Pourquoi trop de créativité peut être une mauvaise
chose
par Stephen Brown
Où l’auteur divague et se répand en imprécations
contre ces démons infernaux qui menacent de détruire n’importe quelle
partie de jeu de rôles : les joueurs.
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Le jeu de rôles nous offre une opportunité d’être
créatif dans un contexte social. Pour certains d’entre nous, c’est la
seule, et pour quelques-uns c’est une fenêtre qui, semblent-ils penser,
peut laisser passer le zeppelin de
tous leurs efforts réprimés d’imagination.
C’est à travers cette créativité que nous autres,
mortels ordinaires, pouvons être transformés en…bon, d’autres
mortels ordinaires mais avec des collants et
une cape ! Ou des vampires, des loups-garous, ce que vous voulez. Le
propos, c’est que, pour la plupart d’entre nous c’est la
créativité et l’imagination qui nous ont menés aux JdR, et c’est
cela (et notre accoutumance aux
trucs à grignoter) qui nous poussent à revenir et à en
redemander.
Mais il y a un délicat équilibre qui doit être
respecté entre le côté créatif et le côté social. Trop d’interaction
sociale, et le côté imaginatif, le vrai jeu, souffre. Trop d’imagination,
trop de fioritures et c’est le
côté social qui souffre : les
tensions montent, la dynamique s’effondre et bientôt tout le monde
déteste le un petit con trop malin que vous êtes.
Récemment, j’ai mené une campagne
sûrement pour la première
fois dans un milieu adulte (remarquez que je n’ai pas dit mature) et ça
puait. La dernière fois que j’ai maîtrisé c’était au lycée :
nous nous voyions tous au moins cinq fois par semaine, et quand nous nous
rassemblions pour jouer, nous jouions, Baby. Avec ce groupe d’adultes
nous nous rencontrions en chair et en os seulement une fois tous les 15
jours, et quand nous jouions, nous ne faisions surtout que jacasser.
Cela nous a pris au moins une heure pour nous installer
et seulement commencer à jouer et alors nous étions constamment
interrompus par des allusions aux infos de la semaine, aux événements
personnels ou à la télé chaque fois qu’un vague parallèle se
présentait avec la partie. Ca a été une sorte de problème récurrent
dans mon groupe – un trop grand aspect social.
Mais le vrai problème dans ce cas était le besoin de chacun d’exprimer
sa créativité. Pas seulement
le courant dont vous avez besoin pour
emmener quelques personnages à travers votre scénario standard, mais un
raz de marée de jeu d’acteur prétentieux qui a rapidement balayé les
inhibitions des joueurs, toute signification de l’histoire, ma santé
mentale et toute envie de m’asseoir
derrière l’écran du MJ à l’avenir.
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La sur-créativité a été aussi examinée
dans cet article(ptgptb)
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Avouons-le, c’était partiellement ma faute à l’origine.
J’avais trop apprécié la création du scénario et un fois parti, je
ne pouvais plus m’arrêter.
Personnages, PNJ, intrigues et sous-intrigues,
historiques et décors grandirent tous exponentiellement en complexité et
en importance, tandis que j‘étais assis là, bavant et grimaçant comme
un idiot.
Pour vous en dire un mot,
les personnages et le décor initial provenaient d’une
nouvelle que j’avais presque trouvé le temps d’écrire quelques
années plus tôt, ainsi l’intrigue et les relations entre personnages
étaient pratiquement gravées dans la pierre ("D’Oh!", comme
dirait Homer Simpson). Les personnages étaient un petit clan de
vétérans et leurs familles, qui s’étaient installés ensemble après
la guerre, parce que – et c’était le point important –ils s’aimaient
vraiment bien
A peine les joueurs eurent passé le seuil qu’ils
commencèrent à marquer le scénario comme leur territoire, à la
manière des animaux inférieurs du monde entier. Des
tensions et des griefs complètement inimaginables durant les deux
décennies de vie commune des personnages explosèrent
en quinze minutes. On vit des informations cachées, des possessions
volées et des plans volontairement sabotés. Deux personnages
furent cruellement empoisonnés par deux des autres PJ.
Et inévitablement, des petits papiers
durent être échangés. Pas les quelques questions auxquelles on s’attend
dans une partie normale mais des douzaines, venant de toutes les
directions en même temps, la moitié traitant de
ces minables querelles, l’autre moitié demandant "que
disait son petit papier ? ".
Alors mes muscles atrophiés de MJ, déjà ployant sous
le fardeau, devaient essayer de maintenir l’action pour les quelques
joueurs non impliqués dans la rixe en cours, tout en griffonnant à la
hâte des réponses pour ceux qui l’étaient. C’était un cauchemar.
Tout le monde essayait d’être malin. D’habitude, ce n’est pas un
problème, mais ils essayaient tous d’être malins en tant qu’individus,
en ne pensant que peu ou pas à l’aventure, au reste du
groupe ou à moi. Les joueurs sont nombreux mais le MJ n’est qu’un. Et
quand les besoins du Nombre excèdent les capacités de l’Un, alors tout
le monde est baisé. Et quand beaucoup des besoins du Nombre sont futiles
et que l’Un s’arrache les cheveux par poignées, les sages du Nombre
se taisent et se tiennent à carreau, de crainte que l’Un n’invoque un
dieu du Chaos en leur sein. Comme c’est arrivé cette fois-là, mais c’est
une autre histoire.
Pour être scrupuleusement juste avec les porcs, j’admettrai que c’était
largement ma faute si les choses se sont gâtées. J’ai stupidement
tracé l’affaire linéairement, sans anticiper la saine dose de chaos
qui différencie les jeux de rôle d’une orgie frénétique de jongleurs
épileptiques munis de tronçonneuses (comme je l’ai dit, ca faisait
longtemps que je n’avais pas maîtrisé). J’ai exposé cette campagne
affreusement sur-écrite en ne leur laissant qu’une marge de manœuvre
presque nulle. Et comme j’avais follement espéré
qu’ils se comporteraient plus ou moins comme je l’avais prévu, je n’avais
aucun plan de réserve pour les ramener sur le droit chemin, rien de l’autre
côté de l’horizon au cas où ils s’égareraient.
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Le numéro 1 incluait aussi un article sur
les responsabilités
des joueurs dans la construction d’une bonne partie. |
Mais pour ma défense, les joueurs ne rivalisaient pas
seulement pour le Béret d’or de l’art déplacé, quelques-uns
étaient juste délibérément contrariants. A un moment, le ranger du
groupe décida de ne pas fouiller le campement dans le désert parce
"qu’il semblait trop évident " que l’intrigue le
demandait. Charmant. Un autre joueur pensa que le bas score d’intelligence
sur sa feuille de personnage lui donnait carte blanche pour agir en
permanence comme un idiot, au point de faire échouer les plans du groupe et
de détruire leur seule et unique embarcation.
C’est très bien d’essayer d’être innovant avec
vos personnages, tant que vous restez cohérent avec eux. Et vous ne devriez
pas avoir à coller à l’histoire, d’un passage trop planifié à l’autre.
Mais le MJ a probablement investi beaucoup de son temps à créer un
scénario qui va d’un point A à un point B, et décider soudainement que
votre personnage voudrait plutôt ouvrir un magasin de vêtements pour
Barbares Grand et Larges à C, c’est comme lui foutre une gifle.
Il y a un pacte entre le MJ et les joueurs, se réunir dans l’intérêt
de l’amusement. Et travailler ensemble pour cela. Les groupes doivent
avoir un but commun et toute exploration personnelle devrait prendre en
compte les ressources disponibles. Et dans la plupart des cas, surtout
celui-ci, la ressource la plus limitée
est le MJ.
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Dans ce numéro, David Astley donne aussi des trucs
aux MJ |
Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour
les idioties dans le jeu de rôle :
pour certains, c’est le seul but de l’exercice. Mais vous devez jauger
vos camarades joueurs et leur humeur. Si tout le monde est absorbé dans
la partie, ce n’est probablement pas le moment de lancer une bataille de
tartes à la crème. Et si vous insistez, vous vous apercevrez peut-être
qu’on ne vous donnera pas l’heure et l’endroit de la prochaine
séance. De même, pour que le jeu de rôle soit un tant soit peu amusant,
le MJ doit créer une ambiance favorable à un peu d’expérimentation et
d’exploration en dehors des limites de n’importe quelle aventure
donnée. Mais les joueurs doivent aussi réaliser que s’ils s’amènent
en ville pour rendre visite à une vieille grand-tante, découvrant qu’elle
a mystérieusement disparu, ce n’est pas le moment d’aller se balader
pour creuser des mines d'or dans les plus proches collines à dragons.
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[1] NdT : Hudson Hawk est un
film avec Bruce Willis en voleur de haut vol. L’auteur le cite en
exemple d’imagination débridée mal employée, on y trouve en effet des
nonnes espionnes du Vatican, des gadgets étranges, des méchants euh..
typés. |
Nous avons tous assisté et participé à ce
comportement à problèmes, sous une forme ou une autre, et nous en avons
tous souffert. Et c’est plus que simplement gênant, ce peut être
matière à ruiner non seulement des aventures et des campagnes, mais
aussi détruire des groupes entiers de rôlistes. Ainsi, il est important
que les joueurs ne perdent jamais de vue le pacte du jeu de rôle, ce
contrat implicite qui existe entre le MJ et les joueurs : travailler ensemble,
pour l’amusement de chacun.
Car si Hudson Hawk [1] ne nous a rien enseigné d’autre (comme je le
crois), il a écrit en lettres de feu de 6 mètres de haut que l’imagination
d’une personne, quand elle est laissée à se propager sans contrôle
jusqu'à ses limites égotistes, peut vraiment, vraiment, merder.
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Stephen a commencé le jeu de rôle il y a de nombreuses années,
et ne s’est toujours pas débarrassé de son accoutumance à Warhammer
JdR. C’est un joueur régulier (mais plus jamais un MJ) dans un groupe
qui comprend la plupart des membres de la rédaction. Quand il ne joue
pas, il lit trop de Sin City et Generation X pour son (propre) bien. |
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Traduit par Esteban. Tiré de PTGPTB n°5, avec l'aimable
autorisation de Steve Darlington. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord de Steve
Darlington. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous
copyright. La version originale peut être consultée sur le site de PTGPTB.
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