son perso
plus fouillé ! « MJ, n'oublie pas que selon mon background ceci et cela, MJ je
te prends 45 minutes en tête à tête ». Piste intéressante soulevée là par
l’auteur. Comme il ne considère jeux de rôles que les JdR narrativistes, il
cherche à en équilibrer les sessions, à réussir à combiner les historiques des
persos pour ceux-ci aient le même « quart d’heure de gloire » dans l’aventure.
Malheureusement, cet article-là reste encore à écrire.
John Wick comprend confusément qu’il y a contradiction entre d'un côté un simulationnisme
appuyé et de l'autre une partie sans engueulades ou qui n’éclate pas en plusieurs
aventures-solos. Cependant, la recherche d’un
équilibre vraisemblance/jouabilité n’est pas l’objet de son article, qui se
borne à constater que D&D est ludiste, ni ne favorise formellement une
bonne entente.
7. D&D combien ?
Anecdote : au Monde du Jeu 2009, un membre du Grog fait un tour sur le
stand, histoire de voir ce qui se joue. Là, il tombe sur deux tables avec des
floorplans, des figurines etc. Surpris, il retourne à la table d'accueil et je
demande pourquoi le Grog partage son espace JdR avec du jeu
de plateau.
Sauf que le jeu en question était D&D4, en plein Gameday...
On a voulu voir dans l’article de John Wick une critique de D&D4 ; or,
cet article a été écrit avant sa sortie, et d’ailleurs débute par le
commentaire de rumeurs sur son système de règles … avant de dévier.
Wick ne traite donc pas des similarités entre D&D4 et les jeux de plateau
ou l’influence qu’ont pu avoir les MMORPG sur sa conception marketing. Quant au
jeu de
l’anecdote de la RPGA, c'est D&D1 ou AD&D.
Bref, pour Wick D&D, AD&D, les autres éditions, tout est pareil depuis 30
ans. C’est à se demander pourquoi les joueurs de D&D
opposent
telle ou telle éditionptgptb…
C’est très superficiel. Pour une réflexion étonnante et profonde sur la manière
dont D&D était joué à ses débuts, et conduit à jouer d'une certaine
façon, allez plutôt lire Un examen sans
complaisance de Dungeons & Dragons.
Conclusion :
Cet article est une immense fumisterie. Il est à la fois beaucoup moins que ce
qu’il ne paraît, et très à côté de la plaque.
La raison pour laquelle il a fait tant de bruit, alors que ce n’est qu’un
brouillon de début de réflexion de l’auteur au saut du lit, c’est que le seul
slogan que l’on en retient est « D&D n’est pas un jeu de rôle ».
La riposte est tout aussi disproportionnée lorsque des milliers de rôlistes se
lèvent en s’exclamant : « je joue à D&D depuis 1978 et ce n’est pas un
jeu de rôles ? ». Ils oublient qu’ils ne jouent pas à la même version, ou y
jouent différemment qu’à leurs débuts. Ou encore les donjonneurs tentent
de se justifier : « il y a du roleplay dans mes parties de D&D et
d’ailleurs page tant il est écrit que le MJ peut donner des XP pour une bonne
interprétation ». Donjon n’est pas fait pour ça. Assumez-le.
De toutes façons, faut-il une règle et une incitation pour chaque élément d’une
partie de JdR ? Une bonne ambiance grâce à une bonne interprétation et une bonne
entente ne sont-elles pas des récompenses en elles-mêmes ?
John Wick écrit en conclusion : « Je ne suis pas encore
complètement satisfait de cette définition » En effet, cet article est un travail d’étape
de sa réflexion, pas son aboutissement.
-
La définition de John Wick est incomplète, partisane, ignorante de la
composante ludiste des parties mêmes de JdR.
-
Elle n'engage que ses préférences LNS, sans les nommer.
Wick amalgame :
-
Manière de jouer des joueurs de RPGA et des
joueurs de D&D;
-
Manière de jouer ludiste confondue avec « D&D »;
-
Réciproquement, manière de jouer narrativiste/simulationniste et
« jeu de rôles ».
-
Son article introduit, toujours sans les identifier, des préférences de
méta-jeu (coopération entre joueurs et équilibre du temps de parole), qu’il ne
traite pas. Cependant il soutient que le méta-jeu est absent de D&D,
puisque il ne l’a pas vu chez ces joueurs.
-
il n’apporte pas d’analyse nouvelle (sauf pour lui) sur D&D.
-
il pointe « D&D » du doigt, sans distinguer les différentes éditions,
et oubliant tous les autres jeux de rôles qui ont les mêmes propriétés.
La discussion est déviée vers l’éternel débat "pour/contre D&D".
La mention de D&D
devient un écran de fumée.
Cet article constitue une régression, rendant opaque ce qui est éclairci
par le LNS.
Wick présente, dans son récit de partie, les autres joueurs (de D&D,
incidemment) comme des bourrins qui le regardent avec des yeux de boeufs
lorsqu'il fait du roleplay. Il stigmatise ainsi la manière de jouer
ludiste, et s’inscrit dans une vieille tendance ‘anti-ludiste‘ qui consiste à
diviser la communauté des rôlistes avec d'un côté les bourrins / grosbills maximisateurs, et
de l'autre les intellectuels qui font du roleplay et de belles histoires.
Rien de nouveau : « C'est à ce moment que je me suis rappelé qu'un certain
individu, qui eut un rôle très important dans l'origine du jeu de rôle, m'avait
dit - en face – que je ne jouais pas au jeu de rôle du tout, mais que j'étais
juste un « acteur de théâtre amateur contrarié ». Mais il ne faut pas dire de
mal des morts. »
Un jour Gary Gigax a dit à John Wick qu’il ne faisait pas du jeu de rôles.
Maintenant John Wick dit aux joueurs de D&D qu’ils ne font pas du jeu de
rôles. Evidemment, ils présentent leurs définitions comme exclusives. Mark Rhein-Hagen
se vantait déjà dans Vampire de transformer les « joueurs » en « Conteurs »,
avant que l’on accuse à leur tour les joueurs de Vampire de se délecter
du nombre de dés de dommages qu’ils pouvaient infliger...
Il est toujours aussi stérile de lancer des polémiques sur qui joue « vraiment
du jeu de rôles », et qui le « dénature ». Il est dangereux pour notre
loisir de créer des distinctions, des clivages bons/mauvais joueurs ; de se
disputer ; d’exclure sans tenter de comprendre. Le Jeu de Rôles c’est l’ensemble de ces
manières de jouer, et d’autres peut-être qui n’ont pas encore étés inventées ou
répertoriées.
Dieu sait que à PTGPTBvf, on encourage d'autres manières de jouer en traduisant
des articles orientés comme le narrativiste mener des Jeux d'Histoires
qui veut changer le nom même Jeu de Rôle; ou
le manifeste de Turku, qui insiste sur
l'immersion (simulationniste) du joueur dans le personnage. Et comment chaque
mention des possibilités ouvertes par un JdR indé mentionné nous fait
rêver. Dieu sait que j'ai
comparé une partie de AD&D avec Magic et à un jeu vidéo. Pourtant, il ne nous
viendrait pas à l'idée de jeter le bébé avec l'eau du bain, de rejeter un pan de
l'activité rôliste, le jeu qui en est le porte-drapeau, et ses joueurs que nous
avons été au moins une fois (même pour décider que ce n'est pas notre tasse de
thé).
La communauté rôliste n’a vraiment pas besoin de se diviser, mais au contraire
de reconnaître et d’assumer que sa pratique satisfait simultanément différents
besoins.
Si vous êtes intéressés par des articles qui aurait été des réponses au courant
anti-ludiste, je vous invite à lire plutôt
pitié pour les pauvres diables (ptgptb)
ou L'évolution du Grosbill (ptgptb)
de Monte Cook, dont tous les paragraphes de cet article semblent répondre à
celui de John Wick. Je me contenterai d’en reproduire deux :
C’est énervant et stupide pour des gens investis dans un minuscule loisir de
niche comme le JdR de critiquer la façon dont les autres jouent. C’est
exaspérant, en particulier, de voir des rôlistes avec plus d’expérience tourner
les nouveaux “gros bills” en ridicule sous prétexte qu’ils seraient stupides ou
immatures.
Vous avez été un jeune rôliste vous aussi (vous êtes peut-être un jeune rôliste
maintenant). Vous avez apprécié ces premières expériences, simples histoires et
cet insouciant Porte-Monstre-Trésor. Laissez donc d’autres joueurs les apprécier
à leur tour. Ne dénigrez pas, ne ridiculisez pas les expériences des autres
juste parce que vous êtes déjà passé par là.
Rappar est le koordinator de l'équipe des traducteurs de PTGPTB.
Vous voulez vous battre
autour de D&D4 ?
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