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Systèmes de défense

Par Steve Darlington

Le jeu de rôles m'a sauvé du suicide

 

[1] NdT : Slashdot.org est un site web d’information et de débats très prisé des internautes "nerds". 

"Les gens ne doivent jamais être humiliés – c’est l’essentiel" Anton Tchekov

Février 2001

Il y a encore eu une fusillade dans une école aux Etats-Unis cette semaine. Je pense que nous en sommes maintenant au point où ça s'est produit tant de fois que ça n’attire même plus l’attention. C'est désormais l'ordre normal des choses. La fusillade de Columbine a eu droit à une grande colonne dans Slashdot [1], mais maintenant ce genre d'affaire ne fait même plus l'actualité, c'est pourquoi on ne se donne plus la peine de parler de celle-ci. C'est ce qui est effrayant.

Bien sûr, la raison pour laquelle ces événements ne font plus l'actualité c'est que nous connaissons tous la situation. Nous savons tous ce qui  la provoque et comment cela se termine. La sonnette d'alarme a été tirée et personne n’a rien fait, alors maintenant nous devons simplement apprendre à vivre avec. Il en va ainsi avec ce genre de choses – nous rabaissons simplement nos attentes jusqu'à accepter un monde dans cette disposition. C'est bien plus facile que de changer quoi que ce soit.

Et, dans le fond, il y a une certaine sagesse là-dedans. On ne peut pas changer les causes de cette situation, car cela relève de la nature humaine dans ce qu'elle a de plus profond. Les enfants, par leur nature même, peuvent être cruels et le seront sans arrière-pensées, et il n'y a aucun moyen d'empêcher cela. Les plus grands frapperont toujours les plus petits et ainsi de suite à l'infini. La seule chose qui peut changer c'est le système et l'environnement dans lesquels ces événements se produisent.

Ce n'est cependant pas parce que ce problème est inévitable que cela le rend acceptable. Ceux qui pensent que se faire persécuter, « fait simplement partie des choses qui font grandir » n'étaient certainement pas ceux qui recevaient les coups quand ils étaient jeunes. Se faire rudoyer peut causer d'immenses dommages psychologiques - en plus des dommages physiques - qui mettent des années à être surmontés. Chaque fois que vous en minimisez les effets, vous allez au devant d'une autre fusillade dans une école.

Bien sûr, un de ces changements s'est produit. Dans le passé, les brutalités étaient davantage acceptées, elles étaient considérées comme quelque chose qu'il fallait supporter. Les solutions habituelles proposées par les émissions télévisées étaient de le dire à vos parents, ou aux professeurs, et ils les feraient miraculeusement arrêter. Cela ne marchait pas, bien sûr, mais il ne semblait pas y avoir d'autres possibilités.

De nos jours, il y a beaucoup plus d'honnêteté dans les médias et on en parle aussi beaucoup plus. On se rend compte qu'il y a un problème alors on parle beaucoup plus de le résoudre (ou de faire porter la responsabilité à quelque chose).  Résultat : on présente toute une multitude d'idées et de plans, la plupart du temps au journal de 20h. Et alors une pensée se répand dans les esprits - si des garçons de Columbine ont utilisé un  flingue pour résoudre leur problème, alors peut-être bien que ça pourrait marcher pour moi.
Ce n'est pas un rapprochement d'idées que beaucoup de gens feront, mais de nos jours, on dirait bien que ça ressemble à une option. Et il n'en faut pas plus.

Et plus vous souffrez, plus vous êtes susceptibles d'essayer tout type de solution que vous pourrez trouver. Je viens tout juste de lire, pour mon travail (je suis épidémiologiste), des articles scientifiques qui traitent de l'usage des médecines alternatives et la conclusion la plus courante qui émerge, c'est que plus une personne souffre, ou plus son état est grave, plus elle est susceptible d'essayer les alternatives les plus diverses et les plus extrêmes. Le principe est le même pour tout - plus vous souffrez, plus vous vous sentez impuissant, plus vous envisagerez tout ce qui peut vous fournir une solution, ou une échappatoire. Et ce, même si cette solution pourrait paraître bizarre ou folle à la plupart des autres gens.

La recrudescence brutale des fusillades dans les écoles aux Etats-Unis n'a rien à voir avec une augmentation des brutalités. Cela révèle simplement une augmentation du nombre de gamins qui voient dans cette action un moyen de résoudre leurs problèmes. Si nous voulons empêcher cela de se produire, nous ne devrions pas concentrer nos efforts sur l’arrêt des brutalités car c'est impossible. Nous pouvons seulement nous appliquer à empêcher cette solution particulière de paraître viable. Malheureusement, plus cela se produit, plus cela devient difficile.

En Australie, le problème n'est pas tellement les fusillades (étant donné qu'il nous manque la culture des armes à feu qu'ont les Etats-Unis) mais le suicide. L'Australie a l'un des taux de suicide les plus élevés au monde, et la simple raison de cela est que le suicide est considéré comme une bonne option. Le suicide est presque sympa. Ma mère est enseignante, et l'année dernière l'une de ses étudiantes s'est suicidée. La lettre qu'elle a laissée, les témoignages des étudiants, les conversations dans la cour de l'école, tournaient tous autour des mêmes choses - combien le Paradis était agréable, et combien elle était heureuse maintenant qu'elle y était, au point que les gens discutaient de ce à quoi pourrait ressembler sa chambre au Paradis. C'était présenté comme quelque chose qui avait résolu les problèmes de cette jeune fille morte, d'une manière, en dernière analyse, positive. Et donc, encore une fois, cela a envoyé le message comme quoi c'était une option.

Je sais de quoi je parle, parce que quelques fois, j'ai moi-même été près de commettre cet acte. J'ai appuyé un couteau sur les veines de mes poignets tellement de fois que j'en ai perdu le compte. J’avais l’habitude de me tenir bien trop au bord du quai de la gare, espérant que le train me happerait, de telle sorte que je n'aurais pas à physiquement sauter devant. Heureusement, je n'ai jamais mis mes plans à exécution. Deux ou trois choses m'ont maintenu en vie. Une fut la simple peur. Une autre fut une famille forte et aimante qui m'a appris que me tuer n'était pas une option.

Et une autre a été les jeux de rôles.

J'ai toujours été un enfant plein d'imagination. J'avais l'habitude de disparaître dans mon propre monde imaginaire. Mais lorsque vient la puberté, la plupart des gens en sortent. Moi, je ne pouvais pas. Parce que j'en avais besoin pour survivre.

[2] NdT : le jeu de rôles Teenage Mutant Ninja Turtles (TMNT - Palladium, 1985) est basé sur les BD et les dessins animés des Tortues Ninja. Les personnages des joueurs sont des animaux mutants  humanoïdes. Ils vont de la fouine géante au rhinocéros nain, ce qui en fait un bon jeu pour les plus jeunes rôlistes. Pour une idée de l’esprit des parties, lire d'autres souvenirs hilarants(ptgptb)
 
[3] NdT : geek dans le texte. L'équivalent français est l'argotique polard, (de polarisé).  Asocial, obsédé par des loisirs sous-culturels comme les jeux vidéos, les collections diverses et bien sûr, les jeux de rôle.

Jeune adolescent, ma vie me paraissait si horrible qu'il y avait des moments où je ne pouvais plus la supporter. Alors, à l'âge de douze ans, je me suis retiré dans un monde imaginaire et je n'en suis pas sorti avant d'avoir presque seize ans. Ce monde imaginaire était principalement construit autour du jeu de rôle Teenage Mutant Ninja Turtles (les tortues Ninja) [2].

Oh, évidemment il y avait d'autres choses. Les bandes dessinées Batman et Astérix; Indiana Jones,  la Guerre des étoiles, Double Dragon; les romans Dragonlance. Mais TMNT était au-dessus de tout cela, l'histoire fondamentale à laquelle je pouvais toujours retourner. Et le fait que je la construisais moi-même n’y était pas pour rien.

C'est ce que vous donne un jeu de rôle - une occasion de construire le monde vous-même. Ce n'est pas le fait de jouer avec d'autres personnes; pas vraiment, pas à cet âge. C'est, pour la première fois, avoir la possibilité de créer quelque chose par vous-même bien avant que vous ne vous considériez jamais comme un écrivain. Je créais les personnages. Ils étaient construits avec tout ce qui était en moi. Et je créais leurs histoires aussi. Finalement, c'était exactement le genre d'histoire que j'avais besoin d'entendre. C'étaient des histoires qui parlaient de survie contre toutes probabilités, de lutte contre l'oppression. C'étaient mes propres mythes, m'apprenant ce que j'avais besoin de savoir pour m'y prendre avec le monde autour de moi.

Et le résultat final est que maintenant, je ne me souviens de rien de mes trois premières années au collège, sauf TMNT. Je suis retourné à  mon école le week-end dernier, pour la première fois depuis dix ans. Je voulais me rappeler de comment c'était, ces souvenirs que j'avais enfouis depuis si longtemps. Mais je me suis rapidement rendu compte que tout ce dont je me pouvais me souvenir c'était TMNT. Ceci est la chaise où j’ai tiré mon personnage de cheval. C'est ici que j'ai fait jouer aux gars L'aventure de la route départementale 5. A cet endroit, j'ai imaginé comment se déroulerait la scène finale entre le chien et le scientifique. TMNT était le fil directeur de ma vie; je m'y immergeais, le transformais en une carapace protectrice et il semble que cela ait extrêmement bien marché. Les mauvais souvenirs sont désormais oubliés, et seul l'imaginaire demeure.

Là ou je veux en venir ? Ce que je veux dire c'est que si nous voulons empêcher les gens de mourir, nous devons leur fournir d'autres possibilités. Nous devons leur fournir tous les moyens de résoudre leurs problèmes que nous pouvons trouver. Et jusqu'à présent, peut-être le meilleur truc que le monde a pu trouver, ce sont ces trucs dans lesquels les gens peuvent s'immerger, de telle sorte qu'ils puissent sortir de leurs horribles vies pour un moment, être en sécurité, heureux, et contrôler la situation. Des mondes ou ils peuvent se débarrasser de leur colère et apprendre à vivre avec leur douleur. En d'autres termes, nous avons besoin du genre de truc qui encourage l'immersion totale - nous avons besoin de divertissements pour polards [3].

Nous avons besoin de bandes dessinées. Nous avons besoins de séries télé et de films cultes. Nous avons besoin des jeux vidéos et des goths en longs manteaux. Et POUR L'AMOUR DU CIEL, nous avons sacrément besoin des JdR. Et pour toutes ces choses, nous avons besoin de fans furieux et déments. Nous avons besoin des petits grosbills psychotiques qui connaissent toutes les règles de RIFTS à l'envers. Nous avons besoin des fondus de Star Trek qui connaissent les dates galactiques du moindre épisode. Nous avons besoin des gens qui s'habillent en Batman et se fichent de peser 130 kg, parce que dans leur tête, le costume leur va à merveille.

Pourquoi avons-nous besoin de ces gens ? Parce que ces gens ne vont jamais se tuer. Ou tuer quelqu'un. Ils n'ont pas besoin de prendre cette échappatoire, car ils en ont déjà une. Ils vont survivre à leurs années d'adolescence et en sortir avec moins de blessures et de cicatrices. Et franchement une obsession légère, ce n'est pas cher payé pour cela. Bien sûr, être obsédé de musique ou de sport ou quelque chose de plus acceptable socialement reviendrait au même. Mais les jeunes au bord de la rupture ne vont pas se lancer dans ce genre de trucs. Les jeunes les plus en dangers sont les polards, les victimes, ceux qui ne se joignent pas aux activités. Ils leur faut une solution qui marche avec eux.

Alors si nous voulons empêcher le nombre de victimes d'augmenter, voici comment il faut faire. Encouragez de plus en plus de gens à faire des JdR, à lire des bandes dessinées, à s'immerger dans n'importe quelle sous-culture polarde. Nous devrions distribuer ce genre de trucs dans les salles de classe au lieu de préservatifs. Nous devrions en vendre à tous les coins de rue. Et pendant qu'on y est, nous devons nous arrêter de nous moquer des jeunes fans. Ils font ce dont ils ont besoin pour survivre, et survivre c'est exactement ce que nous voulons qu'ils fassent. Ils laisseront cela derrière eux s'ils n'en ont plus besoin et quand ils n'en auront plus besoin.

Et de tous ces loisirs de polards, les jeux de rôles sont ceux que nous avons le plus besoin d'encourager. Ils sont les plus efficaces de tous, car ils laissent sortir le créateur qui est en nous. Ils vous permettent de construire votre propre issue de secours, précisément adaptée à vos propres besoins. C'est pourquoi ils sont l'un des filets de sécurité les plus fiables pour ceux qui ont le plus besoin d'en avoir un. Ils sont la meilleure alternative possible à fournir à ceux qui pensent qu'ils ne leur en reste plus, à part la plus mauvaise possible. Notre loisir est capable de faire avancer les choses. Les jeux de rôles, mes amis, peuvent sauver des vies.

Je le sais car ils ont sauvé la mienne. 


Steve Darlington s'ennuyait tellement vers la fin de sa thèse, qu'il fonda PTGPTB, et se lança simultanément dans l'écriture d'une quantité d'articles de fond, dont l'Histoire du JdR.

 

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Traduit par JMS. Tiré de PTGPTB n°16, avec l'aimable autorisation de Steve Darlington. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord de Steve Darlington. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous copyright. La version originale  peut être consultée sur le site de PTGPTB.