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Des médias au media : réclamer une place pour les JdR

par J.S. Majer

débat sur la question "Est-ce de l'art ?"

[1] NdT : Red Dwarf est une série comique de S-F de la BBC. Le Red Dwarf est un vaisseau minier dont le technicien raté, Rimmer, fait des commentaires au début de chaque épisode.

Le jeu de rôle est-il un art ? Une question stupide s'il en est, mais utile pour trouver des cibles. La première chose que cette question touche est une version du paradoxe du dictionnaire - "Le paragraphe introductif de Rimmer" pour vous autres fans de Red Dwarf [1]. Pour répondre à la question initiale, une série de questions doit être posée : qu'est-ce que l'art, qu'est-ce qu'un jeu, qu'est-ce qu'un rôle, qu'est ce que jouer, qu'est-ce qu'un jeu de rôle ? Et chacune de ces questions provoque davantage de questions de telle sorte qu'une réponse à la question initiale ne peut jamais émerger.

La pire d'entre toutes est la question sur ce qu'est l'art. Etant un sale membre de l'intelligentsia, je casse ma bouteille sur le bar lorsque quelqu'un dit "Qu'est-ce que c'est que l'art de toutes façons ?" et je me prépare à la baston. Il y a des paroles comme ça qui cherchent les ennuis. C'est particulièrement ennuyeux car ils ont tendance à traîner dans toutes sortes d'esprits lourdingues, étant donné que tout le monde peut en parler. Alors comme ça le Dr. Rotwang!(ptgptb) éructe de piètres imprécations sur les définitions subtiles du gang des intellos en chandails noirs à cols roulés. Eh bien considérez que je suis le vengeur des culs-terreux de Saint-Germain des Prés.

Tel que je le conçois, aux débuts d'Hollywood, la question de savoir si un film pouvait être de l'art était tout aussi controversée. C'était une question secondaire à côté de celles de savoir si ce media avait une quelconque longévité, ou même une rentabilité. La pertinence de ceci par rapport au sujet traité est dans la façon dont les monteurs pensaient ces choses. Les monteurs ne voyaient certainement pas ce qu'ils faisaient comme de l'art. Le montage était un artisanat, un savoir-faire, et un métier qu'ils pratiquaient. C'était une technique, une profession qui impliquait un certain type de compétence et beaucoup s'offensaient vraiment à l'idée qu'ils puissent être des artistes. Ils se considéraient comme des prestataires. Ils n'étaient même pas appelés monteurs mais "coupeurs" et c'est ce qu'ils faisaient : ils coupaient des pellicules. Ce dernier terme acquît ensuite une connotation péjorative, faites donc bien attention à la façon dont vous l'utilisez en société.

Bon, est-ce que le montage était moins artistique que ce qu'il en viendrait à acquérir plus tard ? Peut-être, mais dans une grande mesure, la réponse est non. Et est-ce que le montage nécessitait moins de compétence quand il en vint à être considéré comme une forme d'art ? Ne répondez pas par l'affirmative s'il y a des monteurs dans la salle. Technique et qualité artistique, forme et fonction, ces concepts sont comme les Frères Corses: frappez l'un et vous blessez l'autre, et ils s'en vont tous les deux, main dans la main, le long des collines de la vérité et de la beauté.

Est-ce que je veux dire, qu'un jour lointain, par analogie avec l'histoire ci-dessus, tout ces gens qui nient que leurs JdR soient de l'art vont commencer à se considérer comme des artistes ? Au Diable les étiquettes ! Ce qui est important c'est à quel point votre partie est bonne. Pour dire les choses clairement: les meilleurs artistes n'ont aucune idée de ce qu'est l'art, les pires critiques le savent toujours. Il vaut bien mieux ne pas l'appeler "art" et maîtriser une partie belle à faire pleurer les dieux que d'appeler ça "art" et jouer des parties qui ont davantage à voir avec la démonstration de votre maîtrise des tropes [3] et des personnages qu'avec du divertissement.

Non, je suis sérieux. Combinez "As I Lay dying" et " Absolom, Absolom"[de Faulkner], changez tous les personnages en Phoebe Cates et faites en une chanson chantée par le Bloodhound Gang et voilà Dr. Rotwang! Bien sûr me lire est comme lire une mauvaise traduction d'un catalogue sanscrit de poterie humoristi- quement obscène. Mais il s'agit de notre "tour de main" comme ils disent dans le métier. C'est pour ça que vous êtes en train de lire ceci.

Cela renforce cependant un argument important. Une réponse définitive à la question "est-ce que les JdR sont de l'art ?" ne changerait pas grand chose. Si je concevais la preuve logique ultime assurant que les jeux de rôles sont de l'art, cela ne vous toucherait guère. Pourquoi ? Samedi prochain vous devez toujours trouver comment vous allez faire pour que les personnages-joueurs rencontrent les sbires du prince, ou si vous allez finalement réussir à rattraper ces pirates qui vous ont pris votre vaisseau. Même si vous le saviez, vous devriez toujours mener ou jouer une partie. Et comme la corrélation entre théorie et pratique est pour le moins ténue, le problème fondamental qu'est la création de cette bonne partie hante les lieux comme un fantôme.

"Mais" comme je suis certain que les deux d'entre vous qui lisent encore ceci sont en train de penser "Dr Rotwang ! A déjà confusément signalé ces considérations (NDLR : Pour ceux d'entre nous qui ne sont pas des culs-terreux de Saint-Germain, ceci est une irruption de lucidité.) Il a déjà écrit sur ce que nous pouvons retirer de l'art. Quel est votre but dans cette réitération ?" Ah ! Mais je n'ai pas l'intention de faire une réitération, j'ai pour objectif d'aller plus loin dans cette présentation.
Alors que j'aime son article, je n'aime pas sa théorie fondamentale.

Dr. Rotwang a approché la question d'un point de vue radicalement pratique. Prenez ceci, ne prenez pas cela. Prenez cette convention cinématographique et ce style théâtral, et ne prenez pas celui-ci qui est mauvais. Je n'aime pas ce pragmatisme.
Pourquoi cela ? Je suis d'accord avec David Thomas dans son article(ptgptb) qui précède celui du docteur. Le JdR est un objet en soi et le laisser se faire trop corrompre par d'autres formes artistiques est une hérésie. Cependant, étant un théoricien, je vois davantage de liens.

Ce qui fait des bons scénaristes, acteurs, metteurs en scène, conteurs, écrivains ou même peintres est la même chose que ce qui fait un Meneur de Jeu : la maîtrise d'une technique spécifique plus un sens de la composition. Cependant, des formes artistiques de tout genre ont eu des effets des plus importants sur ce que sont les JdR aujourd'hui. C'est ce point qui sera l'objet de mon attention.

Prenez-le donc comme une généalogie. Une généalogie n'est pas une histoire. Si vous voulez une histoire, eh bien regardez dans les numéros précédents de ce zine. Au lieu de cela, c'est une tentative de relier le jeu de rôle à ses ancêtres qui, plus souvent qu'à leur tour, étaient chargés d'une intention artistique. La question de savoir s'il s'agissait toujours d'art peut être discutée, mais ils étaient tous des médias, et ils ont tous eu une influence.

Ceci ne concerne pas la façon dont le jeu de rôle en lui-même s'est développé, mais ce qui a fait que le jeu de rôle est ce qu'il est. Je m'intéresserais aux rôles joués par la littérature, les films, la télévision et les jeux vidéos.

[2] NdT: les romans de gare imprimés sur du mauvais papier. Comme la série des Bob Morane chez nous.

La littérature nous a appris quels genres de parties seraient jouées. Que les probabilités vous bénissent Professeur Tolkien. La fiction nous a donné des mondes, ou des graines de mondes, nous donnant un squelette auquel accrocher nos pratiques. La fiction nous a donné des idées, et inspiré nos idées déjà existantes. Mais nous devons aussi étudier les types de fiction qui ont été choisis. C'était toujours, ou presque toujours, de la fiction "de genre" comme on dit avec moquerie : Science-Fiction, Horreur, Fantasy, etc.

La plupart des fictions de genre ont leurs racines dans le monde des pulps [2]. Les fictions des pulps étaient des productions bon marché, des histoires totalement gratuites qui contenaient généralement peu de ce soi-disant mérite artistique bien que, dans leur ensemble, elles possédaient une valeur propre. Je suppose que c'est de ces fictions pulps que nous tenons des notions comme celle de "l'aventure", ou encore l'idée que les aventures sont censées être liées ensemble dans une espèce de structure en épisodes, qui se focalise habituellement sur un ou des personnage(s) central(aux). Cela nous a aussi octroyé de fortes notions de bien et de mal, bien que cela puisse éventuellement être perçu plutôt comme un protagoniste et un antagoniste clairement identifiés.

[3] NdT : Les tropes sont les figures de styles où des mots ou des éléments de narration sont employés avec un sens différent de leur sens habituel. (Métonymie, métaphore etc.).
Chaque genre développe ses tropes spécifiques, intelligibles pour celui qui connaît les référents.

[4] NdT : Les personnages secondaires de Star Trek portent le T-shirt rouge et meurent invariablement les premiers.

C'était la création d'un nouveau symbolisme. Alors qu'une partie venait de prédécesseurs plus anciens comme Homère ou Malory, la plus grande part était neuve et fut aspirée dans les JdR. On pouvait lire un extrait de l'histoire à un gamin de quatre ans et il savait exactement de quel côté était chaque personnage. Simplement, une multitude de tropes [3] s'étaient développés au cours des années concernant qui était le personnage central et qui porte la chemise rouge, pour être légèrement anachronique [4]. Je ne pense pas que la notion de Seigneur du Mal ait jamais été ébranlée, et ses racines les plus profondes sont dans les pulps.

Il y a aussi une emphase sur le combat et sur une forme spécifique de combat qui a été importée dans les JdR et que j'appellerais l'approche "en essaims de sbires"- pensez à la vieille série télé Batman ("En couleur !").
Et enfin, il y a les poses kitschos du JdR qui n'ont jamais vraiment été ébranlées. J'ai des frissons chaque fois que je vois un dessin qui défie les lois de l'anatomie par Boris "Mais comment tient-elle debout?" Vallejo. Larry Elmore, malgré les fortes protestations de certaines personnes qui disent le contraire, ne vaut guère mieux. Ce n'est pas seulement une question de largeur d'épaule et de formes généreuses, mais une question de conventions et de stéréotypes. Pourquoi est-ce que vous iriez dans une bataille au corps-à-corps vêtu seulement d'un pagne ? Pourquoi est-ce que tous les sorciers ont une barbe, quelle que soit sa longueur ou sa couleur, à l'exception du "jeune apprenti" ? Pourquoi est-ce que tout le monde est blanc de peau ? La réponse à toutes ces questions réside dans la fiction de genre kistchos et aux présupposés inconscients racistes, sexistes et anti-vieux très répandus dans la mentalité des années cinquante.

La télévision et le cinéma ont eu des effets similaires. La plupart des films qui ont retenu l'attention des rôlistes étaient plutôt du genre pulp et ainsi générèrent les mêmes types d'influence que les pulps auparavant. Les deux médias, après tout, empruntaient autant aux pulps que les jeux de rôles. Ils ont rendu accessibles plus de genres à plus de personnes, donnant ainsi davantage d'incitations à jouer à plus de gens.

La différence réside dans une question d'échelle. Laissons de côté toute consternation sur la mort de la littérature ; le fait qu'ils puissent être consommés avec beaucoup plus de facilité a amené davantage de gens aux domaines que la fiction de genre avait créés.

Et ne commencez même pas à envisager l'aspect "Intention de l'artiste" ; c'est une toute autre bataille

La fiction pulp, quelles que soient ses vertus, ne s'est jamais considéré comme faisant partie de la culture dominante (à quelques exceptions notables près). Elle n'a jamais essayé. Il y avait un public et le public était nourri. Les films étaient, ou sont devenus, après deux cas d'énormes succès, des objets de culture de masse à gros tirages (Il s'agit de La guerre des étoiles et des Dents de la mer pour vous autres fans des quiz culturels). La télévision l'a fait aussi, mais les façons dont elle a créé une monoculture sont légèrement différentes de par sa nature. Par leur caractère épique, les films avaient davantage une histoire à nous raconter. Ces histoires sont restées en nous, dans nos esprits et notre culture.

Nous savons tous, absolument tous, très bien quoi attendre d'un empire interstellaire et ces attentes s'expriment lors de nos parties. Même quand elles ne sont pas satisfaites, le fossé entre les attentes et leur réalisation est important car il remet en question. L'absence de réalisation rend l'aberration encore plus visible. Prenez Traveller par exemple. A cause de La guerre des étoiles et hum, du christianisme, "empire" signifie empire du mal. La plupart des gens ne savent même pas ce qu'est un empire à part être maléfique. Cependant dans l'univers de Traveller, l'Imperium est neutre si ce n'est bon, et tout aussi bonhomme que n'importe quelle forme de gouvernement interstellaire. Ainsi, les attentes ont été pulvérisées.

Les histoires issues des films ont fourni un ensemble important de modèles concernant comment une histoire devait se dérouler lors d'une partie de JdR et à propos de quoi cela devait parler. La télévision a aussi accompli cela mais d'une manière différente. Elle a donné aux jeux leur structure en épisodes.
Les pulps pourraient avoir eu cet aspect mais le rôle de la télévision en a converti davantage grâce à sa meilleure couverture mais aussi à cause de ses limites. Un livre peut être, et sera, aussi long qu'il a besoin d'être, et ce d'autant plus que les auteurs de pulps étaient payés au mot. Une série télé a une contrainte précise de temps, et l'épisode est lui-même inscrit dans une autre limite de temps: la saison. Ce n'est pas une coïncidence si ces deux choses correspondent fortement à la séance et à la campagne.

Les JdR avaient cependant davantage de possibilités que les émissions de télévision, n'étant pas limités à période de temps aussi précise. En fait, on pourrait dire que chaque séance distincte de JdR tient davantage de la structure d'un film, tandis que l'enchaînement des thématiques au-delà d'une seule séance correspond mieux au genre de la télévision.

Le rôle de la télévision est peut-être en train de changer. Enfin, peut-être pas en train de changer, mais quelque chose est advenu, qui a absolument changé les choses pour les JdR; c'est Babylon 5. Je n'ai vu qu'une seule saison de cette série et je ne suis donc pas un expert, mais le jour ou j'ai entendu Mike Pondsmith (Le directeur de R.Talsorian Games) en parler et s'émerveiller devant le concept d'arc narratif, j'ai su qu'il allait y avoir du grabuge.
Aujourd'hui il est sacrément difficile de trouver un JdR qui n'ait pas un arc narratif (ou une méta-intrigue comme disent les jeunes) de quelque sorte. En fait, il est tout aussi difficile de trouver une série télévisée qui n'en ait pas un tout au long.

Je ne vois aucune façon dont le théâtre a influencé les JdR, pas de façon importante tout du moins.
La dimension physique du théâtre tend à effrayer la plupart des rôlistes. C'est un type d'interprétation complètement différent que l'on trouve dans le théâtre, ou l'on ne doit pas seulement être intellectuellement le personnage en question mais aussi son avatar physique. En fait, je tenterais d'argumenter que nous avons fait davantage pour le théâtre qu'il n'en a fait pour nous. Après tout, nous avons au moins amené la notion d'interprétation d'un personnage, et l'expérience de celle-ci à bien plus de gens. D'un autre côté, certains des meilleurs joueurs que j'ai eu étaient des hybrides.

En fait, une partie du problème est peut-être que les notions de JdR et de production théâtrale sont si implicitement semblable dans leur ton. Après tout, combien de fois avez-vous entendu définir le JdR comme étant " du théâtre avec des règles ?" Le théâtre a certainement encouragé le mouvement GN, étant donné que le GN, quel qu'il soit, est horriblement proche du théâtre, au point qu'ils en sont parfois indifférenciables.

L'influence la plus importante de nos jours vient des jeux vidéos ; des jeux que les JdR ont aidé à définir à leurs débuts.
Les JdR n'ont pas forcément créé les jeux vidéos mais ils ont changé la façon dont ils se sont développés. Il y a même un genre de jeux vidéos appelés "Jeux de Rôle", dont nous savons tous qu'ils ont autant à voir avec les véritables JdR que les poulets avec les singes. Je parle bien des jeux d'arcade ou jeux de plate-forme par opposition aux jeux sur ordinateur. Il s'agit davantage de Space Invaders que de King Quest. Même si les jeux d'aventure ont peut-être ouvert la voie aux jeux d'arcade, ce sont ces derniers qui ont fini par être plus important. Les jeux vidéos avaient l'avantage d'être plus répandus, ce qui était du à leur plus faible coût d'entrée sur le marché, tout en étant obligés, par nature, d'être plus simples.

Les jeux vidéos ont beaucoup empruntés aux conventions du JdR : Les donjons, la progression des personnages par niveaux etc., les redéfinissant au fur et à mesure. De l'aveu général, le développement des jeux vidéos et des JdR fut proche et de concert, mais la notion de conventions est la clé. Le concept de personnage, c'est évident, est un développement mutuel logique. Qu'il y ait des races différentes issues de la fantasy, ou que les sorciers doivent se reposer pour regagner leurs sorts, peut-être que tout cela vient de leurs antécédents artistiques communs. Mais le principe de codifier strictement tout cela avec des règles précise pour les gérer, c'est une notion de Jeu de Rôle. Et puis, des foules de petits détails, comme les trolls qui régénèrent ou les magiciens qui sont incapables d'utiliser de véritables armes, ne peuvent avoir leurs racines que dans notre domaine.

Maintenant que les jeux vidéos sont devenus un domaine en soi, les influences changent de sens. J'ai entendu des gens dire, lors de parties "Ca doit être le boss de fin de niveau", ou "attends une minute, frappe, sauvegarde, frappe, sauvegarde" et ainsi de suite.

Mais le signe le plus évident de cela, je le vois dans la nouvelle édition de D&D. Bon, j'admets que je n'ai qu'une connaissance superficielle des règles de la troisième édition étant donné qu'il faut encore que j'en fasse un examen plus attentif, mais ce que j'en ai vu va dans cette direction. Le signe le plus fameux est l'une des nouvelles notions concernant la façon dont niveaux et classes sont reliés entre eux. Que certaines classes s'ouvrent lorsqu'un personnage atteint certains niveaux spécifiques est aussi vieux que la première édition. Les nouvelles règles, toutefois, le rendent bien plus commun et délicieux et comprennent l'idée qu'il en existe certaines dont les auteurs ne vous ont pas parlé. Bien plus qu'une façon pratique de vendre davantage de suppléments, cela contient la notion merveilleusement jeux video-esque de capacités cachées qui se révèlent si vous accomplissez les bonnes choses.

Alors qu'en est-il ? Ou veux-tu nous mener ? Il s'agissait en partie d'un désir de ma part d'ajouter mon petit grain de sel sur le débat entre JdR et médias, mais, comme vous devez supposer, l'article n'est pas à propos de cela. Mais il doit cependant aborder cette question. J'ai énuméré les façons dont l'art nous a changés, a changé ce que signifie être un rôliste et les manières dont les parties elles-mêmes se déroulent. Ce que je cherche à amener est la découverte de la prochaine étape logique que les jeux de rôles franchiront.

Les JdR et l'art partagent une très grande similarité, qui transcende les faits mécaniques que j'ai déjà cités. Les JdR et l'art ne sont jamais aussi bons que lorsqu'ils sont réflexifs. L'art, à son meilleur, possède tellement plus que la beauté. Quand l'art est à son apogée, il ne parle pas seulement d'esthétique mais atteint quelque chose de plus grand. Bon, je ne suis pas en train d'essayer de dire ce qu'est l'art, simplement ce qu'il fait. Que ce soit en capturant l'esprit de son époque par l'affirmation éloquente d'une vérité humaine, ou les deux dans le cas qui nous concerne, l'art de qualité accomplit tout cela. L'art est fort quand il reflète la culture dont il provient, lorsqu'il explique, d'une certaine manière, qui nous sommes.

Le problème de la plupart des arts dans notre monde actuel, est la lutte pour savoir quelle culture est représentée par l'art. Ceux d'entre nous qui sont aux Etats-Unis en souffrent le plus, étant donné que cette nation tente d'extirper avec violence une définition d'elle-même à partir de son art.

Qu'est-ce que cela a à voir avec le jeu de rôle ? Les JdR aussi reflètent la culture. Un des plus beaux exemples nous vient sous la forme de la "Nouvelle Ecole" du jeu de rôle. Tous ceux qui ont connu ça pourront s'en vanter un jour auprès de leurs enfants. Je fais référence au raz-de-marée White Wolf.

Qu'est-ce que c'est que cette "Nouvelle Ecole"? Ce qu'elle est exactement est difficile à isoler, étant donné que qu'il s'agit autant d'allégeances idéologiques que d'une doctrine spécifique. Il s'agit principalement de la division entre les JdR orientés vers l'histoire et les personnages et ceux qui ne le sont pas. Mais elle contient aussi un rejet catégorique des façons de jouer, plus orientés vers le côté ludique et les chiffres. Vous voyez, c'est la Nouvelle Ecole car elle choisit de se définir comme telle, se situant contre une Vieille Ecole. C'est la Nouvelle Ecole parce qu'elle désigne un écart en terme d'idéaux avec ce qui se faisait auparavant.

Est-ce que White Wolf incarne toujours la Nouvelle Ecole, dix longues années après ses premières envolées ? Oui, car tant que la population des rôlistes se répartit encore le long de ces lignes de division, les écoles comptent encore pour quelque chose. Jusqu'à ce que l'une soit complètement balayée ou qu'une autre division significative apparaisse, ils incarnent toujours la Nouvelle Ecole, ou en sont au moins ses porte-drapeau. Qui se soucie d'une bande de Gothiques ? Laissez moi vous expliquer pourquoi vous devriez vous en soucier.

Les JdR ont toujours eux une part importante de populisme en eux, c'est à dire le pouvoir d'attirer à grande échelle. Ceci est prolongé par le fait que chaque JdR est un instrument par lui-même et en lui-même. Deux personnes peuvent jouer à Star Frontier et vivre une expérience complètement différente de ce que fut leur partie, simplement parce que tellement de choses dépendent du meneur et des joueurs. Mais l'archétype de ce en quoi un JdR devrait consister était toujours comme cela avait déjà été. Bien sûr, il y a eu des JdR qui ont cassé les règles. Ambre était sans dé, Pendragon mettait fortement l'accent sur l'histoire. Cependant ces jeux étaient des sous-cultures à l'intérieur d'une sous-culture. Un livre de règles était un livre de règles et lorsque vous en saisissiez un nouveau vous aviez une très bonne idée de comment vous alliez le lire, de comment il était conçu.

White Wolf n'a pas changé ce dernier point, pas complètement en tout cas. D'une certaine façon ils l'ont fait mais la taxinomie des livres de règles n'est pas mon fort. Ce qu'ils ont effectivement réussi à faire fut d'avoir leur propre petite révolution populaire. Ils ont vicieusement changé les usages concernant qui était censé jouer aux JdR et ce sur quoi les JdR devaient se concentrer. Par exemple, alors qu'avant tous les bons meneurs étaient conscients qu'il n'y avait pas vraiment de règles absolues, sacraliser cette règle comme la "Règle d'Or de White Wolf" était conçu pour changer la façon dont les gens pensaient leurs raisons de jouer et ce à quoi ils jouaient.

Plus important encore, contrairement aux autres jeux audacieux qui étaient sortis, White Wolf savait d'où lui venait son beurre. Ils n'ont pas simplement misé sur une idée révolutionnaire - on avait déjà misé sur des idées révolutionnaires auparavant - ils ont misé sur une sous-culture. Soudain il y eut un JdR qui était fait par des Gothiques pour des Gothiques. White Wolf s'est allié à une sous-culture en expansion et a brisé le goulet d'étranglement de la vieille sous-culture rôliste.

Cela leur a donné une grande liberté pour faire des choses qui ne se faisaient pas avant, et nous avons eu de la chance qu'il y ait eu des esprits clairvoyants à leur tête. Bien sûr maintenant ils sont eux-mêmes devenus l'ordre établi contre lequel on se rallie mais c'est une histoire qui n'a pas encore été complètement écrite. Les JdR, désormais, devaient tous progresser en tant que JdR ; depuis que quelqu'un avait prouvé qu'une grande idée pouvait fonctionner d'une façon que personne ne croyait possible

[5] NdT : Role-playing vs roll-playing, jeu de mots  sur l'opposition entre les JdR où l'on interprète un rôle, et ceux (vus comme plus bourrins) qui seraient plus des jeux de dés.

Comme Steve l'a fait remarquer(ptgptb), nous n'aurions pas toutes ces disputes à propos sur l'histoire, la narration et ainsi de suite s'il n'y avait pas eu White Wolf. Et les changements sémantiques entre "jeux de rôles / jeux de rouler de dés"[5] ainsi qu'entre "art du conte / jeu avant tout" sont radicalement importants. La notion intégrée dans "jeux de rouler de dés" est qu'il s'agit d'une sorte de déviance par rapport à une norme que nous pratiquerions tous : interpréter un rôle. Dire qu'il y a une différence essentielle entre raconter une histoire et jouer marque un fossé encore plus grand.

Tant de choses ont changé et la raison pour laquelle elles ont changé ne réside que partiellement dans le fait que les notions que White Wolf a amenées étaient neuves et révolutionnaires, mais bien davantage dans le fait qu'ils savaient interagir avec le monde au sens large. Ils savaient comment présenter leur "Nouvelle Ecole" de façon à ce qu'elle soit très attractive et pertinente pour un groupe important de personnes, et d'une façon telle que d'autres JdR, qui auraient pu être les annonciateurs de cette "Nouvelle Ecole", ne l'avaient pas fait. Ils savaient qu'une bonne idée ne suffisait pas, il fallait aussi un manifeste.

En conséquences, frères et sœurs ; soyez conscients de vos origines. Discernez comment vos JdR sont, par essence, des représentants du temps présent, par opposition aux reliques des temps dont nous sommes issus. Nous avons une longue histoire, et l'idée maintenant c'est de voir comment on peut vivre en dépassant ces origines. Le monde regorge d'idées révolutionnaires pour des jeux de rôle, mais se contenter de publier un JdR dans le genre "Fantasy Victorienne sous-marine" ne va plus diviser les foules. Les idées dont nous avons besoin maintenant ne viennent pas de l'art mais sont des idées qui sont complètement appropriées à l'époque dans laquelle nous vivons actuellement. Le truc c'est de les trouver. Et c'est la chose la plus intelligente que nous pouvons retirer des autres arts qui nous entourent. Ce n'est pas un conseil pratique mais une façon métaphorique de voir le monde.

Peut-être que vous pensez que l'art, de nos jours, n'est qu'un tas de boue. Plutôt que de mettre en doute la véracité de votre affirmation, tout ce que je peux dire est que votre JdR n'aura jamais l'éclat d'un JdR qui colle à son époque.

Il ne s'agit pas de dire, par exemple, que la science-fiction est "le prochain gros truc" mais qu'il y a une manière d'exprimer la science fiction dans un JdR qui est globalement appropriée et nécessaire au regard de la façon dont nous vivons actuellement. Ce pourrait être un JdR de science-fiction, de fantasy urbaine ou post-apocalyptique ; ou peut-être qu'il reposerait sur un seul genre mais ce n'est pas ce qui est important. Ce qui est important c'est qu'il existe un moyen d'exprimer ce genre qui colle avec ce que nous sommes en tant qu'humains, vivant dans le monde réel et actuel. Et c'est notre devoir, aussi bien comme concepteurs que comme meneurs, que d'incarner cette vision; et c'est celui des joueurs et des critiques de la soutenir.


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Traduit par JMS. Tiré de PTGPTB n°15, avec l'aimable autorisation de Steve Darlington. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord de Steve Darlington. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous copyright. La version originale peut être consultée sur le site de PTGPTB.