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Vous avez déjà certainement entendu parler de notre belle et étrange
relation, où je suis beau et vous êtes… bon, je vais supposer que vous la
connaissez. Ma relation avec le créateur de Multiverser, E.R. Jones fut
étrange d’un côté comme de l’autre dès le début. Il y avait beaucoup de
choses que nous semblions avoir en commun (au point de nous prendre pour des
frères, et encore quelques fois les gens ne sont pas sûr lequel des deux
binoclards barbus aux cheveux sombres sont dépeints dans les dessins de l’artiste
Jim Denaxa). Mais plus nous nous connaissions, plus il apparaissait que nous
faisions beaucoup de choses de la même façon, mais pour des raisons bien
différentes.
Il portait la barbe car il trouvait que se raser n’était pas pratique. Je la
portais car je n’aimais pas la sensation de la sueur et des huiles sur mon
visage après m’être rasé.
Nous mettions tous les deux des glaçons dans notre café. Moi car je n’étais
pas patient en ce qui concerne les boissons et me serais certainement brûlé
avec avant qu’il ne refroidisse. Lui, d’un autre côté, préférait son
café froid, un souvenir de son temps dans l’armée où c’était la seule
façon dont vous pouviez avoir votre café (et c’était le cuistot).
Nous étions tous les deux respectés pour nos compétences de MJ à Donjons et
Dragons, ayant tous deux commencé en 1980. Ma réputation était d’être plus
proche du livre de règles que n’importe qui. Lui, d’un autre côté,
construisait sa partie entièrement sur cette phrase de la préface « le
créateur et l’autorité ultime dans votre propre jeu », considérant le
reste comme optionnel. Nous avons appris beaucoup l’un de l’autre en jouant
ensemble, mais nos parties n’étaient jamais les mêmes, et peut-être même
pas similaires, même de loin.
Et nous avions tous les deux l’habitude, quand quelqu’un nous posait une
question demandant réflexion, de jeter en l’air une pièce invisible,de la
rattraper et, la plaquer ostensiblement sur notre poignet pour voir si c’était
pile ou face. Je le faisais pour gagner du temps - pendant que je faisais
semblant que la pièce tournait en l’air, je réfléchissais avant de
répondre. Comme un professeur qui, lorsqu’un problème difficile est posé,
tire une grande bouffée sur sa pipe et exhale longuement (bien que je suppose
que la version politiquement correcte aujourd’hui serait une grande gorgée
indolente dans sa tasse de café) : vous attendez une réponse, mais mes actions
cachent le fait que je n’en ais pas encore.
Mais la raison de E.R. Jones était très différente et assez révélatrice.
Pour lui, la pièce était plus vraie qu’elle ne l’était pour moi. Quand
elle était en l’air, il y avait l’impression qu’elle pouvait retomber
soit sur pile soit sur face. Quand elle était en l’air, il se demandait de
quel côté elle tomberait. Quand elle était en l’air, il laissait la
question le traverser. Au moment où il l’attrapait, il espérait déjà, il
souhaitait que la pièce retombe d’un côté plutôt que l’autre, comme si
elle pouvait donner le mauvais résultat et le décevoir, ou la bonne et le
récompenser.
Et quand il savait de quel côté il aimerait que la pièce tombe, il savait ce
qu’il voulait choisir.
Bien des fois dans mes parties, je me demande ce que je veux qu’il se passe.
Ce n’est pas toujours une question aussi simple que vous pourriez le penser.
Le simple fait que je me pose la question, c’est qu’il y a un conflit
intérieur, que je vois plusieurs bonnes (ou peut-être pas bonnes)
possibilités. Je pourrais probablement énumérer des raisons de soutenir n’importe
quel choix. Savoir ce que je veux n’est pas simple.
Je pourrais vouloir une pleine poche de ses pièces invisibles. Oubliez les
pièces - avec la complexité de certains de mes choix, j’ai besoin de dés
invisibles.
Mais je les ai. Autant que j’en ai besoin. J’ai regardé mon étrange ami
lancer des dés invisibles, et les ai entendus rouler sur la table, et je l’ai
même vu tendre ces dés invisibles à des joueurs dans sa partie. Oh, ils n’avaient
pas l’air invisibles à ce moment - ils ressemblaient à des dés ordinaires.
Mais ce que vous voyiez n’était pas ce qu’il voyait, et une fois que vous
comprenez ce qu’il voit, vous pouvez le voir aussi.
On disait souvent de ses parties que les dés ne comptaient pas. Il savait ce
qui allait se passer, et vous tendre les dés était une manière de vous faire
sentir impliqué dans l’histoire qu’il racontait au final. Il créait l’illusion
que c’était votre histoire, mais pour les choses importantes, c’était la
sienne. J’ai lui ai même dit que son mécanisme de base de Multiverser
était de lancer les dés, de les regarder et de décider de ce qu’il voulait
qu’ils indiquent. Je suis même allé jusqu’à lui dire que nous ne pouvions
pas vendre cela, alors que nous allions devoir créer des mécanismes qui
fassent la même chose, mais pour tous ceux qui n’était pas lui. C’est
peut-être des idées injustes, je pense toujours que j’ai fait la différence
dans les parties que j’ai jouées. Mais je pense aussi qu’il a beaucoup
utilisé les dés pour cacher son contrôle de la partie.
Et c’est ce que je vais vous recommander. Dans la plupart des parties, les
joueurs n’ont pas besoin de connaître beaucoup des détails qu’ils pensent
connaître. Quelles sont mes chances de toucher la cible ? Comment
pourrais-tu le savoir ? Combien de dégâts peut prendre cette chose avant
de mourir ? Comment pourrais-tu le savoir ? A quel point cela peut-il me
faire mal ? Comment pourrais-tu le savoir ? Qu’est ce qui se passerait
si j’essayais ça ? Comment pourrais-tu le savoir ? Considérez toutes
les choses qu’un joueur ou son personnage ne sait pas en réalité (ou
ne devrait pas considérer qu’il sait, pour le moins). Aucun joueur ne devrait
jamais se retrouver dans une position où il sait avec
certitude ce que signifierai le résultat d’un jet de dés.
Alors donnez les dés au joueur et laissez-le les lancer. Alors que les dés
tombent, votre cœur sera en train de chercher quelque chose ou quelqu’un - il
y aura un résultat que vous désirerez. Une fois que vous savez cela, le jet de
dés est presque sans importance. Bien sûr, si c’est que le joueur verrait
comme une réussite ou un échec évident, allez dans son sens (sinon ils se
méfieront). Mais si votre cœur vous dit que les joueurs ont besoin de
peur dans le leur, c'est-à-dire si vous espérez que ce lancé échoue,
tournez l’histoire dans ce sens, et si votre cœur vous dit que c’est le
moment qu’ils gagnent, donnez-leur des indices pour qu’ils y arrivent.
Un contributeur de forum de ma connaissance a dit « On n’a pas besoin de dés
puants ». Cela est étranger à ma tournure d’esprit. Je suis toujours l’arbitre
qui pense que le jeu est juste et interprète les jets de dés strictement. Mes
joueurs de D&D savent que le monde qu’ils explorent a été conçu avec
force détails avant qu’ils ne le voient et qu’en général rien n’a été
fait en fonction de ma connaissance de leurs personnages ou d’eux-mêmes. Ce
sont de bonnes choses, et je ne les échangerais pas contre la flexibilité des
jeux où je raconte l’histoire que je veux et où je traîne les joueurs avec
moi.
Mais j’ai appris que j’ai entre les mains bien plus de l’histoire que je n’en
rêvais. Et j’ai appris à l’utiliser, pas à mon avantage (je suis après
tout le juge, l’arbitre neutre du jeu), mais au bénéfice de l’histoire,
pour que l’issue en soit amusante pour tous. Je contrôle tellement d’éléments
qui leurs sont inconnus. S’ils ne connaissent pas les faits, je peux les
changer à la volée. Je n’ai pas à me confiner à mes notes. Je dois donner
de l’excitation à mes joueurs.
Je dois aussi découvrir si E.R: Jones est de quelque façon que ce soit lié à
moi. Quelque chose doit expliquer ces singularités communes saugrenues.
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