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Robin D. Laws

Faites cadeau d'actions réussies!

 

Il y a quelques articles, je mentionnais la règle sacrée de l’impro théâtrale : ne niez jamais. L’idée est la suivante : quand vous travaillez ensemble pour créer une scène à partir de rien, vous devez accepter et construire à partir de n’importe quelle contribution d’un autre acteur. Vous ne pouvez pas la contredire ou l’ignorer; cela fait reculer la scène et fait perdre du temps. Le résultat est, en d’autres termes, créateur d'ennui. La règle veut que les acteurs abandonnent un certain degré de contrôle personnel sur l’histoire et qu’ils acceptent la spontanéité et l’avancement de l’histoire.

Cependant dans presque toutes les situations de jeu de rôle, il existe une force qui contredit régulièrement l’avancement de l’histoire et le fait bien plus souvent que n’importe quel MJ ou joueur : les dés et les règles. Dans votre poche à dés, ces polyèdres qui veulent tout régenter, associés à votre système de résolution favori, disent constamment non aux PJ pendant que ces derniers tentent d’agir dans le monde.

L’échec est en général ennuyant. C’est la menace crédible de l’échec en suspens qui est intéressante.

Dans d’autres formes de récit d’aventures, les échecs des protagonistes sont des évènements rares et remarquables. Ils surviennent avec parcimonie, voire jamais. Lorsque c’est le cas, ce sont des évènements clés qui marquent une étape importante et dramatique dans l’histoire. Ils ont une signification profonde pour le héros et son rôle dans le monde.

(Les renversements de situation, dans lesquels le héros est mis dans une mauvaise posture suite à l’action réussie d’un antagoniste, sont des choses différentes. Nous parlons ici d’échecs complets, dans lesquels le protagoniste n’a que lui à blâmer pour son triste sort. Un autre phénomène advient lorsque les héros découvrent qu’une action particulière est impossible - la forteresse est imprenable, les conditions atmosphériques empêchent d’utiliser les capteurs correctement. Ceci réduit les choix des personnages et rend la situation plus difficile ; ce ne sont pas des échecs à proprement parler)

Les échecs de routine sont quasiment inexistants dans les fictions d’aventures hors du jeu de rôle. Ils font apparaître les protagonistes comme incompétents et indignes de notre désir d’identification et d'évasion. Encore pire, ils ralentissent l’histoire. Quand avez-vous vu pour la dernière fois :

  • Un personnage important du laboratoire technique des Experts contaminer accidentellement un échantillon, le rendant inutilisable en tant que preuve - dans un épisode qui ne tourne pas spécifiquement autour de cet échec?
  • Un personnage de Star Trek échouant à lire correctement un tricordeur ?
  • Le sens du danger d’un super héros réagir sur un faux positif ou un faux négatif - dans une histoire qui n’utilise pas cet évènement comme preuve que quelque chose ne tourne pas rond ?

L’échec d’un héros à accomplir une action routinière n’ajoute rien à l’intérêt d’une histoire. C’est juste un boulet à traîner. Le personnage doit d’abord gérer les conséquences fâcheuses de son échec. C’est un temps X de jeu perdu à revenir au point de départ. Puis le MJ doit trouver une manière détournée de fournir l’information, les ressources ou tout autre élément qui va faire avancer l’histoire par d’autres moyens. Cela nécessite l’insertion de scènes, de dialogues, de lieux et d’évènements supplémentaires qui ne servent à rien et n’avancent à rien. Etant donnée la nature imprévisible de la narration dans un JdR, il est possible que n’importe lequel de ces ajouts lance l’histoire dans une direction inattendue et intéressante. Mais c’est également vrai des séquences qui pourraient être en train de faire avancer le scénario, si cet échec gratuit n’était pas survenu.

D’un autre coté, un potentiel d’échec crédible doit exister quand les enjeux sont grands. Dans ce cas, ce potentiel génère du suspense, une des émotions clé qui nous fait revenir encore et toujours à la table de jeu.

La plupart des systèmes de règles demandent de fixer le niveau de difficulté pour accomplir une action dans le monde fictif du jeu, comparent d’une manière ou une autre cette difficulté aux capacités des personnages, et demandent un jet de dés. Je prétends que si vous cherchez à créer quoi que ce soit qui ressemble à une histoire, votre MJ doit prendre le temps de se poser quelques autres questions avant que les dés ne sortent de leur poche :

1) Ce jet de dé va-t-il générer du suspense? Les joueurs s’en soucient-ils vraiment ?

a) Si oui : lancez les dés

b) Si non : passez à la question suivante

2) L’échec sera-t-il au moins intéressant et donnera-t-il autant d’élan à l’histoire qu’un succès ?

a) Si oui : lancez les dés

b) Si non : le succès est « cadeau ». Le personnage réussit automatiquement

Réclamer des jets de dés est une habitude difficile à abandonner. L’outil est là, nous sommes tentés de l’utiliser. Cependant, ce n’est pas parce que vous avez un sac de macaronis crus et de la peinture dorée que vous devez obligatoirement en faire une décoration de Noël.

Beaucoup de joueurs veulent faire plein de jets de dés. C’est amusant d’interagir avec les règles. Les joueurs ont passé beaucoup de temps à choisir et à augmenter leurs capacités, ils veulent les utiliser. Des fois les jets de dés rendent la réussite de tâches difficiles plus crédible.

Il est toujours possible de faire se rejoindre les capacités des personnages et les succès d'office accordés par le MJ, pour permettre à ces dés si importants d’être lancés. Quand un personnage veut effectuer une action que le MJ considère comme une réussie d'office (un "cadeau"), le joueur peut toujours lancer les dés - afin d’agrémenter sa réussite automatique d’un bénéfice mineur en extra. En général ce succès secondaire sera que l’action est accomplie de manière particulièrement brillante et impressionnante, ce qui renforcera chez le joueur le sentiment d’identification et d’évasion.

  • Non seulement l’expert en ADN réussit à identifier les échantillons comme appartenant au suspect principal, mais il le fait en pulvérisant le record de vitesse détenu par le connard arrogant du laboratoire
  • Le personnage grimpe sur le mur, et atterrit au sommet avec un gracieux mouvement. Derrière lui, sa cape se gonfle dans le vent, et sa silhouette se découpe spectaculairement contre la pleine lune.
  • La chanson du barde distrait bien les gardes, et attire en plus l’attention d’une superbe courtisane.

Un échange type entre MJ et joueur pourrait se dérouler ainsi:

- Jack, un joueur: Je veux me glisser dans le poste de garde, neutraliser les sentinelles et prendre leurs uniformes, pour que nous puissions nous infiltrer dans le palais.

- [Le MJ pense: Enfin! Une manière crédible et appropriée de rentrer dans le palais après une demi-heure d’hésitations! Est-ce que cela peut être une situation à suspense ? Peut être pour Jack, mais c’est une mission en solo, les autres joueurs ne seront pas très intéressés - surtout qu’ils doivent attendre qu’il réussisse avant d’entreprendre quoi que ce soit. En somme, pas assez de suspense pour valoir le coup. L’échec serait-il aussi intéressant que le succès? Certainement pas : le personnage de Jack serait capturé et traîné dans le corps de garde, les obligeant à le secourir - ils seraient encore plus éloignés de leur but réel qui est d’entrer dans le palais, et nous avons joué un scénario de capture/sauvetage la semaine dernière]

- MJ : Ok, c’est cadeau.

- Jack: je peux lancer quand même ?

- MJ: Mhh. [Pensant à un possible bénéfice secondaire.] Bien sûr.

[Le joueur lance les dés, et réussit.]

[NdlR : pourquoi laisser le MJ  raconter le succès du personnage? Le joueur pourrait le faire, tout en garantissant la cohérence de son personnage, qu'il connaît mieux que quiconque.] - MJ: Tu t’acquittes de la tache en un éclair. Les autres n’ont même pas eu le temps de réaliser que tu étais parti que te voila revenu avec les uniformes.[NdlR]

Voila! Avec cette simple méta-règle que vous pouvez imposer à tous les systèmes de jeu, vous avez le moyen que les joueurs ressentent les succès comme chanceux et satisfaisants. Vous avez éliminé les échecs inutiles, et vous empêchez qu’ils bousillent l’histoire ou qu’ils la transforment en une suite comique d’échecs.

Ne coupez pas l'élan. Laissez les personnages être décontractés et compétents. C’est cadeau. 


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Traduit par Atma. Tiré de See p.XX, avec l'aimable autorisation de Robin D.Laws et Pelgrane Press. 
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