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C’est un sujet qui revient souvent dans les
discussions sur les jeux de rôles ; c'est à coup sûr un problème, de
quelque façon qu'il soit abordé. Il est lié au fait que nous essayons de
modéliser des personnages différents de nous, joueurs. Nous définissons
alors des règles et des valeurs pour représenter leurs capacités et
certaines d'entre elles expriment fortement comment nous voyons leurs
personnalités.
Par exemple, si un personnage-joueur (PJ) est censé avoir un certain charisme
mais que le joueur lui-même a des talents bien différents, comment
interpréter le personnage, et comment gère-t-on les interactions entre PJ
durant le jeu ? C'est le même problème lorsqu'un joueur d'intelligence
moyenne se met d’un coup à jouer un génie. Quoique l'inverse existe aussi:
des joueurs particulièrement charismatiques ou intelligents trouveront
parfois difficile de jouer des personnages ternes ou bêtes, plus peut-être
que des joueurs moins doués qui voudront prétendre à l'éclat et au génie.
Je suppose que je devrais y revenir ; je pense déjà avoir parlé des
problèmes liés à l'intelligence et peut-être aussi de ceux liés au
charisme. Cette fois, par contre, je pose la question de comment jouer un
personnage sage. Aucun de nous n'est aussi sage qu'il voudrait l'être,
et peu d'entre nous sont aussi sages qu'ils disent l'être. Quand nous
prétendons être quelqu'un de plus sage que nous ne le sommes réellement,
comment le jouer d’une façon crédible?
J'ai joué un bon nombre de personnages qui ont été considérés sages par
les autres joueurs ; ce n'est pas vraiment facile, mais il y a sûrement des
approches qui peuvent vous aider.
En ce moment, j'ai sur l'étagère de mes toilettes un recueil de traits
d'esprit et d'aphorismes. Ca ne doit pas être un très bon livre. Quand il
arrive que je laisse traîner un bon livre aux toilettes, ma femme commence à
le lire et l'emporte, et je me retrouve sans rien à lire. Seuls ce livre de
sentences, un exemplaire de la Poétique d'Aristote et une copie de Sorcerer
de Ron Edwards ont survécu à son intérêt ces derniers temps. Je suis donc
certain qu'il existe de meilleurs recueils de citations et je ne vous
embêterai pas avec le nom de celui ci. Toutefois, ce livre m'a rappelé qu'un
jour j'ai essayé de jouer un personnage sage en accumulant de telles perles
de sagesse et en les utilisant en jeu.
Ca n'a pas du tout marché. J'aimerais vous dire que c'était une idée qui
n'accusait que quelques petits ratés, mais en réalité, ces problèmes
semblaient insurmontables.
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[NdT1: Poor
Richard’s Almanach dans le texte : recueil de sagesse populaire
publié par Benjamin Franklin]
[NdT2]: personnage masqué du roman
éponyme, qui inspira Zorro.] |
Le premier problème était simplement de trouver les
bonnes citations à mettre de côté pour les utiliser si besoin. Une bonne
citation devait dire quelque chose d'intéressant, et devait être dite d'une
manière qui semblait un minimum intelligente ; en même temps, elle ne devait
pas être connue de tous. Personne n'aurait trouvé mon personnage
particulièrement sage s'il débitaitces proverbes bien connus de l'almanach
Vermot [NdT1] ou ces dictons que tout le monde connaît, même s'ils
sont concis ou à propos. Débiter des proverbes familiers comme « Regardez
où vous mettez les pieds » ou « Deux valent mieux qu'un » semblera très
vite banal. Donc j'étais un peu comme à la chasse au trésor pour trouver
autant de perles de sagesse que personne ne connaissait et qu'il me serait
possible de répéter comme je le voulais. C'était un vrai défi, parce que
si elles valaient la peine d'être rabâchées, elles l’avaient sûrement
été un bon nombre de fois et elles auraient ainsi paru familières. Par
conséquent, trouver ces citations était un obstacle de taille.
Cependant, il était encore plus difficile de les utiliser. Il fallait donc
que je trouve une manière d'organiser celles qui étaient appropriées à
n'importe quelle situation que je pouvais vivre, et réciter l'un de ces
merveilleux mots de sagesse qui aidait les personnages à faire de meilleurs
choix. Je n'y suis jamais arrivé. Comme Le Mouron rouge [NdT2] je
découvris que je souffrais d'une sorte de lenteur d'esprit : il disait que
chaque fois qu'il était insulté en public, il trouvait toujours la réplique
dévastatrice mais dans sa voiture, sur le chemin du retour . Les situations
survenaient et prenaient fin avant que je n'aie la moindre chance de penser à
« quoi dire » ; les citations intelligentes dont je me rappelais ne
correspondaient jamais à ce qui nous arrivait.
Pour utiliser les aphorismes comme substitut de sagesse, il faudrait être si
érudit qu'ils viendraient naturellement à l’esprit au moment où la
situation se présente. Franchement, il y a de bien meilleures choses à
apprendre par cœur et je vous parle d'expérience. En société, vous aurez
bien plus de chances de citer Raymond Queneau, les traits d'esprit de Lewis
Carroll et, j'ose le dire, les blagues de Coluche, que de sages proverbes. A
moins que vous n'ayez l'habitude des aphorismes, c'est beaucoup d'effort pour
un retour minime sur investissement - et si vous connaissez déjà ces perles
de sagesse, le groupe avec lequel vous jouez les connaît probablement toutes
à présent (par vous, n'est-ce pas?) et ne va pas penser grand chose de votre
personnage s’il les répète.
Donc, ça semble être une manière de ne pas représenter le sage. Je pense
que vous pouvez essayer le Yi King ou les billets que l’on trouve dans les
biscuits des restaurants chinois, pour rassembler pléthore de phrases courtes
vaguement ésotériques, et en choisir une à dire au hasard à chaque
opportunité qui se présente. Cela vous donnera une image de prophète, mais
ça aura très peu de chances de créer l'impression que vous êtes un sage,
car rien de ce que vous direz ne sera particulièrement pertinent par rapport
à ce qui se passe dans la partie. Je connaissais quelqu'un au collège qui
abordait parfois les gens en leur disant quelque chose de complètement
incompréhensible ; je ne savais pas d'où il tirait tout ça, mais j'ai
récemment entendu Alan
Arkin utiliser le même chapelet d'absurdités dans un film :
- Arkin : Dans mon pays, nous avons un vieux proverbe qui dit :
Iskidividi, Ishkidivirn.
- Autre personnage : Oh. Et ça veut dire quoi?
- Arkin : Personne ne le sait, c'est un très vieux dicton.
C'est comme ça que les aphorismes au pif tournent, la plupart du temps. Si
quelqu'un a trouvé un moyen d'utiliser les mots de sagesse comme technique
pour faire paraître sage un personnage, j'aimerais qu'il m'en parle !
Bien sûr, en tant que MJ , la chose qui me permettait de donner à mes
personnages l'aspect de la sagesse, est que je savais des choses inconnues des
joueurs. Donc une fois qu’ils avaient pigé qu'un personnage en particulier
était censé être sage, ils se rendent également compte que ses paroles
montraient plus souvent la bonne direction que la mauvaise. Je ne leur disait
pas ce qui allait arriver, bien sûr ; je préfèrais plutôt les prévénir
de possibilités, et ils prenaient ce conseil au sérieux.
Même si cette approche particulière repose sur un certain savoir de la part
des joueurs, il y a quelques manières de l'appliquer en jeu.
Un truc qui aide dans la création d’une impression de sagesse, est la
capacité de poser des questions importantes. Cela demande un peu de pratique,
peut-être même un peu de sagacité personnelle, mais si vous, en tant que
joueur, pouvez regarder la situation, les plans et propositions de vos
compagnons, et soulever des questions, ça paraîtra en tant que tel, sage.
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[NdT3 l’auteur fait aussi référence à la maïeutique] |
Socrate est souvent présenté comme un professeur
qui ne faisait presque aucune affirmation, mais posait toujours des questions
en laissant ses étudiants trouver les réponses [NdT3]. C'est assez courant
dans les facs de droit. Un jour, mon prof de droit de la propriété posa une
question et prit la réponse d'un des élèves qui leva la main
immédiatement. Plusieurs mains se levèrent après cette réponse, et il prit
une autre réponse, et encore une autre ! La cloche sonna. Le professeur prit
trois réponses de plus, et dit « Une de ces réponses est juste » et
conclut ainsi le cours. Je ne sais pas s'il connaissait la réponse, mais il
eut l'air assez sage de nous laisser nous battre avec les questions.
Par ailleurs, les gens sages préconisent la prudence. Il y a certainement de
merveilleux proverbes dans la ligne de « Battez le fer tant qu'il est chaud
» ou « Celui qui hésite déjà échoue », nous appelant à l’action, et
même à la hâte. Mais neuf fois sur dix la sagesse dit qu'il faut
s'arrêter, observer, et écouter avant de s'engager quelque part. Le
personnage qui prône la prudence et la préméditation de l'action semble
sage.
J'ai vu quelque part un panneau sympa qui disait « Attention : assurez-vous
du fonctionnement de votre cerveau avant d'actionner vos cordes vocales. »
Une des meilleures manières de préserver l'impression de sagesse est de se
taire lorsque l'on a rien de perspicace à dire.
Mon personnage, Thuliar, utilisait cette technique avec un franc succès. Ce
demi-elfe rôdeur/clerc était presque toujours accompagné de son compagnon
Guljor, un gnome guerrier/illusioniste. Guljor parlait incessamment, passant
du coq à l'âne et débitant cent quatre vingt mots par minute. Thuliar, de
son côté, parlait lentement, posément, délibérément et rarement. Une
nuit, quand je pris la voix de Thuliar, le joueur qui faisait office de chef
du groupe dit soudain aux autres de se taire ; il ne voulait pas rater quoique
ce soit d'important dit par Thuliar, et il s'était rendu compte que Thuliar
ne disait rien à moins que ce soit important.
Il y a d'autres traits qui semblent connectés à la sagesse. Les sages ont
tendance à être observateurs, à un niveau ou à un autre. Certains
remarquent les actes insignifiants, d'autres comprennent les motivations
humaines, et d'autres voient les choses dans leur ensemble.
C'est plus dur à simuler, vous devez presque avoir cette capacité vous-même
pour la rendre viable en jeu. En revanche, si vous n'êtes pas le MJ, vous
pouvez passer un accord avec lui pour mettre au point votre sagesse
particulière, qui inclut un de ces aspects. Donc si vous avez le don de
comprendre les gens, dites-lui que votre sagesse vous autorise à connaître
quelque chose à propos de ce que telle ou telle personne est susceptible de
faire ; si vous pouvez voir les tendances de fond, demandez-lui comment votre
personnage perçoit les évènements présents en fonction de tout ce qui
s'est passé d’autre.
Un personnage peut parfois porter un bien plus grand poids que le joueur à
cause de son score de Force. Pourquoi un joueur ne devrait-il pas avoir
l'avantage de voir les choses plus clairement parce que la sagesse de son
personnage est élevée? Cela peut demander de s'éloigner du personnage, mais
êtes-vous vraiment dans le personnage si vous ne pouvez pas voir ce qu'il
pourrait voir, ou comprendre ce qu'il comprendrait?
Bien sûr, parfois être le sage se limite simplement à ne pas faire
n'importe quoi. Un des aphorismes anonymes de mon livre dit « L'expérience
est ce qui vous permet de reconnaître une erreur lorsque vous la reproduisez.
». La plupart d'entre nous a conscience d'être bête quand nous agissons
bêtement, mais nous agissons quand même. Apprenez au moins à réfréner
votre personnage quand vous voulez lui faire faire des âneries, et tout d'un
coup il apparaîtra à tous comme un grand penseur. Si vous voulez faire plein
de bêtises, faites-vous un second personnage, un guerrier fanfaron ou un
filou porté sur la machination, et utilisez votre personnage sage pour lui
adresser des remontrances sur son imbécillité et pour exprimer son
exaspération face à ses lubies. Un faire-valoir tel que celui-ci dans le
groupe vous rendra bien service, même si vous jouez les deux côtés.
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