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Quand la planification tourne à la baston

Robin D. Laws

Trop de préparation révèle les mauvais côté des joueurs

 

Chaque fois que je suis invité à une convention de JdR, j’ai l’habitude de demander à l’organisateur de l’évènement de mettre en place une table ronde portant sur le "Dépannage de la Maîtrise" minute après minute, j’ai appris plus de choses sur les parties de jeu de rôle telles qu’elles se passent vraiment en répondant à des questions lors de ces évènements, que sur n’importe quel autre forum. En se concentrant sur des questions / réponses, plutôt que de verser dans des discours pontifiants et abstraits de conférencier, on peut ressentir réellement les problèmes pratiques qui minent les groupes partout où l’on lance des polyèdres.

Le genre de problèmes le plus courant, et le plus facile à résoudre consiste en des divergences de goûts entre les joueurs. J’en ai déjà traité en profondeur ailleurs, plus spécifiquement dans Robin's Laws of Good Gamemastering et le chapitre d’introduction du Guide du Maître II pour Donjons & Dragons®. Débattre par écrit des difficultés de maîtrise nous met face à un épineux problème. Les MJ expérimentés savent tous trop bien que les parties peuvent parfois dégénérer en expériences de graves frustrations. Bien que cela ne soit pas vraiment un secret, ce n’est pas non plus un fait sur lequel vous voulez vous étendre dans un livre censé se vendre sur le principe que le jeu de rôles est amusant. Nous mettons en avant le positif pour survivre. Notre passion a besoin d’un flot continu de personnes désireuses d’entreprendre la tâche chronophage et parfois ingrate de maîtriser des parties. Nous craignons toujours qu’une discussion trop franche sur les diverses embûches de l’expérience du Jeu de Rôles fasse fuir les MJ en herbe jusqu’à l’abri incomparablement plus sûr de leur Xbox.

Dans l’atmosphère moins formelle d’une chronique sur internet, peut-être est-ce plus sûr d’admettre ce que tout le monde sait. Beaucoup de parties-marathons sont juste assez amusantes pour carrément nous saoûler. Une partie où un groupe d’aventuriers prépare l’assaut du camp fortifié gobelin de Xanthrukor - avec l’accent mis sur la préparation, l’exécution, et l’effort collectif - peut facilement ressembler à une réunion de travail prise-de-tête dans n’importe quelle entreprise dysfonctionnelle. Chacune comporte le même lot de problèmes relationnels décourageants : le gars qui n’écouter pas. Le mec qui ne la boucle jamais. Le collègue qui est toujours hors-sujet. Le professionnellement obtus, qui revient encore et toujours sur le même détail dont personne n’a rien à foutre, au moment où tout le monde pensait qu’ils avaient réussi à l’enterrer [NdT : l’argument, pas le type]. Et ça, ce n’est qu’effleurer la surface du problème.

D’accord, les parties de jeu de rôles ont quelques avantages par rapport aux réunions de travail. D'une, vous avez des super pouvoirs. De deux, vous avez des trucs à buter. De trois, une fois que vous les avez butés, vous pouvez prendre leurs affaires. Dernier point, et le plus important, il y a vous. Le MJ. Vous êtes l’arbitre ultime de la réalité du monde, adjudicateur de toutes les actions, et pilote du scénario. Cependant, toute la puissance potentielle de votre véritable pouvoir, celui de maintenir la soirée loin de l’écueil des querelles inutiles, réside dans la subtilité.

De nombreux MJ, suivant un protocole ancien et non-écrit qui est né dans les premiers jours de notre loisir, adoptent une approche non-interventionniste des interactions entre les joueurs. En principe, c’est logique. Le MJ a tellement d’autorité sur tant d’aspects de la partie qu’il ne devrait pas s’imposer dans un des rares domaines où le joueur a un contrôle total. Et en effet, le MJ ne devrait jamais essayer de pousser les joueurs à planifier une partie afin qu’ils atteignent un résultat particulier. l’objectif devrait être n’importe quel résultat un tant soit peu raisonnable.

La plupart des joueurs coincés dans l’ornière d’une discussion qui tourne en rond désespèrent de trouver une porte de sortie. Quelques mots de votre part peuvent prudemment remettre la discussion sur les rails. Le point-clé ici est de ne pas prendre de décisions ou faire de suggestions à la place du groupe, mais de souligner et d’organiser les bonnes suggestions qu’ils ont déjà faites. Contentez-vous d’être neutre, mais aidez de façon productive à ce que la discussion prenne forme.

Le découragement conquiert rapidement un groupe lorsque la planification a tourné à la baston, et que trop peu d’options acceptables semblent se présenter. Le résultat est souvent la paralysie lorsque le groupe exclut des choix parfaitement convenables. Quand cela arrive, vous devez faire plus que fournir un récapitulatif concis et optimiste. A la place, réfutez gentiment les hypothèses qui ont mené le groupe à rejeter les options viables.

Quelques joueurs sont pessimistes par nature. Les autres le sont devenus par la faute d’anciens MJ absurdement punitifs. Le débatteur adroit, qui démonte habilement tous les plans autres que les siens, pose un problème peut-être plus fréquent.

Les joueurs vivent dans le monde réel, et appliquent sa logique à votre monde de jeu. Ceci entraîne une collision d’attentes. Presque tous les univers de jeu en circulation sont basés sur la logique des romans d’aventures, où les obstacles sont là pour être surmontés. Peu importe le temps que les joueurs passent à consommer des histoires de ce genre, qu’elles soient en livres ou à l’écran, il est difficile pour la plupart d’entre nous de prendre cette logique vraiment à cœur.

Combien de fois, par exemple, avez-vous entendu les joueurs tenir pour certain que l’antre du méchant était sécurisé de façon inexpugnable ? Rappelez-leur qu’un groupe talentueux peut se faufiler dans la mieux gardée des forteresses. « Inexpugnable » signifie dans le genre d’aventures, « vraiment dur, mais j’ai un plan de fou et ça pourrait même marcher ». Ca veut dire l’Etoile de la Mort ou le quartier général de Goldfinger, pas l’équivalent réel de ces installations.

Si vous n’arrivez pas à défendre les conventions qui font fonctionner les romans d’aventure, vous ne devrez pas vous étonner que les préparations s’enlisent faute d’options crédibles.

Vos joueurs devraient être capables de compter sur les méchants pour les combattre par vagues successives, afin de créer une série de combats divertissants. S’ils supposent le contraire – et ils le feront – rappelez-leur d’appliquer la logique correcte pour la résolution de leur problème.

Des motifs égoïstes et des aspirations mégalomanes des joueurs provoquent certes un certain nombre de querelles. Il est difficile de s’occuper de joueurs qui adoptent des comportements ennuyeux pour le plaisir. Au mieux, vous pouvez apprendre à détecter ces comportements et essayer de les détourner dès que les symptômes apparaissent. Attendez-vous à des chances de succès mitigées auprès des joueurs délibérément rustres. Leur comportement turbulent provient souvent d’une tentative inconsciente d’assumer une forme de pouvoir personnel et de contrôle autrement absente de leur vie. Chopez un de ces types dans un de ses beaux jours lorsqu’il croit qu’il gère, et vos trucs fonctionneront parfaitement. Attaquez-vous à lui quand il est fatigué, capricieux et soucieux, et vous verrez vos plus douces stratégies relationnelles courir à la catastrophe.

Altérer fondamentalement et de façon permanente les caprices de la personnalité d’un joueur est au-dessus des capacités du plus puissant maître de jeu. Ces gens doivent soit être tolérés, ou ne plus être invités à votre table. Comme toujours, la décision est difficile ; vous aurez à équilibrer le désir de recevoir un ami avec celui de l’expérience de jeu idéale. Ce calcul n’est pas propre au jeu de rôle : tout groupe engagé dans une activité récréative, que ce soit le club de bowling ou une association de passionnés des aquariums doit faire face au même problème.

Personnellement, je suis un avocat de la tolérance. Nous avons tous nos mauvais jours. Aucun de nous n’est exempt d’habitudes irritantes. Souvent, ceux qui sont le moins capables de s’entendre avec les autres sont ceux qui ont le plus besoin de leur compagnie. A la limite, j’admets que j’admire les gens suffisamment à fond dans leur passion pour virer sans complexe les participants dont les problèmes personnels sont une gêne constante. S’il faut choisir, cependant, je pense que je préférerais me voir comme quelqu’un de tolérant plutôt que comme le MJ d’une partie brillante.

Ou peut-être est-ce juste parce que je n’ai jamais été assez malchanceux pour avoir un joueur véritablement emm… dans mon groupe.


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Traduit par Pierre Carmody. Tiré de See p.XX, avec l'aimable autorisation de Robin D.Laws et Pelgrane Press. 
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