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Les facteurs de distinction

Robin D. Laws

Une technique de marketing pour vos jeux

 

 

Si vous désirez réellement comprendre la culture dans laquelle nous vivons, lisez quelques livres d’introduction au marketing.

J’entends déjà les hurlements d’agonie de désespoir de certains d’entre vous en réaction à cette suggestion. Et croyez-moi, je comprends votre douleur. Toutefois, quiconque éprouvant de l’hostilité envers l’influence envahissante des techniques de vente sur les discours publics serait bien avisé d’apprendre les bases de la pensée marketing, ne serait-ce qu’en pur mécanisme d’auto-défense. La meilleure défense est l’attaque, en quelque sorte.

Je dois personnellement reconnaître avoir une ambivalence profonde quant à la vision du monde d’un expert en marketing. D’un côté, je gagne ma vie par mes efforts créatifs et souhaite voir mon travail, ainsi que celui des autres, reconnu pour ses mérites, à un niveau brillant de pureté incandescente. Ou quelque chose comme ça. De l’autre côté de l’équation, je regarde autour de moi et constate qu’une foule de mes collègues consacre temps, efforts et argent à tenter de vendre leurs jeux sans le bénéfice des principes de marketing qui leur seraient utiles pour trouver un public. Pour plus de précisions sur ce syndrome, voir notre autre article, Méchantes vérités sur les bonimentsptgptb

Qu’on le veuille ou non, le fait est que les principes de marketing fonctionnent car ils identifient les éléments de communication qui vont réellement capter l’attention d’un public, et persister en mémoire après coup. Cela pourrait nous faire reculer d’horreur alors que nous sommes bombardés de publicités qui ne s’adressent même pas à nous, ou alors que nous voyons des partis politiques que nous détestons alimenter des électeurs vaguement attentifs en messages trompeurs.

Pourtant, en tant que maîtres de jeu, nos buts sont sensiblement similaires à ceux des virtuoses du marketing. Nous cherchons avant tout à capter l’attention des joueurs, et à leur laisser des souvenirs vivaces de leurs expériences lors de nos parties.

La plus puissante des idées du marketing est celle du facteur unique de vente. Pour faire simple, les annonceurs doivent être conscients qu’il faut insister sur l’élément du produit qui le rend différent de tous ses concurrents. Sans facteur unique de vente, personne n’a de raison de faire attention à ce que vous proposez.

Cette idée a des applications bien au-delà de la promotion des savons et des condiments. Utilisez-la pour que vos parties sortent du lot. Pour vendre un nouveau produit qui réussisse, un facteur unique de vente doit y être incorporé. Lorsque vous vous mettez au travail pour créer le jeu de rôle ultime, pourquoi ne pas commencer par dresser une liste des facteurs qui le différencient des autres ?

Avant toute chose, souvenez-vous que ces différences doivent être perçues comme positives par vos joueurs. Vous recherchez des éléments distinctifs sympas pour rendre votre campagne de Vampire, ou de Dying Earthgrog ou de D&D, différente de tout ce à quoi ont pu jouer vos joueurs jusqu’ici, ou qu’ils joueront à l’avenir. Prenez garde à ne pas en faire un facteur différenciant négatif, qui priverait le cœur du jeu de ses éléments distinctifs et attrayants. Une campagne de Vampire dans lequel aucun de vos joueurs ne peut être un parangon du style gothique sera vraisemblablement vu comme différente de façon péjorative. De même qu’une campagne de Dying Earth mettant en avant une morale sentimentale ou une campagne de D&D privée de l’accumulation compulsive de pouvoir.

Cela ne signifie pas qu’aucun groupe n’acceptera jamais votre version révisée d’un JdR populaire. Contrairement aux annonceurs, vous avez l’avantage de connaître votre public-cible sur une base personnelle. Peut-être que votre groupe est fait de suffisamment d’enthousiastes expérimentateurs pour pousser les limites d’un JdR populaire jusqu’au point de rupture. Plus vraisemblablement toutefois, ils vous laisseront procéder avec une tolérance feinte à vos bidouillages sur les éléments qu’ils apprécient, et se désintéresseront avec le temps.

Des JdR au concept avancé, dans lequel une identité de groupe est présentée aux joueurs dès le départ, font d’excellents facteurs de vente. Définissez toujours une activité de base dans le concept du groupe. Idéalement, ce serait un raffinement de l’activité de base de votre JdR.

Par exemple, le jeu de rôles Dying Earth propose trois activités de base apparentées, en fonction du niveau de puissance que vous souhaitez pour la partie. Dans une partie au niveau Cugel (puissance faible), l’activité de base est :

Vous êtes un groupe de bons à rien errants d’escroqueries en escroqueries -se faisant escroquer- ou bien tombant dans de picaresques problèmes.

Votre concept avancé pourrait être :

Vous êtes un groupe de bons à rien qui hériteront d’une fortune colossale si vous trouvez la personne la plus crédule de Dying Earth, selon les critères du daihak Crondowel.

Vous conservez ainsi les facteurs de vente du JdR original, tout en ajoutant votre propre niveau de détail qui explicite immédiatement aux joueurs ce qui est attendu de leurs personnages. Si la campagne se déroule bien, et qu’ils se la remémorent avec émotion, ils se souviendront de cette accroche narrative. « Ce n’était pas une partie de Dying Earth classique. C’était celle où nous avons recherché la personne la plus crédule au monde. »

Les jeux avec des activités de base simplistes peuvent se distinguer par des développements assez directs. Une campagne de D&D peut être rendue différente en focalisant les pillages de donjons autour d’un type d’ennemi particulier, que ce soit des elfes maléfiques, des horreurs extra-dimensionnelles ou des conspirateurs lisant les pensées.

Plus un groupe a d’expérience sur un JdR et un univers donnés, plus il sera ouvert aux déformations et variantes de la formule de base. Si vous jouez tous à L’Appel de Cthulhu depuis une décennie, vous êtes peut-être suffisamment imprégné de sa mythologie pour apprécier une partie où vous n’incarnez pas un groupe d’investigateurs occultes pourchassant les adorateurs de dieux indiciblement extraterrestres, mais un groupe de fidèles impliqués dans des représailles contre une organisation d’investigateurs occultes.

Complétez votre concept avancé avec des touches de styles plus modestes. Je choisis souvent de nommer les PNJ, autant que les PJ, selon une convention particulière. Dans une partie récente, les personnages avaient tous des noms métonymiques exprimant des traits de caractères essentiels, comme ceux que vous pouvez trouver dans les drames de la Restauration et les romans de Dickens. Pour la partie suivante, les personnages principaux arboraient tous des pseudonymes basés sur des noms de rues du coin. Pour une prochaine partie, prenant place dans un monde standard de Fantasy, les PNJ auront tous des noms anglais [au lieu de s’appeler K’Ndror le barbare].

D’autres touches peuvent être de toujours avoir une référence artistique pour les PNJ principaux, puisées dans de vraies peintures d’une période donnée. Vous pouvez choisir un thème musical que vous jouerez au début des premiers épisodes de votre campagne.

Toutes ces techniques renforcent la même idée fondamentale : vous ne jouez pas à ce même vieux classique encore une fois. Vos joueurs n’auront jamais la possibilité de jouer une autre campagne exactement identique.


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Traduit par Thomas Krauss. Tiré de See p.XX, avec l'aimable autorisation de Robin D.Laws et Pelgrane Press. 
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