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Comment donner la chair de poule

Robin D. Laws

Le jeu dont vous êtes un anti-héros

 

Les JdR à succès sont pour la plupart des jeux d’aventures : des fantasmes de pouvoir qui nous permettent d’échapper au monde réel et d’assouvir toutes nos envies. Nos héros pètent leur race à des degrés variables, triomphent de leurs ennemis et de toutes sortes d’obstacles, sauvent le monde à la fin, et d’une façon ou d’une autre démontrent à quel point ils sont trop forts. L’héroic-fantasy, c’est de l’aventure en armure pseudo-médiévale. La SF ? De l’aventure avec des pistolasers. Les super héros ? De l’aventure en collants.

Contrairement à leurs cousins du grand écran ou des bandes dessinées, les scénarios de jeux d’aventure considèrent encore l’échec comme une possibilité. Un monstre errant peut disposer d’un pouvoir de mort instantanée qui balaiera par surprise votre groupe de niveau 12. Un mauvais jet de dé peut vous empêcher de lancer votre torpille à photons sur la station spatiale Xurnabi pendant qu’elle pulvérise votre planète.

Mais en général, les règles et les conventions de l’aventure sont contournées de manière à assouvir le désir de contrôle et de victoire que notre vie quotidienne nous dénie. On ne croise que les monstres que le groupe est suffisamment balèze pour démolir - ou on reçoit des flopées d’avertissements lorsqu’on s’aventure par erreur dans une zone plus dangereuse du donjon. Les indices semés sont beaucoup plus évidents que dans une vraie enquête. Les règles de mort et d’agonie permettent à nos PJ de récupérer en quelques heures de chutes de centaines de mètres, de coups de poignards dans le cœur et du contact fortuit avec un lépreux.

Les JdR qui s’inscrivent vraiment dans le genre de l’horreur renversent ces principes. Le secret pour réussir à effrayer vos joueurs est de se souvenir de constamment exploiter cette dynamique. Les histoires d’horreurs sont des fantasmes d’impuissance. Dépouillez les joueurs de tous les présupposés confortables instillés en eux par d’autres expériences de JdR, et vous leur foutrez la frousse de leur vie.

(Mais avant tout, vous devrez vérifier que le JdR que vous avez choisi est vraiment un jeu d’horreur, et non pas un jeu d’aventure maquillé. Le succès considérable de la gamme Vampire et de ses nombreux rejetons peut être attribué à sa façon de greffer une esthétique d’horreur sur un bon vieux fantasme de puissance de littérature d’évasion.)

[NdT1] : method-act dans le texte : la méthode Stanislavski, de l’« Actor’s Studio » est une technique selon laquelle l’acteur doit ressentir les émotions de son personnage en faisant appel à ses propres souvenirs.

Un autre point de détail doit être éclairci avant de continuer. Il y a forcément une différence entre faire peur aux joueurs et faire peur aux PJ ? Non, pas dans un jeu d’horreur. Dans un jeu d’aventure traditionnel, vous pouvez vouloir infliger aux héros des effets de terreur que les joueurs n’ont pas à ressentir. Dans ce genre de cas, vous pouvez dire au joueur que son personnage est terrifié, ou qu’il bredouille des insanités en brandissant un presse-ail, et vous attendre à ce qu’il interprète ce comportement, sans pour autant vouloir qu’il se force à le ressentir. [NdT1]

Un jeu d’horreur devrait autant effrayer ses participants qu’un film d’horreur effraie ses spectateurs. Si seuls les personnages sont affectés, vous avez échoué, tout comme vous avez échoué si votre jeu d’aventure ne produit pas une sensation d’excitation, de tension et, en fin de compte, de récompense.

C’est bien d’avoir des images repoussantes qui donnent la chair de poule. Mais des images simples peuvent être détournées. Il est de nos jours difficile de jouer à un JdR inspiré des œuvres de Lovecraft parce que ses créatures et ses expressions sont entrés dans la sous-culture des fans, et sont devenus la base d’une multitude de blagues. Les Cthulhus en peluche n’ont rien de nouveau, et maintenant vous pouvez aussi ajouter à votre collection des shoggoths et des byahkees en mousse.

Les images d’horreur ont plus de poids lorsqu’elles s’associent pour le joueur à une perte de contrôle. Par exemple, nous redoutons la maladie et la mort parce qu’elles nous privent du contrôle de notre propre personne. Peu importe à quel point elles nous sont familières, nous avons toujours un geste de recul lors de la description d’une blessure, d’un handicap physique, de la décomposition. Lorsque vous écrivez un scénario d’horreur, réfléchissez à toutes les façons dont vous pouvez dépouiller les PJ, - et donc les joueurs qui vivent le scénario par leur intermédiaire, - de leur sentiment habituel de contrôle. Puis créez une échelle de perte de contrôle, qui débute par des incidents minimes, et qui s’élève jusqu’aux incidents majeurs, de manière à ce que l’étau se resserre progressivement tout au long de la soirée.

La partie la plus terrifiante que j’ai jamais menée était un test d’un scénario de Cthulhu écrit pour Chaosium (vu la quantité de scénarios commandés mais jamais publié, celui là verra peut être le jour juste avant que le grand patron en personne ne s’élève de R’lyeh). Les joueurs sont des enfants, un choix qui les rend immédiatement vulnérables et impuissants. La puissance de tout un JdR d’horreur, Little Fears [NdT Paru en français au 7ème Cercle], découle de cette idée.

D’un autre côté, vous pouvez permettre à vos PJ de s’armer de leur panoplie invincible, puis leur retirer ou la rendre inutile. Le gros dur avec sa mitrailleuse et ses muscles sinueux tombe d’encore plus haut lorsqu’on lui pique ses munitions et qu’un parasite monstrueux commence à lui ronger les biceps de l’intérieur.

L’isolement entraîne également la vulnérabilité. La plupart des rôlistes ont la chance de vivre relativement à l’abri des prédateurs, humains ou autres. Lorsque les problèmes surgissent, nous savons que nous pouvons nous tourner vers les autorités pour recevoir de l’aide. Situez vos scénarios aussi loin que possible de tout secours. Et, lorsque les choses tournent mal, trouvez une façon créative de rendre inopérants les quelques moyens d’appeler à l’aide qui restent.

Encouragez l’identification directe entre vos joueurs et les PJ. Les parties situées dans les années 20 sont sûres et surannées. Les scénarios ayant lieu sur des planètes exotiques ne peuvent tout simplement pas nous arriver à nous. Situez l’action dans votre propre voisinage. Renforcez le bizarre avec le quotidien : que votre anguille pleine de dents pointe tel un phallus hors de la buse d’un distributeur de Coca-Cola.

Ajustez votre façon de maîtriser de manière à étouffer dans l’œuf l’ambiance bon enfant d’un jeu d’aventure normal. Annoncez de but en blanc que vous serez plus dur que d’habitude sur les digressions et autres discussions hors-jeu. Là aussi, l’idée est d’intensifier le sentiment d’identification.

Vous pourriez alors penser que vous devez réprimer sans pitié toute blague et toute rigolade. Pas vraiment - le rire soulage l’anxiété, et par conséquent il est un signe de tension. L’humour noir est une preuve de votre succès. Toutefois, si vous trouvez qu’il fait trop office d’anxiolytique, gardez un œil sur le niveau de complaisance collectif du groupe. Lorsqu’ils croiront avoir dissipé leur peur à force de plaisanteries, prenez-les en traître avec quelque chose de vraiment méchant. Votre but, c’est que l’ambiance émotionnelle monte et descende pendant la soirée. L’instant le plus propice à l’horreur, c’est lorsque les joueurs baissent leur garde, même lorsqu’ils savent qu’ils ne devraient pas, vous laissant l’occasion rêvée d’abattre le couperet.

Pour ceux qui aiment le pouvoir, le seul abri sûr est le siège du MJ. Peut-être est-ce pour cela que beaucoup des MJ les plus doués sont attirés par ce genre : vos joueurs sont par définition volontaires pour que vous vous amusiez avec.

En voilà un, de fantasme de puissance…


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Traduit par Pierre Buty. Tiré de See p.XX, avec l'aimable autorisation de Robin D.Laws et Pelgrane Press. 
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