L'introduction de cette aventure d'Empire Galactique était
que les personnages achetaient des marchandises volées à des pirates, se
retrouvaient accusés de recel, et commençaient l'aventure proprement dite : la
chasse aux pirates.
Or, au lieu de lire l'introduction aux joueurs, avec les
personnages spectateurs, je décidai de la faire jouer. L'avantage de jouer un
long préambule: les joueurs ne voient pas venir l'intrigue à des kilomètres;
ils s'impliquent en douceur dans la trame de l'aventure, avec une illusion de
liberté .
L'intro n'était pas détaillée dans le scénario, mais
je comptais sur ma longue expérience pour l'improviser.
J'avais
tort.
Bien que la transaction ne portât que sur le
troc de 4 produits différents (logiciels et lingots authentiques contre tissus
peints et poudre de diamant volés), je réussis à m'emmêler les pinceaux
entre le nombre de mètres carrés de tissus et les kilos de poudre nécessaires
pour atteindre la valeur des logiciels offerts en échange...
Les joueurs veulent marchander : bon sang, je ne m'y
attendais pas du tout !!
Je n'avais pas prévu l'attitude des pirates
- vendeurs! Du coup,
face à l'interprétation des joueurs de leur marchandage, ma réponse fut...
oui... "lance le dé pour tester ta compétence"...
Je bâclai la revente : - "Alors pour revendre tes tissus
peints... euh... tu contactes Monsieur Meuble... (les joueurs rient de
désespoir devant un tel manque d'imagination)... te voilà en face de
l'acheteur... lance le dé pour marchander... bon tu rates de peu, ce qui nous
fait euh euh... un petit peu en-dessous de la valeur... tu lui vends 120 m² de
tissus à 200 Crédits le m², ce qui fait 230 000 crédits... euh non 240 000... Voilà tu reviens avec 240 000 Crédits (ouf !)"
Joueur : - ah ? C'est sympa parce que ces tissus nous
avaient coûtés 20 000 Crédits!
Moi: - oh zut!
<10 minutes de calculs fastidieux
plus tard...>
- Je me suis trompé d'un zéro, je veux dire 24 000 Crédits!
Joueur : - ah non, l'acheteur et le MJ se sont trompés,
on garde les Crédits !
<s'ensuit une dispute>
Cette introduction qui aurait dû être une mini-aventure
originale - on joue rarement les opérations commerciales - était devenue laborieuse.
Les joueurs ressentaient que c'était une improvisation, que l'aventure n'avait
pas débuté et ne s'intéressèrent plus à l'introduction.
Nous fûmes soulagés qu'elle finisse.
Et pourtant, un peu de préparation aurait suffi pour créer
l'ambiance et faire de la partie commerciale une aventure dans l'aventure, comme
dans la Campagne Impériale de Warhammer.
J'aurais dû fixer les prix et faire d'avance les calculs.
J'aurais dû créer quelques PNJ acheteurs pour pouvoir planter le décor et
dialoguer plutôt que de jeter des dés. J'aurais dû fabriquer ou récupérer
un petit tableau avec des taux de remise en fonction de la réussite aux dés...
Bref, moins de paresse et plus de prévoyance.
En impliquant plusieurs joueurs, comme pour les combats, et
pas seulement les marchands, le monologue plus haut serait devenu une mémorable
évocation :
Moi : - "après avoir examiné les tissus, leurs couleurs
vives et leurs sujets vous font spéculer qu'ils se vendraient mieux pour faire
des rideaux ou des housses de fauteuils que des vêtements. Après une soixantaine
de contacts infructueux, votre rendez-vous le plus prometteur est avec Marcus
Felzenwalbe <merci l'annuaire téléphonique pour trouver des noms !> responsable des achats de
la chaîne de magasins Les Beaux Intérieurs, spécialisée dans le mobilier
artisanal de luxe. Vous attendez trois quarts d'heure avant d'être reçu. M.
Felzenwalbe, marchand de grade 4 de la Guilde, un grand homme habillé très
strictement, vous reçoit dans une petite pièce avec un seul siège : le sien.
Il déclare, pressé: "alors, vous avez des
tissus à me proposer? "
Joueurs (entraînés par de si belles descriptions) : - "magnifiques tissus... très belle qualité.. artisanat primitif...
significations profondes des symboles... adapté à votre clientèle...
etc."
Moi : - "Bien votre argumentaire vous donne un bonus de +2
à vos jets de marchandage. Raté de peu ? M. Felzenwalbe fait la moue d'un air
déçu; ces tissus lui paraissent trop rustiques."...
Joueurs (impliqués et roleplayant): - "Mais si... !"
(...)
Moi : - "Finalement, cédant à un mélange de
pitié et de séduction, assorti de la promesse d'un dîner au restaurant avec
la marchande du groupe, vous arrivez à vendre 10 rouleaux de 2,5 x 4 m ...
(consultation de la table ad hoc)... 15% au-dessous du prix que vous espériez,
soit pour 25 500 Crédits au lieu des 30 000 que vous escomptiez dans vos rêves les
plus fous"... etc.
Le contraire d'improviser, ce n'est pas s'épuiser à écrire
des pages et des pages de scénarios, c'est prévoir un nombre minimal de notes
- clés, de croquis, de règles et de tableaux.
L'improvisation cela se prépare!
Vous avez des Maîtres de Jeu qui vous expliquent qu’ils
improvisent tout, et qu’ils n’ont besoin de rien. Pourtant, quand
ils improvisent des scènes secondaires, leurs PNJ semblent tous sortis
du même moule - quand ils ne portent carrément pas le même nom !
Quand on y regarde de plus près, ces scènes improvisées sont
désespérément pauvres et quelconques: PNJ sans épaisseur, décors interchangeables,
dialogues
minimaux…
Anticiper les actions des personnages
La préparation de l’improvisation consiste à anticiper les
actions des
personnages hors de la trame principale - et à
préparer des
aides de jeu pour pouvoir y répondre.
Si les PJ ont de l’argent, attendez-vous à ce qu’ils veuillent
acheter des
trucs et ayez les règles de marchandage à portée de main. S’il y a
un voleur
parmi les PJ, il tentera vraisemblablement de faire des poches ;
prévoyez une
table de rencontres aléatoires de « pigeons ». S’il y a un techie,
il voudra
bricoler des objets ; bricolez des règles d’explosions de
laboratoire. S’il y a
un religieux, il vous faudra des descriptions d’oratoires. S’il y a
un
netrunner… vous avez compris.
Ce sont des intrigues secondaires probables, et une fois que vous avez de quoi
les gérer pour une aventure, vous pourrez les réutiliser dans une autre. De
plus, les joueurs apprécieront que l'on soit ainsi tant aux petits soins pour
les aspects secondaires de leurs persos. Donc cela en vaut la peine.
Les règles maisons
"Mais enfin, doit-on faire des règles pour
tout?"
Je vais vous dire la Vérité: les règles servent à simuler. Simuler quoi?
Simuler les actions et les aspects importants de vos jeux. C'est pourquoi il
n'existe presque aucun JdR sans règles de combat, santé et magie - parce que
ce sont des aspects essentiels de la plupart des aventures. Vous devez penser
à ce qui sera important dans votre aventure. Dans mon exemple, j'ai essayé
de rendre important la partie "commerciale" du scénario, mais
n'avais préparé aucune aide de jeu pour la gérer.
Pour trouver ce qui est important dans une aventure, posez-vous la question:
"que doivent ressentir les joueurs?"
Une de mes plus grandes réussites de MJ fut une aventure de Star Wars,
qui se passait dans les mines de sel de Kessel. Je voulais que les joueurs
ressentent que leurs persos étaient en mortellement en danger. Ainsi, dans ma
version des mines, les détenus reçoivent de la nourriture en fonction de la
quantité de minerai extraite. Mais la quantité de nourriture ne suffit pas
à reprendre totalement des forces, alors les détenus extraient moins,
reçoivent moins d'aliments, et ainsi de suite, dans un cercle vicieux. Ceci
était caché par des test de la compétence extraction minière, et la
consultation de mon tableau maison, mais lorsque les joueurs prirent
conscience du mécanisme de lente extermination, ils devinrent stressés et
impatients de faire évader leurs personnages. Ainsi, j'avais voulu mettre
l'accent sur les dangers de la prison, et j'avais réussi grâce à une règle
maison.