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Il y a quelques articles, je mentionnais la règle sacrée de l’impro
théâtrale : ne niez jamais. L’idée est la suivante : quand
vous travaillez ensemble pour créer une scène à partir de rien, vous devez
accepter et construire à partir de n’importe quelle contribution d’un autre
acteur. Vous ne pouvez pas la contredire ou l’ignorer; cela fait reculer la
scène et fait perdre du temps. Le résultat est, en d’autres termes,
créateur d'ennui. La règle veut que les acteurs abandonnent un certain degré de
contrôle personnel sur l’histoire et qu’ils acceptent la spontanéité et l’avancement
de l’histoire.
Cependant dans presque toutes les situations de jeu de rôle, il existe une
force qui contredit régulièrement l’avancement de l’histoire et le fait
bien plus souvent que n’importe quel MJ ou joueur : les dés et les règles.
Dans votre poche à dés, ces polyèdres qui veulent tout régenter, associés
à votre système de résolution favori, disent constamment non aux PJ pendant
que ces derniers tentent d’agir dans le monde.
L’échec est en général ennuyant. C’est la menace crédible de l’échec
en suspens qui est intéressante.
Dans d’autres formes de récit d’aventures, les échecs des protagonistes
sont des évènements rares et remarquables. Ils surviennent avec parcimonie,
voire jamais. Lorsque c’est le cas, ce sont des évènements clés qui
marquent une étape importante et dramatique dans l’histoire. Ils ont une
signification profonde pour le héros et son rôle dans le monde.
(Les renversements de situation, dans
lesquels le héros est mis dans une mauvaise posture suite à l’action
réussie d’un antagoniste, sont des choses différentes. Nous parlons ici d’échecs
complets, dans lesquels le protagoniste n’a que lui à blâmer pour son triste
sort. Un autre phénomène advient lorsque les héros découvrent qu’une
action particulière est impossible - la forteresse est imprenable, les
conditions atmosphériques empêchent d’utiliser les capteurs correctement.
Ceci réduit les choix des personnages et rend la situation plus
difficile ; ce ne sont pas des échecs à proprement parler)
Les échecs de routine sont quasiment inexistants dans les fictions d’aventures
hors du jeu de rôle. Ils font apparaître les protagonistes comme incompétents
et indignes de notre désir d’identification et d'évasion. Encore pire, ils ralentissent l’histoire.
Quand avez-vous vu pour la dernière fois :
- Un personnage important du
laboratoire technique des Experts contaminer accidentellement un
échantillon, le rendant inutilisable en tant que preuve - dans un épisode
qui ne tourne pas spécifiquement autour de cet échec?
- Un personnage de Star Trek
échouant à lire correctement un tricordeur ?
- Le sens du danger d’un super
héros réagir sur un faux positif ou un faux négatif - dans une histoire qui
n’utilise pas cet évènement comme preuve que quelque chose ne tourne pas
rond ?
L’échec d’un héros à accomplir une action routinière n’ajoute rien
à l’intérêt d’une histoire. C’est juste un boulet à traîner. Le
personnage doit d’abord gérer les conséquences fâcheuses de son échec. C’est
un temps X de jeu perdu à revenir au point de départ. Puis le MJ doit trouver
une manière détournée de fournir l’information, les ressources ou tout
autre élément qui va faire avancer l’histoire par d’autres moyens. Cela
nécessite l’insertion de scènes, de dialogues, de lieux et d’évènements
supplémentaires qui ne servent à rien et n’avancent à rien. Etant donnée
la nature imprévisible de la narration dans un JdR, il est possible que n’importe
lequel de ces ajouts lance l’histoire dans une direction inattendue et
intéressante. Mais c’est également vrai des séquences qui pourraient être
en train de faire avancer le scénario, si cet échec gratuit n’était pas
survenu.
D’un autre coté, un potentiel d’échec crédible doit exister quand les
enjeux sont grands. Dans ce cas, ce potentiel génère du suspense, une des
émotions clé qui nous fait revenir encore et toujours à la table de jeu.
La plupart des systèmes de règles demandent de fixer le niveau de difficulté
pour accomplir une
action dans le monde fictif du jeu, comparent d’une manière ou une autre
cette difficulté aux capacités des personnages, et demandent un jet de dés.
Je prétends que si vous cherchez à créer quoi que ce soit qui ressemble à
une histoire, votre MJ doit prendre le temps de se poser quelques autres
questions avant que les dés ne sortent de leur poche :
1) Ce jet de dé va-t-il générer du suspense? Les joueurs s’en
soucient-ils vraiment ?
a) Si oui : lancez les dés
b) Si non :
passez à la question suivante
2) L’échec sera-t-il au moins intéressant et donnera-t-il autant d’élan
à l’histoire qu’un succès ?
a) Si oui :
lancez les dés
b) Si non :
le succès est « cadeau ». Le personnage réussit automatiquement
Réclamer des jets de dés est une habitude difficile à abandonner. L’outil
est là, nous sommes tentés de l’utiliser. Cependant, ce n’est pas parce
que vous avez un sac de macaronis crus et de la peinture dorée que vous devez
obligatoirement en faire une décoration de Noël.
Beaucoup de joueurs veulent faire plein de jets de dés. C’est amusant d’interagir
avec les règles. Les joueurs ont passé beaucoup de temps à choisir et à
augmenter leurs capacités, ils veulent les utiliser. Des fois les jets de dés
rendent la réussite de tâches difficiles plus crédible.
Il est toujours possible de faire se rejoindre les capacités des personnages
et les succès d'office accordés par le MJ, pour permettre à ces dés si importants d’être lancés. Quand
un personnage veut effectuer une action que le MJ considère comme une réussie
d'office (un "cadeau"), le
joueur peut toujours lancer les dés - afin d’agrémenter sa réussite
automatique d’un bénéfice mineur en extra. En général ce succès
secondaire sera que l’action est accomplie de manière particulièrement
brillante et impressionnante, ce qui renforcera chez le joueur le sentiment d’identification
et d’évasion.
- Non seulement l’expert en ADN réussit à identifier les échantillons comme appartenant au suspect
principal, mais il le fait en pulvérisant le record de vitesse détenu par le
connard arrogant du laboratoire
- Le personnage grimpe sur le mur, et atterrit au sommet avec un gracieux mouvement. Derrière lui, sa cape se
gonfle dans le vent, et sa silhouette se découpe spectaculairement contre la
pleine lune.
- La chanson du barde distrait bien les
gardes, et attire en plus l’attention d’une superbe courtisane.
Un échange type entre MJ et joueur pourrait se dérouler ainsi:
- Jack, un joueur: Je veux me glisser dans le poste de garde, neutraliser
les sentinelles et prendre leurs uniformes, pour que nous puissions nous
infiltrer dans le palais.
- [Le MJ pense: Enfin! Une manière crédible et appropriée de rentrer
dans le palais après une demi-heure d’hésitations! Est-ce que cela peut
être une situation à suspense ? Peut être pour Jack, mais c’est une
mission en solo, les autres joueurs ne seront pas très intéressés -
surtout qu’ils doivent attendre qu’il réussisse avant d’entreprendre
quoi que ce soit. En somme, pas assez de suspense pour valoir le coup. L’échec
serait-il aussi intéressant que le succès? Certainement pas : le
personnage de Jack serait capturé et traîné dans le corps de garde, les
obligeant à le secourir - ils seraient encore plus éloignés de leur but
réel qui est d’entrer dans le palais, et nous avons joué un scénario de
capture/sauvetage la semaine dernière]
- MJ : Ok, c’est cadeau.
- Jack: je peux lancer quand même ?
- MJ: Mhh. [Pensant à un possible bénéfice secondaire.] Bien sûr.
[Le joueur lance les dés, et réussit.]
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