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Comment un Maître de Jeu obtient-il et conserve-il l’attention des joueurs? C’est
une question plus difficile que ce que pensent la plupart des joueurs. Je me
suis débattue avec ce problème durant des années. Autour de la table de jeu,
si je le désirais, je pouvais toujours recourir à enlever mon T-shirt, mais j’ai
déjà attrapé une bronchite et mon docteur m’a ordonné d’éviter toute
les expositions inutiles. En plus, cela marche moins bien pour les jeux en ligne
sans une webcam.
Généralement, quand cette méthode échoue, se concentrer sur les personnages
peut vous aider. Les intrigues qui sont centrées sur les forces et faiblesses d’un
personnage ; sur les mots énigmatiques d’un père à l’agonie ; sur la si
peu mystérieuse addition qu’ils laissent derrière eux, avec un sérieux mal
de tête et un besoin urgent de trouver comment se faire du fric. Ça, ça
marche aussi si je suis à cours d’idées. Mais même là, je me heurte à des
problèmes. Techniquement et théoriquement, les intrigues fournissent bel et
bien cette focalisation.
Mais…
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[NdT1 Ecrivain américain (1948-2007). Auteur de
la célèbre saga La Roue du temps qui fut adapté en JdR] |
Mais trop souvent, les joueurs veulent qu’on leur
donne le premier rôle, sans rien faire en contrepartie. Est-ce que l’ascension
du grand héros signifie grand-chose si elle se résume à retirer d’une
épée d’un gros rocher ? S’il n’y a pas de risque d’échec, la saveur
de la réussite serait elle aussi bonne ? Je défends le contraire. C’est
plus facile quand on écrit des romans, sans impliquer de joueurs. Vous pouvez
les forcer à rentrer dans le rang, ou juste les gommer de l’histoire : Bam
! Un mur s’est écroulé sur lui. Je crois que Robert Jordan [NdT1] l’a
fait au moins une fois. Mais en supposant que le MJ ait affaire à des joueurs
réels et qu’il ne soit ni complètement immature ni angoissé à l’idée
de fâcher ses joueurs, en général ce n’est pas une option.
Alors, récompensez-vous les joueurs fainéants pour qu’ils restent dans
votre groupe? Ou restez-vous fidèle à vos principes, et faites que les
joueurs suent pour gagner, même si vous savez que la moitié d’eux vous
quittera par frustration ? Jusqu’à maintenant en tant que meneuse, j’ai
toujours choisi la deuxième option. Mon mari (qui est aussi un MJ) semble
avoir moins de problèmes avec ceci ; que ce soit autour de la table ou en
ligne, il perd autant de joueurs (à l’exception d’un noyau dur de
partisans) - Ça ne le dérange que peu. Peut-être que c’est un truc de mec,
ils sont moins sensibles face au rejet. D’accord, personne n’aime être
rejeté, mais le cliché veut que les filles le vivent plus mal que les
hommes. Ils ne semblent pas y penser autant que nous le faisons ou l’intériorisons.
« Est-ce que j’aurais dû faire X ? Etait-ce parce que j’ai fait Y ? »
« Etait-ce mes cheveux ? Ou mon parfum ? Peut être que j’aurais du amener
le dé brillant et laisser la théière licorne à la maison. »
Cependant, nous nous écartons du sujet. Obtenir l’attention des joueurs n’est
pas le problème. Je l’ai fait - un nombre de fois incalculable en fait. C’est
la conserver. Alors, comment faites-vous sans compromettre vos principes? [Dans
les JdR en ligne,] La fréquence des intrigues semble jouer en notre faveur,
mais honnêtement, il y a une limite au temps que vous pourrez y consacrer
sans vous épuiser. Les choses sont toujours plus actives lorsque vous
maîtrisez des scènes avec des véritables intrigues [extérieures aux PJ].
Le problème est que les joueurs en ligne se pointeront pour regarder et se
disperseront ensuite, ignorant les allusions et des indices évidents, en
faveur de la « politesse » (même envers les PNJ), ou même ils refuseront
de travailler ensemble.
Les gens aiment se sentir spéciaux et importants. On dirait que leur
intérêt est au maximum lorsqu’on leur donne une intrigue qui les fait se sentir plus importants que les autres.
Bien sûr, le problème c’est qu’une fois que tout le monde est spécial,
plus personne ne l’est.
Le MJ peut alterner d’un joueur à l’autre mais si vous le faites trop
souvent, quand vous vous concentrerez sur quelqu’un d’autre, ceux qui
restent décideront que ça ne les intéresse plus étant donné qu’ils ne
sont plus au premier plan, et ils se mettront à vagabonder. Je dois admettre
que je trouve le jeu de rôle plus enchanteur quand j’ai l’impression que
mon personnage laisse une véritable empreinte et fait la différence dans la
situation ; que ça compte, qu’il ou elle existe significativement dans ce
monde.
Mais a-t-il besoin d’être le centre de l’attention ? Ou juste être
impliqué ? Si le personnage-joueur doit être Lilith, la redoutable reine que
tous doivent vénérer sous peine d’une mort atroce (Qu’elle le soit ou
non par les personnages plutôt que par les joueurs), il y a quelque chose qui
ne va pas.
Indubitablement, la faute peut être dans une certaine mesure rejetée sur l’intrigue
et pas sur les joueurs. Il y a deux types d’intrigues : celles qui tournent
autour des personnages et celles qui sont tirées par l’histoire. Et bien que
les intrigues centrées sur les personnages permettent de bien développer
ceux-ci, elles doivent en pratique passer au second plan, en faveur des
intrigues indépendantes des personnages qui marchent mieux pour faire avancer
les « gros morceaux » du jeu.
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[NdT2] Ailleurs sur notre site, Accepter
la créativité des joueurs(ptgptb) argumente en faveur de parties
orientés vers les joueurs |
Celles qui tournent autour des personnages gardent les joueurs impliqués - un
à la fois. Les faire se sentir exceptionnels et impliqués y concourt
beaucoup. Tout le monde ne doit pas être Personnage Principal, mais les
actions du MJ doivent leur faire ressentir, très tôt, que leurs personnages
ont de l’importance dans la partie et qu’ils contribuent à la façonner
[NdT2].
Je ne veux pas jeter la pierre seulement aux MJ. Il y a des intrigues ici ou
là qui peuvent impliquer tous les joueurs, mais le problème devient alors d’y
amener les nouveaux joueurs avant qu’ils ne perdent tout intérêt. C’est
davantage un truc de joueur.
Parfois c’est du pur hasard. Quand vous avez un groupe qui fonctionne bien
ensemble, vous avez touché le gros lot - et il y aura beaucoup de
lamentations quand les disponibilités ne parviendront pas à concorder, ou lorsque la
vie réelle réclamera son dû. Certaines fois il est inévitable qu’un
groupe se sépare. D’autres fois, un groupe ne trouve pas son unité. La
meilleure manière que j’ai trouvée jusqu’à présent pour unir les
joueurs est un plan si ingénieux et si secret que les organisations
pyramidales me paieraient pour avoir le privilège de compulser mes notes. Et
ici et maintenant, pour la première fois, je les révèle au public.
Le secret ? Le tutorat.
Lorsqu'un nouveau joueur arrive, je lui assigne un mentor parmi les joueurs
déjà en place. Il ne sait pas qu’il est épaulé bien sûr ; mais le
joueur expérimenté devient son pote. Il est mis au courant des moindres
détails du jeu, de l’intrigue à ce jour, aidé pour les caracs ou la
création du personnage, et en gros le Mentor est sa bouée de sauvetage pour
trois à cinq séances. A la fin de ces trois ou cinq séances, s’il n’est
pas totalement intégré, je le confie à un autre joueur établi.
Si après que deux ou trois joueurs aient suivi et conseillé le nouveau
participant, il n’arrive pas à trouver sa place, laissez-le nager ou se
noyer. Soit il y arrive soit il n’était pas le bon. Des fois ça arrive,
non ?
Alors qui est à blâmer quand un joueur n’est pas intéressé et ne
participe pas ? Est-ce la faute du maître du jeu, ou est ce la
responsabilité du joueur ? Ce que j’en pense ?
Je pense que c’est une responsabilité partagée - mais en fin de compte,
vous récoltez ce que vous semez. Si les joueurs attendent de leur meneur qu’il
chante, danse et monte un spectacle, ils ne font pas du jeu de rôles; c’est
plutôt l’heure d’allumer la télévision. De même, aucun Maître de jeu
ne peut s’attendre à ce qu’un joueur apporte à la table plus que le MJ.
Alors, qui amène le Pschiit orange ?
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