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La Loi et l'ordre dans les mondes imaginaires 
3ème partie: Les Forces de l'Ordre

par M. Joseph Young

Où l'auteur examine les nombreuses et intéressantes manières de discipliner et de punir

 

A la lecture du sous-titre de cet article, vous pourriez vous attendre à ce qu'il parle de la police; un aspect important de l'application de la loi dans tout système légal, mais qui a déjà été traité dans nos précédents articles. Cette dernière partie concerne plutôt ce qui donne au droit ses armes : les châtiments. Comment punissons-nous nos criminels, et comment le justifions-nous ? Ces questions ont elles aussi des effets très significatifs sur les sociétés que nous élaborons, et peuvent sérieusement affecter la vie des personnages dans nos univers de jeu.

 

Vous venez de débarquer dans cette série ? Vous trouverez ici la partie 1 et la partie 2.

Nous avons précédemment souligné que la séparation entre notre police et nos tribunaux permettait de protéger les droits des suspects. A la différence du modèle féodal, on trouve deux autres distinctions importantes qui ont des répercussions sur l'univers de jeu : la police est-elle une branche de l’armée ? Et est-elle en charge du châtiment des criminels ?.

De nombreux univers dans lesquels nous jouons ont des gouvernements civils, et non féodaux ou militaires. Si l'armée contrôle les forces de police intérieure, l'application de la loi a tendance à être plus stricte et plus rigoureuse, et à développer une mentalité de "guerre contre le crime" : le suspect est l'ennemi et est traité comme tel. Souvent, les chefs militaires progressent dans la hiérarchie grâce à leur rigueur et leur discipline, et ils attendent ces mêmes qualités non seulement des hommes qui sont sous leurs ordres, mais aussi de toute la population. Le trouble de l'ordre public dans une taverne peut ne pas être illégal, mais les personnages impliqués seront considérés comme des suspects dans toute enquête future. Après tout, l'ébriété et d’autres comportements indisciplinés sont les signes d'une personne instable, susceptible d'être un criminel. Ainsi tous les personnages célèbres pour leurs bastons à la taverne locale seront les premiers interrogés dès qu'un problème apparaîtra.

Voici un aspect qui a plus d’impact sur une campagne de jeu en général : les chefs militaires qui ont autorité sur la police intérieure ont une base de pouvoir très solide, et tendent à percevoir les dirigeants civils comme laxistes vis-à-vis du crime, et mous sur les problèmes de défense. Cela crée en soi une instabilité, et la réponse d'un général à l’instabilité est de déposer le pouvoir faible, de supprimer les opinions contraires, et d’établir un gouvernement ferme et stable dirigé par la seule personne en qui il puisse avoir confiance : lui-même. Les personnages ont toutes les chances d'être balayés par les événements lors d'un coup d'état militaire dans un tel environnement.

 

Bafouer les droits des personnages est un excellent moyen de les rendre fous et de démarrer une aventure, mais allez-y prudemment. Si vous êtes trop injuste, les joueurs pourraient se sentir lésés.

La séparation du châtiment des criminels d'avec la détention des suspects a également des conséquences notables. Quels que soient les droits qu'aient les citoyens, ceux qui sont reconnus coupables d'un crime en perdent la plupart. Les droits des suspects doivent être protégés, mais les droits des criminels sont nettement moins importants. Que ce soit les mêmes personnes qui s'occupent à la fois des suspects et des criminels ne fait que brouiller la distinction - après tout, un prisonnier est un prisonnier, et même si vous les habillez de couleurs différentes, ils se ressemblent pas mal. 

Etant donné la paresse instinctive des gens, cela signifie que les suspects seront traités comme des criminels. Dissocier la police du système pénitentiaire améliore le traitement des suspects, car la police ne prend en charge que des prisonniers qui ont des droits. 

Mais comment justifions-nous l’idée même de châtiment des criminels? Quelles que soient les méthodes de punition, elles incluront des éléments qui, dans un autre contexte, seraient criminels : ne tuons-nous pas des meurtriers, violentons des violents, et incarcérons des kidnappeurs ? En agissant ainsi, nous, en tant que société, faisons exactement ce que nous qualifions de criminel pour un individu. 

En tant que culture, nous avons besoin de justifier pourquoi ce qui est mal dans certains circonstances est bien dans ce cas-là. Nous avons besoin d’une philosophie du châtiment. Déterminer la philosophie du châtiment qui prévaut dans votre univers de jeu vous donnera tout de suite une idée de son système judiciaire, et devrait générer quelques situations très intéressantes pour les personnages.

Depuis les débuts du droit écrit, la philosophie du châtiment à travers le monde a été la rétribution: le criminel reçoit ce qu'il mérite. Ce fut le fondement du concept de justice : il est "équitable" et "juste" de punir quelqu'un à un degré équivalent au méfait qu'il a commis. Que cela soit illustré par "oeil pour oeil" dans la loi Mosaïque ou par sept jours de prison pour trouble de l'ordre public, il y a de la logique dans la théorie du châtiment proportionné ; l'idée que "la punition s'adapte au crime", c'est-à-dire que le criminel subit une peine qui paie pour ce qu'il a fait.

Cependant, au vingtième siècle, la théorie du châtiment proportionné a laissé la place à une autre théorie, en fait deux concepts connus sous le nom de "théorie humanitaire de la sanction". Les partisans de cette approche, acclamée comme le futur de la justice criminelle, prétendent que la Rétribution n'est qu'un mot poli pour vengeance, et que nous ne pouvons prétendre que se venger est faire justice. Ils disent que le but de la sanction est plutôt de réhabiliter le criminel et de détourner les autres de l’illégalité. Les détracteurs de cette théorie font observer qu'on ne peut plus alors se demander si une peine est juste ou non; ce qui importe est qu'elle soigne ou dissuade. Et cela a une grande importance pour les personnages et le monde dans lequel ils vivent leurs aventures.

 

Pour plus d’information sur le sujet, l’auteur vous recommande On the Humanitarian Theory of Punishment de C.S. Lewis, réimprimé dans God in the Dock

NdT : si vous êtes intéressés par l’historique de la peine en France, vous pouvez lire cet article.

Le concept de la "peine de réhabilitation" suppose que le criminel est souffrant, mentalement malade et qu’il a besoin d’être soigné. Nous ne le punissons pas parce qu’il a fait quelque chose de mal et doit en payer le prix ; nous le traitons comme un patient parce qu’il est anormal, hors des normes sociales et qui doit être guéri de ses idées incorrectes.

Le MJ attentif remarquera immédiatement que la plupart de ses Personnages-Joueurs sont un tant soit peu anormaux. Rien que le fait qu’il aiment partir à l’aventure, explorer des endroits étranges ou à l’occasion se battre pour leur vie, les met à part de la gens " normaux ". Il est également probable que leurs aventures les entraînent dans des lieux où la religion est différente de la leur, où les concepts politiques ou la philosophie de la vie leurs sont étrangers. Si le crime est une maladie mentale, il s’en faut de peu pour que la maladie mentale devienne un crime – et une maladie mentale peut être une chose aussi insignifiante que ne pas voir le monde comme les autres. Tout à coup, les Personnages sont arrêtés parce qu’ils sont des aventuriers et sont emmenés à l’" hôpital " d’où on ne s’échappe pas, pour être soignés de leurs diverses aberrations.

En outre, si la réhabilitation est l’objectif, les criminels peuvent être emprisonnés pour des périodes indéfinies : vous serez détenu jusqu’à ce que les experts soient convaincus de votre guérison. Vous devez changer votre état d’esprit, ou être assez intelligent pour les tromper, ou encore vous évader.

L’effet dissuasif souffre d’un biais encore plus important. Pour qu’une punition dissuade les autres, il faut que ces autres soient convaincus que l’individu puni est coupable du crime. Si le suspect est jugé coupable, mais que la population dans son ensemble croit qu’il est innocent, il doit être libéré ; punir une telle personne n’aurait aucun effet dissuasif mais encouragerait plutôt à croire que la sanction est arbitraire, et que personne n’est à l’abri. Cependant, si le suspect est réellement innocent mais considéré comme coupable, il doit être condamné. Cette punition aura l’effet dissuasif nécessaire, et une absence de punition renforcerait le sentiment que un crime peut rester impuni. Tout à coup, le procès ne compte plus ; seul compte la campagne de relations publiques. La question n’est plus : "L’a-t-il fait ?", mais "Le gouvernement peut-il convaincre le peuple qu’il l’a fait ?". Et si l’accusé est un PJ ou un ami des PJ, il ne suffit pas de prouver son innocence, ni même de prouver la culpabilité de quelqu’un d’autre. Vous devez persuader les gens qu’il est innocent, pour que sa condamnation perde sa valeur dissuasive. 

Cela pourrait bien faire regretter au personnage emprisonné d’avoir été si dur avec les villageois.

 

Regarder l’épisode de Star Treck : The Next Generation intitulé Justice pour voir Wesley Crusher faire face à la peine de mort pour un délit mineur. Malheureusement, il ne purge jamais sa peine.

[NdT : sur une planète paradisiaque, au milieu d’indigènes affectueux, Wesley est condamné à mort pour avoir marché sur une pelouse interdite !] 

Avec la dissuasion, le concept de la condamnation équitable n’existe plus. Des experts en sciences sociales détermineront ce qui est dissuasif, et on agira en conséquence. Si on considère que l’on dissuade les gens de l’ivresse sur la voie publique par une exécution publique des fautifs, alors la sentence sera la mort. 

La culpabilité ou l’innocence du criminel ne sont plus pertinentes. Il est vain de se plaindre de l’injustice : ce n’est pas censé être juste. La punition n’a pas besoin de correspondre au crime au sens de la Rétribution, et le joueur dont le personnage est condamné découvrira que son innocence importe peu, que le fait que personne n’ait été blessé ne compte pas, et que l’apparente nature mineure du crime ne compte pas non plus : il va être exécuté pour avoir marché sur la pelouse en face du tribunal, de façon à ce que personne ne recommence par la suite.

Maintenant que nous avons décidé pourquoi punir, nous devons décider comment. Il est difficile de lire la loi Mosaïque sans remarquer le nombre de crimes punis de mort ou de bastonnade. Ce sont à nos yeux des châtiments cruels en comparaison de la simple incarcération, mais où une société nomade primitive pourrait-elle incarcérer ses criminels ? " Hé, Elie, cette tente est la prison ; pourrais-tu s’il te plaît la ranger sur cette mule là-bas ? Nous partons. Quand nous aurons atteint de nouveaux pâturages, tu pourras la réinstaller et te remettre dedans."

L’incarcération est une punition coûteuse, même dans des sociétés qui ont des habitations fixes. Les prisonniers doivent être surveillés, nourris et doivent bénéficier d’un minimum d’hygiène (à moins qu’ils n’aient été condamnés à la mort par emprisonnement). Peu de petites villes auront les installations ou la main d’œuvre suffisantes pour détenir qui que ce soit plus de quelques semaines, et souvent cela sera difficile même pour quelques jours. Les plus grands pays peuvent avoir des systèmes de prisons centralisés, et transporteront les personnages des villes où ils ont été arrêtés vers les forteresses où ils doivent être détenus. Et toutes les cultures ne considèrent pas que les prisonniers doivent être traités avec humanité. Même aujourd’hui, dans certaines parties du monde, les prisons sont infestés de vermine, les prisonniers meurent de maladie, sont battus par les gardiens ou d’autres prisonniers, sont sous-nourris et n’ont pas d’eau " propre ". Un personnage en prison peut mourir d’une bonne douzaine de façons lors d’un emprisonnement très bref. Même s’il survit, il peut être affaibli et devenir fou, et en sortir bien moins en forme qu’à son arrestation. Il peut même ne plus être capable de gagner sa vie et ainsi être forcé de revenir au crime…

Les joueurs ont tendance à voir une période de prison comme du " temps mort " où ils ne peuvent pas jouer leur personnage. Faites leur prendre conscience de la dure réalité en leur faisant interpréter cette période ou en jetant les dés pour savoir s’ils survivent, ou à quel point ils ont été blessés.

Pour diminuer les coûts, l’incarcération est souvent accompagnée de travail forcé. Le criminel travaille pour s’acquitter de sa faute et subvient à son propre emprisonnement.

Mais de nombreux univers auront des moyens de punition alternatifs, et le meneur devra également les prendre en considération, en gardant à l’esprit que la théorie de la sanction influencera à la fois la méthode et la quantité et, en vérité, déterminera si le châtiment est considéré comme une " punition " ou non.

Le châtiment corporel, bien que rejeté par la pensée moderne, est probablement la forme la plus commune de punition dans l’histoire. Si vous êtes condamné pour un crime, vous serez battu un nombre approprié de fois et vous en serez quitte ; ensuite, vous pourrez partir. La loi Mosaïque limitait le nombre de fois de coups portés dans une seule bastonnade ; mais les Romains n’avaient pas ce genre de limite. Ils utilisaient un fouet à plusieurs lanières (le " chat à neuf queues "), souvent renforcé de morceaux de métal et battaient parfois un criminel jusqu’à la mort. A travers l’histoire, les criminels ont été soumis à bien d’autres formes de punitions corporelles tout aussi pittoresques.

La torture est plus couramment utilisée dans la phase du procès, comme moyen d’extraire une confession de l’accusé. Cependant, historiquement, cet usage était prévu pour le bénéfice de la victime de la torture. Si l’accusé avait été condamné à mort, on jugeait important qu’il ait confessé ses crimes avant de faire face au jugement dans l’au-delà, afin qu’il puisse sauver son âme. On considérait également qu’il était nécessaire que le criminel " soulage son âme " en révélant le nom de ses complices, ce qui permettait de poursuivre l’enquête. La confession d’une victime de la torture ayant livré le nom d’un personnage sur le lit de mort conduira à une enquête ; aucun honnête inquisiteur ne pourrait croire que sa victime ne mente rien que pour se venger d’un ennemi.

Mais il y a une autre forme de punition corporelle, qui a pour but d’avoir des effets permanents. Dans certaines cultures, ceux qui sont condamnés pour certains crimes sont défigurés, couramment au fer rouge, de façon à ce que les autres connaissent leurs crimes à leur vue. D’autres mutilations sont liées au crime commis : couper la main d’un voleur, crever les yeux d’un espion, castrer un violeur. Le personnage qui subirait une telle punition dans un univers primitif pourrait ne pas y survivre ; s’il y parvient, sa carrière ne sera plus jamais la même.

La mort est le châtiment corporel ultime ; mais elle a également un but pratique. Dans les cultures primitives et nomades, il n’y a aucun autre moyen de s’occuper des criminels qui sont susceptibles de continuer à causer du tort et de semer le chaos dans le futur. Vous ne pouvez ni les emprisonner ni être certain de pouvoir les tenir à distance. Ils doivent être stoppés, et c’est la seule façon d’y parvenir. Projetons-nous maintenant dans le futur, dans un monde en expansion. Il sera plus facile pour les criminels de se cacher, de partir vers d’autres lieux, de disparaître dans une autre ville, un autre pays, sur une autre planète. Les mettre à mort est une solution concrète et économique à ces risques – et cela a aussi un fort effet dissuasif.

 

Les joueurs n’aimeront pas du tout qu’un méchant meure rapidement et facilement par la main de quelqu’un d’autre (ou par la sienne) – cela leur prive du sentiment de victoire. C’est une jolie manière de rendre mauvais un méchant, même dans la mort.

Il y a une autre question souvent évitée au sujet de la peine capitale. Doit-elle être douloureuse ? Pendant des siècles, la pensée occidentale a considéré que l’exécution était une punition en soi, et devait être aussi humaine qui possible. Mais cela est absurde pour certaines cultures. C’est la douleur de l’exécution qui est l’essence de la punition, et certains crimes méritent une mort plus horrible. Une mort rapide et sans douleur serait de la pitié dans un tel univers. Plus la vie devient incertaine, que ce soit à cause de la peste, de la misère ou de la guerre, plus une exécution rapide et sans douleur devient miséricordieuse – d’autant plus pour ceux qui croient en un au-delà meilleur. Commettre un crime particulièrement odieux (ou au moins le confesser), deviendrait un moyen de quitter les horreurs du monde pour une vie meilleure.

Mais pour beaucoup, la peine de mort est inacceptable. Certaines sociétés, ne souhaitant pas commettre sur autrui ce qu’elles condamnent, ont recours au bannissement : le criminel quittera le pays et n’y reviendra jamais, ou il devra subir d’autres peines plus lourdes. Dans les temps anciens, l’alternative était la mort, et dans de nombreux cas, elle était préférable. Etre privé de tous ses biens, de son statut social, de son foyer et de tout contact avec sa famille, rejeté de tout ce qui vous est familier vers des lieux où rien ne correspond à votre idée de la civilisation, pas même la langue, et être considéré par tous ceux qui vous entourent comme un étranger, équivaut à la mort sous toutes ses formes exceptée la plus basique. Sans moyens de subvenir à vos besoins, votre mort est de toutes façons fort probable.

Aujourd’hui le concept de bannissement réapparaît : une ville des Etats-Unis a établi que toute personne impliquée dans des activités liées aux gangs dans ses limites devait choisir entre quitter la ville pour toujours ou aller en prison. Mais elle a sous-estimé le problème du bannissement dans un monde fortement peuplé. Lorsqu’il y a des terres stériles et désertes, les individus bannis sont livrés à eux-mêmes ; mais lorsque les villes bordent d’autres villes, que les pays bordent d’autres pays, une telle déportation revient à rejeter votre problème sur quelqu’un d’autre, et il risque de ne pas être content. Même avec des terres inhabitées, une fois que les criminels sont bannis, ils formeront leur propre société, et pourraient bien revenir en force pour prendre la terre de laquelle ils furent chassés et les foyers qu’ils ont connus autrefois.

 

Une armée, une ville ou une planète de criminels, une société formée par ceux qui sont en dehors de la société, est un formidable ressort dramatique. Robin des Bois, Alien 3, New York 1997 en sont des exemples

Dans une variation sur le même thème, certains pays ont créé des colonies pénitentiaires éloignées dans des lieux non développés. La plus célèbre de celles-ci est l’Australie, où pendant des générations les Britanniques ont déporté leurs criminels après que l’Amérique cesse de les accepter. Il y a eu des îles semblables et des endroits isolés utilisés de cette façon dans le passé, et les univers de science-fiction nous ont suggéré que des planètes habitables mais inhospitalières pourraient être employées ainsi dans le futur. Malheureusement, ces colonies peuvent trouver un moyen de devenir des pays en tant que tels. Certaines peuvent devenir des sociétés austères et effroyables où la survie et la loi du plus fort peuvent mener à de violentes luttes de pouvoir. Mais les enfants de criminels ne sont pas toujours des criminels, et les nécessités de la vie créeront une économie, un gouvernement et une culture là où les gens se sont rassemblés. Et lorsque le nouveau pays décide qu’il ne veut plus des criminels de l’ancien, ce système [de déportation] ne fonctionne plus. Peut-être un autre endroit peut-il être découvert ; mais de tels domaines se font rares quand la population augmente.

Dans de nombreux cas, le châtiment peut-être économique : laissons le criminel payer son crime en espèces. Cela pose la question du prix d’une vie, mais il peut arriver que même pour un meurtre, un paiement à la famille survivante de la victime et un paiement supplémentaire à l’état soient suffisants. C’est un système très pragmatique sous de nombreux aspects. La jeune veuve préférerait avoir son mari, qui travaillait dur, en vie plutôt que n’importe quelle somme d’argent ; mais si elle est perçoit plus d’argent que son mari n’aurait pu en gagner dans toute sa vie, le tueur a été puni et le mal au moins atténué. Dans les tribunaux modernes, les amendes payées à l’état sont d’habitude considérées séparément des dommages et intérêts versées aux victimes. Cependant, pour de nombreuses infractions et dans de nombreux systèmes judiciaires, l’argent peut être nécessaire pour payer son crime, mais il peut ne pas être suffisant.

Le travail forcé peut refaire ici son apparition. Le criminel incapable de payer peut être obligé à travailler pour rembourser sa dette, soit dans des grands travaux étatiques, soit au service de la victime. Certains permettront au criminel d’être vendu en esclavage, le produit de la vente allant à la victime (ou au juge).

Au plus bas de l’échelle des punitions, certaines cultures font confiance à l’humiliation. Quelqu’un qui est mis au pilori au milieu de la ville souffre peu de blessures physiques ; et il perdra au plus un jour ou deux. Mais les gens le verront, les enfants se moqueront de lui et tous se souviendront du visage de l’homme pris dans le carcan ce jour-là. Le châtiment est infligé à sa réputation. Dans d’autres cultures, cela peut-être fait d’autres manières. Le marquage au fer rouge a été utilisé de cette façon, stigmatisant clairement le criminel par la nature de son crime, et le privant de nombreux droits dans certaines cultures . Le PJ pris une fois et marqué pour ses crimes sera par la suite accueilli avec suspicion partout où il ira, et de même pour ses compagnons, qui fréquentent un criminel notoire.

En Orient les criminels condamnés à mort n’était généralement pas tués, mais rituellement " déclarés morts " lorsque l’épée leur touchait la nuque. Ils étaient privés de tous leurs droits, de leur statut, de leurs biens, et rejetés comme des parias – morts, excepté le fait qu’ils étaient toujours en vie. De nos jours, beaucoup de suspects innocents se sont plaints des torts faits à leur réputation par les journaux télévisés; mais de tels médias peuvent être intentionnellement utilisés pour diffuser les infractions des criminels et exposer leurs délits au monde. La " Loi Megan " (une loi souvent copiée qui oblige les délinquants sexuels déjà condamnés à révéler leur identité à la communauté dans laquelle ils vivent) a été saluée par beaucoup comme un pas vers la protection des enfants, mais c’est aussi prolonger la peine du criminel. A cet égard, les anciens concepts de marquage au fer n’auraient pas pu être beaucoup plus efficaces.

Néanmoins, dans la plupart des mondes, les criminels seront emprisonnés, soit pour une certaine durée, soit jusqu’à ce que les experts décident de les relâcher. Mais les univers de science-fiction ont suggéré un autre concept, celui de l’emprisonnement " hors du temps ".

Le principe de l’emprisonnement hors du temps est de soustraire le criminel de la société, et de l’y ramener dans le futur, sans qu’il n’ait la sensation du temps qui passe. Les méthodes typiques sont l’animation suspendue et la stase temporelle. Mais dans ce cas, comment est puni l’individu ? Ou bien, comment est-il réhabilité ? D’un point de vue pratique, cela a peu de sens. Il y a des gens qui paieraient pour avoir le privilège de se réveiller dans le futur sans avoir vieilli d’un jour. Mais sur le plan de l’intrigue, cela ouvre certaines perspectives intéressantes. Des Personnages-Joueurs condamnés pour un crime pourraient se réveiller dans un monde entièrement différent de celui dans lequel ils ont été arrêtés, découvrant peut-être que leur peine a été commuée car ce qu’ils ont fait n’est plus répréhensible, ou découvrant alors qu’ils ont été tenus à l’écart durant de nombreux siècles, oubliés lorsque le gouvernement qui les avait emprisonnés perdit le pouvoir. Même s’ils n’ont pas de revenus faramineux provenant des intérêts bancaires cumulés sur leur compte , cela pourrait être le début d’une aventure où ils tentent de retrouver les trésors qu’eux-mêmes, ou d’autres, ont caché longtemps auparavant, avec juste quelques vieux repères pour les guider. Inversement, des personnages âgés pourraient se retrouver face à un ennemi vengeur surgi de leur passé, qui, lui, n’a pas vieilli d’une journée. Leur familiarité avec le monde s’opposerait à sa jeunesse et sa vigueur. Même de nouveaux personnages peuvent être confrontés à un infâme criminel du passé ; décider a posteriori qu'un ancêtre d’un des personnages a joué un rôle clef dans la capture de cet individu lui donnerait de nombreux motifs de poursuivre le groupe.

Comme vous pouvez le constater, prendre en considération les manières dont le crime est défini, jugé et puni enrichit d’une façon certaine votre pratique du jeu de rôle sur de nombreux aspects. Chaque étape du processus légal vous permettra de définir des univers de jeu, d’éprouver les personnages et vous inspirera des idées d’aventures. Parfois les joueurs trouveront la loi la loi de leur côté, parfois ils la verront jouer contre eux ; mais si le meneur a réfléchi aux systèmes légaux de son univers de jeu, elle sera constamment présente, soutenant les personnages, s’opposant à eux et les défiant tout le long de leurs aventures.

 


M. Joseph Young est co-auteur de Multiverser : The Game et vice-président chargé du développement de Valdron Inc. Il est diplômé de la Widener University School of Law. Il a abondamment écrit sur de nombreux sujets dont les jeux de rôle, le droit et la théologie, la plupart étant à disposition sur le réseau et en grande partie indexée de façon pratique. Cet article est le troisième et dernier de la série.

 

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Traduit par Antoine Drouart. Tiré de PTGPTB n°11, avec l'aimable autorisation de Steve Darlington. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord de Steve Darlington. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous copyright. La version originale  peut être consultée sur le site de PTGPTB.