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Chaque fois que je suis invité à une convention
de JdR, j’ai l’habitude de demander à l’organisateur de l’évènement
de mettre en place une table ronde portant sur le "Dépannage de la Maîtrise" minute
après minute, j’ai appris plus de choses sur les parties de jeu de rôle
telles qu’elles se passent vraiment en répondant à des questions lors de
ces évènements, que sur n’importe quel autre forum. En se concentrant sur
des questions / réponses, plutôt que de verser dans des discours pontifiants
et abstraits de conférencier, on peut ressentir réellement les problèmes
pratiques qui minent les groupes partout où l’on lance des polyèdres.
Le genre de problèmes le plus courant, et le plus
facile à résoudre consiste en des divergences de goûts entre les joueurs.
J’en ai déjà traité en profondeur ailleurs, plus spécifiquement dans Robin's
Laws of Good Gamemastering et
le chapitre d’introduction du Guide du Maître II pour Donjons &
Dragons®. Débattre par écrit des difficultés de maîtrise nous met
face à un épineux problème. Les MJ expérimentés savent tous trop bien que
les parties peuvent parfois dégénérer en expériences de graves
frustrations. Bien que cela ne soit pas vraiment un secret, ce n’est pas non
plus un fait sur lequel vous voulez vous étendre dans un livre censé se
vendre sur le principe que le jeu de rôles est amusant. Nous mettons en avant
le positif pour survivre. Notre passion a besoin d’un flot continu de
personnes désireuses d’entreprendre la tâche chronophage et parfois
ingrate de maîtriser des parties. Nous craignons toujours qu’une discussion
trop franche sur les diverses embûches de
l’expérience du Jeu de Rôles fasse fuir les MJ en herbe jusqu’à
l’abri incomparablement plus sûr de leur Xbox.
Dans l’atmosphère moins formelle d’une
chronique sur internet, peut-être est-ce plus sûr d’admettre ce que tout
le monde sait. Beaucoup de parties-marathons sont juste assez amusantes pour
carrément nous saoûler. Une partie où un groupe d’aventuriers prépare
l’assaut du camp fortifié gobelin de Xanthrukor - avec l’accent mis sur
la préparation, l’exécution, et l’effort collectif - peut facilement
ressembler à une réunion de travail prise-de-tête dans n’importe quelle
entreprise dysfonctionnelle. Chacune comporte le même lot de problèmes
relationnels décourageants : le gars qui n’écouter pas. Le mec qui ne
la boucle jamais. Le collègue qui est toujours hors-sujet. Le
professionnellement obtus, qui revient encore et toujours sur le même détail
dont personne n’a rien à foutre, au moment où tout le monde pensait
qu’ils avaient réussi à l’enterrer [NdT : l’argument, pas le type]. Et ça, ce n’est qu’effleurer la surface du problème.
D’accord, les parties de jeu de rôles ont
quelques avantages par rapport aux réunions de travail. D'une, vous avez des
super pouvoirs. De deux, vous avez des trucs à buter. De trois, une fois que
vous les avez butés, vous pouvez prendre leurs affaires. Dernier point, et le
plus important, il y a vous. Le MJ. Vous êtes l’arbitre ultime de la réalité
du monde, adjudicateur de toutes les actions, et pilote du scénario.
Cependant, toute la puissance potentielle de votre véritable pouvoir, celui
de maintenir la soirée loin de l’écueil des querelles inutiles, réside
dans la subtilité.
De nombreux MJ, suivant un protocole ancien et
non-écrit qui est né dans les premiers jours de notre loisir, adoptent une
approche non-interventionniste des interactions entre les joueurs. En
principe, c’est logique. Le MJ a tellement d’autorité sur tant
d’aspects de la partie qu’il ne devrait pas s’imposer dans un des rares
domaines où le joueur a un contrôle total. Et en effet, le MJ ne devrait
jamais essayer de pousser les joueurs à planifier une partie afin qu’ils
atteignent un résultat particulier. l’objectif devrait être n’importe
quel résultat un tant soit peu raisonnable.
La plupart des joueurs coincés dans l’ornière
d’une discussion qui tourne en rond désespèrent de trouver une porte de
sortie. Quelques mots de votre part peuvent prudemment remettre la discussion
sur les rails. Le point-clé ici est de ne pas prendre de décisions ou faire
de suggestions à la place du groupe, mais de souligner et d’organiser les
bonnes suggestions qu’ils ont déjà faites. Contentez-vous d’être
neutre, mais aidez de façon productive à ce que la discussion prenne forme.
Le découragement conquiert rapidement un groupe
lorsque la planification a tourné à la baston, et que trop peu d’options
acceptables semblent se présenter. Le résultat est souvent la paralysie
lorsque le groupe exclut des choix parfaitement convenables. Quand cela
arrive, vous devez faire plus que fournir un récapitulatif concis et
optimiste. A la place, réfutez gentiment les hypothèses qui ont mené le
groupe à rejeter les options viables.
Quelques joueurs sont pessimistes par nature. Les
autres le sont devenus par la faute d’anciens MJ absurdement punitifs. Le débatteur
adroit, qui démonte habilement tous les plans autres que les siens, pose un
problème peut-être plus fréquent.
Les joueurs vivent dans le monde réel, et
appliquent sa logique à votre monde de jeu. Ceci entraîne une collision
d’attentes. Presque tous les univers de jeu en circulation sont basés sur
la logique des romans d’aventures, où les obstacles sont là pour être
surmontés. Peu importe le temps que les joueurs passent à consommer des
histoires de ce genre, qu’elles soient en livres ou à l’écran, il est
difficile pour la plupart d’entre nous de prendre cette logique vraiment à cœur.
Combien de fois, par exemple, avez-vous entendu
les joueurs tenir pour certain que l’antre du méchant était sécurisé de
façon inexpugnable ? Rappelez-leur qu’un groupe talentueux peut se
faufiler dans la mieux gardée des forteresses. « Inexpugnable »
signifie dans le genre d’aventures, « vraiment dur, mais j’ai un
plan de fou et ça pourrait même marcher ». Ca veut dire l’Etoile de la Mort
ou le quartier général de Goldfinger, pas l’équivalent réel de ces
installations.
Si vous n’arrivez pas à défendre les
conventions qui font fonctionner les romans d’aventure, vous ne devrez pas
vous étonner que les préparations s’enlisent faute d’options crédibles.
Vos joueurs devraient être capables de compter
sur les méchants pour les combattre par vagues successives, afin de créer
une série de combats divertissants. S’ils supposent le contraire – et ils
le feront – rappelez-leur d’appliquer la logique correcte pour la résolution
de leur problème.
Des motifs égoïstes et des aspirations mégalomanes
des joueurs provoquent certes un certain nombre de querelles. Il est difficile
de s’occuper de joueurs qui adoptent des comportements ennuyeux pour le
plaisir. Au mieux, vous pouvez apprendre à détecter ces comportements et
essayer de les détourner dès que les symptômes apparaissent. Attendez-vous
à des chances de succès mitigées auprès des joueurs délibérément
rustres. Leur comportement turbulent provient souvent d’une tentative
inconsciente d’assumer une forme de pouvoir personnel et de contrôle
autrement absente de leur vie. Chopez un de ces types dans un de ses beaux
jours lorsqu’il croit qu’il gère, et vos trucs fonctionneront
parfaitement. Attaquez-vous à lui quand il est fatigué, capricieux et
soucieux, et vous verrez vos plus douces stratégies relationnelles courir à
la catastrophe.
Altérer fondamentalement et de façon permanente
les caprices de la personnalité d’un joueur est au-dessus des capacités du
plus puissant maître de jeu. Ces gens doivent soit être tolérés, ou ne
plus être invités à votre table. Comme toujours, la décision est difficile ;
vous aurez à équilibrer le désir de recevoir un ami avec celui de l’expérience
de jeu idéale. Ce calcul n’est pas propre au jeu de rôle : tout
groupe engagé dans une activité récréative, que ce soit le club de bowling
ou une association de passionnés des aquariums doit faire face au même problème.
Personnellement,
je suis un avocat de la tolérance. Nous avons tous nos mauvais jours. Aucun
de nous n’est exempt d’habitudes irritantes. Souvent, ceux qui sont le
moins capables de s’entendre avec les autres sont ceux qui ont le plus
besoin de leur compagnie. A la limite, j’admets que j’admire les gens
suffisamment à fond dans leur passion pour virer sans complexe les
participants dont les problèmes personnels sont une gêne constante. S’il
faut choisir, cependant, je pense que je préférerais me voir comme
quelqu’un de tolérant plutôt que comme le MJ d’une partie brillante.
Ou
peut-être est-ce juste parce que je n’ai jamais été assez malchanceux
pour avoir un joueur véritablement emm… dans mon groupe.
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