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Selon mon bon vouloir

Robin D. Laws

Les systèmes de règles protègent qui, de quoi ?

 

Une des possibilités fantastiques du système de règles d’un JdR est d’offrir des compromis sans négociation. Le processus normal de discussion donnant-donnant par lequel les gens résolvent les questions de préférence ou de gratifications collectives est intrinsèquement déformé.

Disons que nous sommes trois - vous, moi et Bérénice - et nous sommes en train de décider ensemble quel film nous allons voir ce soir. Si nous discutons ferme jusqu’à parvenir à une conclusion, les chances que nous arrivions à véritable compromis objectif entre nos préférences sont plus faibles que si nous avions introduit un système de règles pour y parvenir.

Dans un processus de négociation, une foule de facteurs émotionnels et interpersonnels entrent en jeu. Vous pouvez être plus doué pour argumenter les mérites de vos choix que nous autres. Bérénice peut être complaisante, tentant plus de paraître accommodante que d’exprimer ses vrais souhaits. Je peux être porté sur le chantage émotionnel, prêt à bouder et râler si je n’ai pas ce que je veux. Notre simple échange sur le film que nous voulons voir ce soir tournera probablement en votre faveur ou la mienne, laissant Bérénice souhaiter en son for intérieur avoir pu exprimer ses désirs.

Si, au lieu de cela, nous nous asseyons chacun de notre côté pour établir un classement des films que nous voulons aller voir, et qu’ensuite nous comparons les listes pour trouver le film qui a été le mieux classé par nous trois, nous avons éliminé les problèmes interpersonnels. En supposant que nous avons créé un système de jeu qui ne puisse pas être contourné par un joueur malin, nous avons estimé nos désirs communs de façon correcte.

Créer ensemble une expérience de partie de jeu de rôles requiert un état de compromis permanent, à la fois entre les joueurs mais également entre les joueurs et le MJ. Le système agit comme un agent de la circulation de nos désirs narratifs. Je veux toucher l’orc. Vous voulez amadouer le singe afin qu’il virevolte sur la poutre pour aller prendre l’amulette. Bérénice veut lancer son sort de boule de feu. Le MJ veut que la rencontre serve de menace moyenne, qui entamera nos ressources sans nous tuer. Il espère qu’elle va se dérouler assez rapidement et laisser du temps pour que la rencontre paroxystique ait lieu ce soir.

Nous avons tous fait appel au système pour qu’il parle pour nous dans ce compromis sans négociation. J’ai créé mon personnage en optimisant son potentiel offensif. Vous avez dépensé des points pour que votre singe soit un animal familier utile. Bérénice n’a pas seulement chargé son perso en boules de feu autant que son niveau le permettait, mais elle a aussi appris les règles par cœur pour savoir exploiter à fond leurs failles. Le MJ a utilisé le système de conflit pour ajuster du mieux possible la menace à ses contraintes de temps et au degré de mortalité voulu.

Des règles finement définies, claires et détaillées ajustent l’équilibre du pouvoir en faveur de la volonté commune des joueurs. Ici, le MJ n’est qu’un participant adressant des requêtes au système et espérant obtenir le résultat escompté. Les systèmes souples, sans dés ou focalisés sur l’histoire donnent au MJ plus de flexibilité pour déterminer les issues possibles. Ils lui offrent de nombreuses opportunités de décider des résultats selon son bon vouloir et de les orienter vers ses buts.

Tandis que les systèmes rigoureusement déterminés distribuent le pouvoir de façon équitable dans le groupe de jeu, ils augmentent l’imprévisibilité des résultats. Plus le nombre d’éléments de règles impliqués dans la résolution est important - caractéristique des personnages, effets des sortilèges, capacités des créatures, compétences et ainsi de suite - plus il devient difficile de prévoir ou de contrôler le résultat final. Le système donne une solution au compromis entre les désirs. Le dénouement peut être surprenant, bancal et même arbitraire dans sa distribution des récompenses et punitions. Comme dans la vrai vie.

Dans un système déterministe, le MJ a peu de marge une fois que la rencontre a commencé. Il a posé verticalement la moitié des dominos. Les autres joueurs et vous avez placé l’autre moitié, même si ce n’est pas nécessairement de façon coordonnée. Lorsque le dé roule, les dominos commencent à tomber. Plus vraisemblablement, je pourrai tuer des orcs, vous réussirez votre truc avec le singe et Bérénice pourra lancer quelques boules de feu. Mais il est possible que les boules de feu réagissent de façon imprévue avec le pouvoir étrange d’une créature, tuant instantanément tout le monde sauf le singe.

Les systèmes qui laissent la résolution précise dans les mains du MJ lui permettent d’imposer sa volonté au groupe, s’il est un MJ égoïste et inattentif aux autres. Toutefois s’il est sensible et astucieux, il travaillera à prendre la place des règles de compromis inhérentes à un système déterministe. Il s’assurera non seulement que la rencontre soit assez intéressante et rapide, mais il me laissera aussi tuer des orcs, il vous laissera faire vos combines avec votre singe et Bérénice pourra cramer quelques fesses avec ses terribles boules de feu.

Les systèmes faiblement déterministes permettent au MJ d’inclure un semblant d’ordre dans le déroulement des choses. Les issues des actions rassurent par leur pertinence, comme lors d’une narration correcte, et ont moins le côté aléatoire et incontrôlé de l’expérience réelle.

Cela nous mène à deux questions, l’une philosophique et l’autre pratique.

Pour se débarrasser de la question pratique en premier, disons qu’un système lâche est aussi bon que le MJ peut l’être. Les résultats d’un système restrictif sont aussi bons que peut l’être l’œuvre collective de ses concepteurs. Toutes choses égales par ailleurs, on peut objecter que l’intervention active, judicieuse et à propos du MJ sera toujours plus adaptée aux besoins du groupe que l’interaction incontrôlée de points de règles éparses.

Cet argument met de côté la triste réalité, à savoir que la plupart des MJ, qu’ils utilisent des systèmes souples ou déterministes, ne sont pas particulièrement bons. (Néanmoins, je me hâte d’ajouter que si vous avez pris la peine de lire cet article, vous êtes sûrement un MJ d’un goût sans faille, d’une habileté inégalée et d’une beauté toute divine. [NdT : Comme moi].) Du point de vue du joueur, le compromis sans négociation issu d’un système de règles strictes vous protège plus d’un mauvais MJ que ne le fait un système flou dans lequel votre plaisir dépend de la qualité de la prise de décision de ce MJ.

Même quand vous jouez avec un MJ que vous appréciez et en qui vous avez confiance, vous ne serez pas toujours d’accord quand il jugera selon son bon vouloir. Dans ce cas, vous ne pouvez que vous retourner contre lui. Les JdR plus complexes permettent de donner libre cours à votre déplaisir sur le système - et de laisser au MJ le privilège de venir à votre secours en outrepassant le texte des règles visiblement erroné.

[NdT : que ceux qui s’étonnent du rapprochement entre bourrins et conteurs lisent : Les narrativistes, une nouvelle race de grosbills (ptgptb)]

La question philosophique concerne votre désir d’être satisfait par la narration. Voulez-vous que vos personnages évoluent dans l’univers régi par les causes et les effets de la narration, ou dans un univers contrôlé par les interactions moralement neutres de diverses forces de la physique ? Pour certains joueurs, c’est une question de goût : les conteurs et les bourrins peuvent rechercher les relations de cause à effet guidées par les lois de la fiction [NdT] , tandis que les tacticiens et les joueurs immersifs se tourneront vers les interactions de forces neutres. Dans d’autres cas, l’origine de votre préférence pourra être plus profonde, en lien avec votre façon de voir le monde.

C’est un choix qui pourrait relever soit de la négociation, soit du compromis.


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Traduit par Antoine Drouart. Tiré de See p.XX, avec l'aimable autorisation de Robin D.Laws et Pelgrane Press. 
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