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Premièrement, un avertissement : tout les narrativistes ne sont comme ceux
décrits ici. Je crois sincèrement que certains cherchent réellement une
nouvelle façon de jouer. Cependant, je ne suis pas persuadé que ces derniers
soient représentatifs de tout ceux qui se disent narrativistes. Les Grosbills
aiment gagner. Ils optimisent leurs personnages et exploitent les règles afin
de maximiser leur avantage durant la partie. Ce vénérable cliché du JdR,
selon lequel il n'y a ni gagnant ni perdant, n'est pas une philosophie à
laquelle ils adhèrent.
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[1] NdT : Gamma
World est des premiers JdR post- apocalyptiques, avec des
mutants. |
Ces dernières années, il y a eu un courant, illustré
par de nombreux JdR discutés sur The Forge
(mais que l’on trouve aussi dans des jeux de rôles plus grand public), à
donner aux joueurs davantage de contrôle sur les événements survenant
durant la partie. Le Métacontrôle. Il y a eu aussi une tendance à renforcer
l’importance de l’histoire par rapport à la simulation de la « réalité ».
Beaucoup de jeux des années 70 et 80 (mais pas tous bien sûr, je parle de
tendances) mettaient l’accent sur le réalisme, même dans les genres les
plus invraisemblables. On se référait au réalisme comme à une Cour Suprême.
Si une règle était irréaliste, c’était en soi et par soi un problème,
sauf si cette règle était spécifiquement et intentionnellement irréaliste
par nécessité (comme les mutations dans Gamma World [1]).
Cette philosophie est passée de mode dans la conception de JdR. Maintenant,
nous voyons de plus en plus de gens se référer en priorité à l'histoire.
Plutôt que de demander si quelque chose se produirait dans la vie réelle,
les jeux ont tendance à demander si cela se produirait dans les histoires ou
les films du genre concerné.
Le problème c’est que personne ne perd jamais dans les histoires ou dans
les films du genre concerné. Et c’est là que tout commence à aller de
travers.
Beaucoup de gens, en plaidant pour les jeux narrativistes, mettent en cause ce
qu'on appelle le facteur « cigarillo ». Vous vous représentez
votre personnage comme ce type super cool et il vous faut concilier cela avec
son échec quand vous faites un jet de merde. Dans les histoires de genre, les
héros n’échouent pas. Ils gagnent. Donc, quand l’accent est mis sur
l’imitation du genre, de nombreux joueurs comprennent que ça signifie que
leurs personnages ne devraient pas échouer non plus, qu’ils devraient
gagner. Tout le temps.
Nous voyons alors des mécaniques de narration où, lorsque quelque chose se
passe mal pour un PJ, le joueur dispose d’un droit de regard sur la scène
pour s’assurer qu’aucun échec ne puisse intervenir. Les systèmes de règles
dans de nombreux jeux intentionnellement narrativistes, particulièrement ceux
du style de The Forge, où les PJ, par définition, ne peuvent échouer, le
pire qu’il puisse se produire est qu’ils réussissent superbement mais que
quelque chose survienne pour maintenir la menace.
A mon avis, l’enjeu pour de nombreux joueurs n’est pas vraiment
l’histoire, ce n’est pas vraiment de créer une superbe fiction à sa
table. L’enjeu, c’est d’avoir son perso toujours à l’aise, ne ratant
jamais rien, tous ces trucs que l’on associait au grosbillisme jusqu’à ce
que les Grosbills trouvent une nouvelle et meilleure terminologie.
Comme je l’ai dit en préambule, tout les joueurs se décrivant comme
narrativistes ne sont pas comme ça, mais je pense que bon nombre le sont. Je
crois que beaucoup, si ce n’est la plupart, sont en vérité intéressés
par les mêmes trucs qui les ont toujours intéressés : le contrôle,
s’assurer que rien n’arrive qui ne soit différent de qu’ils souhaitent.
S’assurer que la partie est exactement comme ils veulent qu’elle soit,
sans désavantages et sans échecs. Gagner.
Voici une citation de la
critique de Godlike par Ron Edward, sur le site de The Forge ; il débat
de la possibilité offerte par les règles de jouer des commandos au lieu de
jouer des troufions de base :
« Cela paraît étrange, vous pouvez jouer des personnages de type TOG,
avec un putain d’énorme paquet de points de compétences en plus ou… pour
quelque raison que ce soit… ne pas le faire. »
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[2] NdT: une réponse très intéressante dans la compétence, c'est
surfait(ptgptb) |
Ben moi, cela ne m’a
jamais paru étrange. Vous pouvez jouer une campagne de commandos ou pas, et
si vous ne le faites pas, vous n’utilisez pas les personnages TOG (ceux avec
un tellement plus de compétences). Mais du point de vue du Grosbill (*), la
question est : pourquoi diable voudrait-on jamais jouer un personnage
plus faible ? [2]
Et voici l’autre aspect du problème : il ne s’agit pas seulement de
ne pas échouer, il s’agit d’être un des meilleurs et de ne pas échouer.
D’être super incroyablement puissant, classe, et de ne pas échouer.
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[3] NdT : OctaNe
: un décor post- apocalyptique ; les règles passent le contrôle du
résultat de l'action au joueur (4-5-6 au meilleur dé de 3d6) ou au MJ
(1-2-3), sous conditions. Wushu
: un système générique léger en règles, ambiance de films
d'action. Plus le joueur décrit son action, plus il a de chances de la
réussir.
Adventure ! des aventures
héroïques "pulps" à la Indiana Jones; avec des
règles pour tricher avec le destin, et d'éviter de mourir en général.. |
Donc, nous avons des sur-personnages qui réussissent toujours et ont toujours
l’air classe en le faisant. C’est ce sur quoi la plupart des parties
narrativistes ont l’air de se centrer réellement. Il s’agit de contrôle
et de victoire. C’est pourquoi, dans de nombreux jeux narrativistes, un bon
jet de dé donne le contrôle au joueur, et un mauvais jet au MJ. Le contrôle
est central, contrôler à quel point son personnage est cool et comment il
nique sa race. Avoir le contrôle est bien et autorise votre gars à redevenir
tout à coup incroyablement classe. Perdre le contrôle est mal, un jet échoué
signifie que le MJ décide ce qui se passe, vous n’avez plus le contrôle
total de la partie.
OctaNe, Wushu, Adventure ![3], à
certains égards, sont tous des jeux ou l’on incarne des super experts qui
n’échouent jamais vraiment et où les joueurs peuvent s’assurer que leur
perso a toujours l’air classe.
Il y a des gens comme Paul Czege qui sont véritablement novateurs, qui
créent véritablement des jeux narrativistes où l’on tente vraiment de créer
une expérience de fiction partagée. Où gagner tout le temps n’est pas
l’enjeu ; où il n’y a rien qui puisse être vu, même du
point de vue de PJ, comme étant à gagner. Mais Paul n’est pas particulièrement
représentatif. Ce qu’il fait ne me semble pas refléter la majorité de la
conception de jeux narrativistes (**). Pour chaque Paul faisant quelque chose
de véritablement nouveau, il y a une douzaine de types pour qui le
narrativisme, c’est pour jouer un super-PJ qui est protégé par les règles
du JdR contre l’échec, contre avoir l’air d’un blaireau, pour que
jamais il ne fasse autre chose que gagner.
En d’autres termes, un Grosbill, mais avec quelques points de trame en plus
(*) Non, je ne pense pas que Ron est un Gros Bill, la
citation est juste utilisée car elle montre bien là où je veux en venir.
(**) Franchement, je pense qu’il serait insultant de dire que Paul Czege est
juste un concepteur de JdR narrativistes. C’est un bon créateur de JdR, et
en tant que tel je pense qu’il crée ses propres catégories qui ne sont
qu’à lui.
Ndlr : Allez à http://www.halfmeme.com/
pour voir les jeux de Paul Czege, y compris « Ma vie avec mon
maître »[en anglais]
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