[1] NdT : powergamer dans le texte. L’auteur indique
son synonyme le munchkin : un grosbill plus gamin, qui fantasme, et
s'amuse à tout casser. |
Un mal rôde autour du jeu de rôle et son nom est le grosbillisme
[1].
Les grosbills sont ces joueurs dont le principal intérêt pour
le JdR réside dans l’amélioration de leur personnage jusqu’à
des niveaux ridicules. Ils veulent les objets magiques les plus puissants,
le plus de fric, les plus gros flingues ou la plus grosse réserve
de sang. Et également souvent au détriment du plaisir des autres
joueurs.
Cela peut même conduire jusqu’à la triche. Ca peut sembler
un concept étrange, dans un jeu qui n’a soi-disant pas de gagnants,
mais nous avons tous des récits de quelqu’un qui s’est amené
dans une partie avec un personnage possédant le maximum dans toutes
les caractéristiques, et tous les objets magiques de la-mort-qui-tue. De
même, ces gens-là cachent les dés qu'ils lancent derrière leurs mains et semblent faire des jets critiques fichtrement
souvent.
Toutefois, il est aussi trop facile de simplement se moquer du grosbillisme
ou de le rejeter : nous devons étudier sa cause et sa place dans notre
loisir. Pour comprendre d’où vient ce type de comportement, je pensais
examiner mes motivations pour le jeu de rôle. Etant donné qu’être
meneur de jeu est quelque chose d’un peu différent, je me
concentrerai
dans cet article sur pourquoi je veux être joueur dans une partie.
Il y a un élément social très important dans
le jeu de rôle. Ce n’est pas un jeu auquel vous pouvez jouer seul (ça
rend sourd…), aussi toute personne qui souhaite jouer doit être intéressée
par la rencontre d’autres personnes. Généralement cela
signifie aussi, au moins au début de sa carrière de rôliste,
faire de nouvelles connaissances, car on trouve rarement des rôlistes
sous les sabots d’un cheval.
Presque tous les jeux de rôles amènent pour partie à
s’évader de la réalité. Dans l’ensemble, nous ne jouons
pas pour analyser de grandes questions philosophiques ou sociales (bien que
quelques tentatives, peu judicieuses à mon avis, aient été
faites dans ce sens, notablement par White Wolf).
Presque toutes les parties
se déroulent dans des lieux ou à des époques imaginaires
et incluent des éléments fantastiques comme la magie ou le
voyage supraluminique.
J’aime également la stimulation intellectuelle liée aux
défis, aux énigmes ainsi que l’excitation de l’action et des
combats. Cela est très similaire au frisson qui nous parcourt lors
de la lecture d’un bon polar ou devant un film comme Predator. Si la tension
est bien exploitée, que les épreuves sont ajustées
à un niveau de difficulté qui est stimulant mais reste possible, alors l’effet
est des plus plaisants.
Enfin, les aspects dramatiques du jeu de rôles m’éclatent
tout particulièrement. J’aime interpréter le rôle de
quelqu’un d’autre, être amené à faire et dire des choses
qui ne seraient normalement pas dans mon caractère. En outre, si le
jeu permet de développer et de faire évoluer son personnage,
on peut alors s’attacher à lui au bout d’un certain temps. Nous nous
rappelons tous de ces grandes campagnes où, après avoir commencé
avec un magicien de bas niveau avec deux points de vie, nous arrivions finalement
à un stade où, après s’être caché des monstres
et avoir utilisé des sorts inappropriées avec créativité pendant
des lustres, nous faisions trembler les démons les plus puissants
devant notre magie dévastatrice.
Voici mes raisons un peu dans le désordre, et je suis sûr
que vous pouvez vous retrouver dans chacune d’entre elles. Alors, les grosbills
sont facilement compréhensibles : ce sont les joueurs pour qui le
dernier but est celui qui domine les autres. Leur principale motivation est
l’accumulation du pouvoir, qu’il soit dans les caractéristiques du
personnage ou dans la possession d’équipement magique ou de haute
technologie. Un simple désir d’être le meilleur des meilleurs,
le vampire le plus effrayant, le combattant le plus fort ; bref, de gagner.
Vous auriez pu penser qu’il n’y avait pas de gagnant en jeu de rôles,
mais il n’en est rien. Tout d’abord, il y a le but commun de
l’aventure : vaincre la corporation maléfique ou le magicien fou,
mais je ne parle même pas de cela. Il y a toujours de la place pour
une réussite personnelle, gagner plus d’expérience, plus
de pouvoirs, ou de plus grosses griffes. N’importe quoi qui les rende meilleur,
ou, encore mieux, meilleur que les autres joueurs. C’est cette faim de puissance
qui mène les grosbills. Mais qui parmi nous peut nier avoir eu de
tels désirs ? N’avons nous tous aucune envie que notre personnage devienne
un héros, une légende, une star ?
C’est la même chose pour la triche. Avant de pointer un doigt
accusateur, combien d’entre nous peuvent dire qu’ils n’ont jamais «
accidentellement » fait tomber un dé malheureux, ou modifié un
tant soit peu ses caractéristiques ? Quel MJ n’a jamais laissé
un joueur relancer les dés à un moment critique, ou permis
aux joueurs de bricoler un poil leurs jets de caracs ? Pourquoi
faisons-nous ces choses, s’il est pas possible de gagner ? C’est parce qu’elles
rendent notre expérience ludique plus amusante. Elles nous permettent
d’améliorer notre statut dans le jeu, de jouer un peu plus la vedette,
de nous rapprocher du héros de cinéma parfait que nous souhaitons
être, et nous empêche de disparaître comme un élément
du décor. En ce qui concerne les MJ, la bidouille est particulièrement
importante pour améliorer un peu la fluidité de la partie,
pour être sûr que les héros sont des héros. Il doivent
faciliter suffisamment la tâche des personnages pour qu’ils ne soient pas
tous tués lors de la première rencontre.
Vu sous cet angle, la majorité des grosbills ne trichent pas
beaucoup plus que le reste des rôlistes. S’ils en arrivent là,
cela devient visible et finalement, plus personne ne veut jouer avec
eux.
Toutefois, l'accent qu'ils mettent sur le gain personnel encourage la magouille, et c’est un trait qui leur a donné
une mauvaise réputation parmi les joueurs qui ne jouent pas de cette
façon. Les joueurs qui considèrent que tricher est apparenté
à un péché mortel. Qu’est ce qui peut être fait
concrètement contre cela ?
Je dois avouer que tout le problème ne vient pas des grosbills,
mais des autres joueurs qui sont trop enclins à clamer que le grosbillisme
n’est pas du jeu de rôle « correct ». Après tout,
qu’est-ce qui ne va pas dans le grosbillisme ? La vaste majorité des
jeux ont un système d’expérience. Plus vous jouez, plus votre
personnage devient puissant. Le grosbillisme est ainsi inclu de fait. Si
vous n’aimez pas, alors jouez à un jeu où cela n’arrive pas
(comme le Traveller original qui n’a pas de système d’expérience
du tout, ou des jeux où la progression des compétences est
liée à la découverte d’un maître et non pas aux
jets de dés). Mais si vous vous amusez à un jeu qui encourage
le grosbillisme d’une façon ou d’un autre, il est alors un peu fort
de critiquer cette pratique.
Le grosbillisme en tant que tel est une approche valable du JdR.
Malheureusement, comme les joueurs se concentrent sur les aspects d’acquisition
du jeu, ils ont tendance à ignorer d’autres aspects. Il leur reste
encore l’aspect social, mais il tend vers la compétition avec
ses pairs plutôt que vers la sociabilité. Ce type de joueurs
approche les situations dramatiques ou les énigmes en tentant de réduire
l’opposition à l’état de pulpe sanguinolente, plutôt
que d’explorer les valeurs, les circonstances, les limites et la culture
du monde présenté par le meneur de jeu. C’est en définitive
de l’évasion, mais on peut certainement se demander si des occupations
imaginaires aussi violentes sont bien saines. Ainsi, on peut certainement
critiquer la pauvreté de l’approche grosbilliste.
Mais d’un autre côté, de nombreux – la plupart – des
jeux informatiques d’aujourd’hui, tels que Quake, Rumble ou même
Baldur’s Gate, encouragent de telles formes de jeu. Si on les prend en compte, avec
une grand partie des jeux de plateaux, des jeux de cartes et des jeux de rôles
présents sur le marché, il n’est pas difficile de s'apercevoir que c’est un style très populaire.
Nous devrions alors le reconnaître
pour ce qu’il est, et accepter le grand rôle qu’il joue dans notre
loisir.
Et pourquoi pas, l’adopter et le soutenir parce que non seulement les grosbills
représentent une part significative de notre loisir, mais aussi une
majorité des jeunes et des nouveaux joueurs. Sans les grosbills, notre
loisir n’existerait pas. Et ce sont ces gens que nous nous permettons de
snober ?
Cela ne veut pas dire que vous devez les accueillir à votre
table, mais d’un autre côté, ne les rejetez pas non plus systématiquement.
Une façon de résoudre le problème est de jouer cartes
sur table au début de la partie.
En général, vous n’iriez pas voir
un film dont vous ne connaissez rien. Ca peut être la même chose
en jeu de rôles. En tant que MJ, tentez de vous faire une idée
des motivations de tous vos joueurs. Assurez-vous que chacun y trouve son
compte, et il n’y aura pas de désaccord majeur.
En tant que joueur,
vous pouvez aussi y participer. Dites à votre MJ ce que vous aimez,
et facilitez les choses pour les autres joueurs. C’est un peu de travail
en plus, mais cela vaut le coup, si vous ne voulez pas passer une douzaine
de sessions de quatre heures à tuer des orcs alors que votre personnage
est un poète romantique, ou passer des semaines à discuter
des subtilités de la cérémonie du thé alors que
votre hache de bataille +8 est assoiffée de sang !
Une autre approche est de déplacer les récompenses
de la partie, depuis les points d’expérience simplement vers l’expérience
du jeu lui-même. Cela réduira les opportunités de compétition.
Les MJ peuvent aussi tenter de faire ressortir le caractère des PJ
en leur présentant des situations ou le combat est complètement
innaproprié ou contre-productif
; comme obtenir un indice vital d’un
enfant autiste ou d’un Dieu Très Ancien. Cela mettra tous les personnages
sur le même niveau, quelles que soient leurs compétences de combat,
pour que chacun puisse avoir sa part égale de gloire.
Il y a de la place pour tout le monde dans le jeu de rôle.
Non seulement dans le milieu rôliste, mais aussi autour d’une même table. La
cohabitation entre les grosbills et les autres est simplement une question
de travail et de découverte de ce que les joueurs et le MJ veulent dans
leurs parties. Le jeu de rôles est un loisir qui a de nombreuses facettes,
et tous nous y jouons pour de nombreuses raisons. Avec de la préparation
et de la tolérance, les parties pourront facilement offrir quelque chose
pour chacun.
Après tout, dans le milieu du JdR, un personnage-joueur d'un joueur grosbill
pourrait simplement être vu comme un matérialiste.
La société ne les regarde pas d'un si mauvais oeil que ça,
et nous devrions en faire autant.
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