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Osez être stupide (Dare to be stupid)

Steve Darlington

Faites-moi vivre des parties de stupidité héroïque!

- “Votre tauntaun tombera avant que vous n’atteignez le premier poste”
- “Alors on se reverra en enfer!”

J’ai revu la trilogie Star Wars hier soir – la trilogie originelle, et j’ai été frappé une fois de plus de voir à quel point la bête était bien écrite. Ca part un peu de traviole à la fin, mais je ferme les yeux parce que tout sonne juste. Les quêtes secondaires, par exemple, n’ont pas grand chose à voir avec l’intrigue principale, mais elles bourrent le film d’action. Avec de l’héroisme désinvolte tout du long. Une des meilleures répliques du film est celle ci-dessus, parcequ’elle est servie avec une telle légéreté. Ce n’est pas une scène majeure. Ce n’est un élément majeur ni du personnage ni de l’intrigue. Han ne passe pas dix minutes à estimer ses chances et à peser le pour et le contre d’une sortie. Il ne regarde pas au loin en disant “c’est quelque chose que je dois faire, même si je dois en mourir”. Il ne réfléchit même pas, il saute juste sur son tauntaun et il sort. Parce que c’est ce que vous feriez.

Bien sûr, c’est une action à la Han Solo, et tous les personnages ne sont pas Han Solo. De même que toutes les histoires ne sont pas Star Wars. Mais dans le jeux de rôle, la MAJORITÉ de nos histoires sont bien héroïques, et un sacré paquet de nos personnages sont, du moins on l’espère, aussi cools que Han Solo (mais pas aussi incapables si possible, voir plus bas). Et pourtant, lorsque c’est aux PJ de jouer, je vois très rarement qui que ce soit faire quoi que ce soit de stupide. Et je ne les vois jamais le faire aussi légérement, ou avec si peu de réaction de la part des autres.

C’est l’esprit du wargame. Vu que c’est un jeu, et que ça se passe rarement en temps réel, les gens aiment réfléchir. Ils agissent très rarement d’instinct, par passion ou par réflexe. Ils ne deviennent guère émotifs ni très querelleurs non plus. Les contraintes sociales impliquent que le jeu marche mieux lorsqu’on discute de tout et qu’on reste groupés. Enfin, il y a les régles, qui ont besoin d’être appliquées ou le jeu perd tout son sens. Si le froid ne diminuait pas vos caracs, ce ne serait pas héroïque de sortir dans la tempête. Et les joueurs aiment gagner, ce qui veut dire rester en vie et faire des trucs funs. Si Han Solo était sorti dans la neige et était mort gelé, ça n’aurait pas fait une histoire terrible.

[NdT1] le personnage du capitaine dans la série TV Firefly. Son créateur, Joss « Buffy » Wheldon voulait qu’il fut « tout ce qu’un héros n’était pas »

Mais ça n’aurait pas non plus été une partie terrible. Un MJ peut faire bien mieux que ça, même si l’action est un échec. De fait, Han Solo se plante souvent, et la plupart du temps de façon spectaculaire. Tout comme son équivalent moderne, Mal Reynolds [1]. 

J’en fais trop, je sais, mais j’ai perdu le compte du nombre de fois où j’ai fait quelque chose de spectaculaire dans une partie et où j’ai vu tout le monde hausser les sourcils. Un exemple : voilà quelques semaines, pendant un combat de voiture à voiture à Shadowrun, ma réaction immédiate fut de faire monter mon personnage sur le toit. Pourquoi? Parce que je jouais un personnage basé sur Jason Statham dans Le Transporteur, et qu’il monte tout le temps sur les toits. Mais tout le monde me dit : “Mais qu’est-ce tu fous?” Je pensais que c’était plutôt évident, vraiment : je faisais le gros dur.

Dans une partie de Shadowrun, rien de moins.

Bien sûr, je suis tombé par la fenêtre et me suis fait rouler dessus, mais ça restait un truc de gros dur. Surtout lorsque je me suis relevé sans faire gaffe aux dommages et que j’ai couru jusqu’à la voiture désormais arrêtée (un nain qui vous passe à travers le parebrise ça doit vous ralentir, je suppose). Mais techniquement, j’avais bel et bien échoué, parce que Shadowrun, comme de nombreux jeux de rôles, définit le gros dur comme celui “qui fait le truc qui a le plus de chances de bien marcher” – c’est à dire optimiser ses caracs et les régles. Shadowrun en est un particulièrement bon exemple : les JdR sont moins conçus pour jouer les gros dur que pour jouer prudemment. Han Solo crie “je me fous de vos probabilités” alors qu’un joueur de D&D hurle “j’ai de bonnes chances de faire un coup critique!”.

Vous pouvez voir pourquoi les créateurs de JdR ont lentement mais sûrement produit de plus en plus de mécanismes [de règles] cinématiques/narratifs, où être cool soit mène au succès (comme dans Wushu), ou au moins oriente le résultat du jet (TINS). Sinon, c’est au MJ de se débrouiller pour récompenser la stupidité tout en s’assurant que ça semble héroïque et dangereux à faire. Pas facile. Sans parler du fait que les systémes sont principalement conçus pour faire faire aux personnages des choses dans lesquelles ils sont bons, donc ils sont tout naturellement encouragés à le faire. Mais c’est pourquoi les points de pouvoir de Buffy  sont bien meilleurs que ceux d’Adventure!, parcequ’il y en avait plus, pour être dépensés avec désinvolture. Ca permet le genre d’héroïsme décontracté qu’exige le pulp.

[NdT2] : nom d'une chanson et d'un album de ce comique américain

Les systèmes mis de côté, pourtant, rien ne me déprime plus que de voir des joueurs jouer avec une prudence exagérée, et rien ne me divertit plus que l’héroïsme sauvage, stupide. Tout ça c’est une histoire d’action, d’aventure et de sauvagerie. Cessez de réfléchir, sautez sur votre tauntaun et galopez dans la tempête. Sortez de chez vous en courant pour chasser un dragon sans même un mouchoir de rechange. Retirez une épée capricieuse d’un rocher si vous avez raté votre jet d’intelligence pour vous rappeler d’en amener une. Prenez tout ce qui semble efficace, bricolez, bougez-vous. L’aventure vous met naturellement dans des situations où les choix sont limités et où le temps manque, mais l’action s’installe lorsque vous faites quelque chose de décisif malgré tout, même si c’est stupide. Si vous voulez de l’action, cessez de réfléchir. Avec les mots de Weird Al Yankovic : “Dare to be Stupid" [2] (Osez être stupide)


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Traduit par Pierre Buty. Tiré de PTGPTB n°28, avec l'aimable autorisation de Steve Darlington. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord de Steve Darlington. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous copyright. La version originale  peut être consultée sur le site de PTGPTB.