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Il était une fois : Confessions d'un joueur à l'ancienne

Par Andrew Godefroy

Le dinosaure s'assume.

 

[NdT : Coastal Living est une sorte de Maisons & Travaux américain spécialisé dans le bord de mer.]

Ce samedi après-midi traînait en longueur et je venais juste de m'asseoir dans le séjour, café et ordinateur en main, avec l'intention d'écrire cet article, lorsque je pris un moment pour en choisir le sujet. Tout en y songeant, je dégageai un espace sur la table basse pour reposer mes pieds. Il m'apparut alors que le sujet de mon article était juste en face de moi. Au milieu des relevés de comptes et des vieux Coastal Living, il y avait GURPS Traveller et un exemplaire quasi neuf du module L1 pour AD&D "The Secret of Bone Hill" que je venais de remporter sur eBay. Tendant la main vers mon café, et hésitant entre le parcourir une nouvelle fois et entamer un grand nettoyage de la maison, je réalisai qu'une chose était certaine : j'étais un joueur à l'ancienne.

Comme tant d'autres parmi ceux qui ont déjà rempli cette rubrique, j'ai attrapé le virus du jeu de rôle au début des années 80. Mon père était (et est toujours) un modéliste passionné et très doué. Enfant, j'ai passé pas mal de temps dans les boutiques spécialisées et comme vous pouvez l'imaginer ça ne m'intéressait pas plus que ca. Je me rappelle que c'est en 1982, au cours d'un voyage familial en Floride où je m'étais particulièrement bien conduit, que j'ai reçu en récompense la boîte de base de D&D. Je me rappelle ma fascination pour le module B2 Keep of The Border Lands. Il ne me serait jamais venu à l'esprit de me demander pourquoi six orques mourant de faim attendaient dans une cellule l'arrivée de mon personnage pour le tuer. Alors qu'ils auraient très bien pu gagner la cellule voisine où attendait l'araignée géante, et en manger un bout. Peut être plus important: que fichait une panthère dans des souterrains de style scandinave, errant au hasard entre les orques et les araignées géantes ? Inutile de dire qu'à 11 ans le porte-monstre-trésor de base ne présentait aucune complexité anthropologique, que de la gloire et des récompenses. Un rôliste était né.

Au collège, j'ai continué à jouer de façon intensive. Après avoir essayé successivement et perdu tout intérêt pour Basic D&D, Indiana Jones, Star Frontiers et Marvel Super Heroes, j'ai plongé dans AD&D puis dans Top Secret, et celui-là, j'ai vraiment adoré. Je me rappelle mes missions secrètes derrière le mur de Berlin, de mes contacts avec un agent en Yougoslavie, et d'avoir stoppé un transport de missile quelque part du côté de Kiev. Enfin, à la fin des années 80, j'ai découvert Traveller et, fasciné par les explorations spatiales et la science-fiction, j'en ai fait mon jeu de chevet tout au long de mes années de lycée. J'ai mené une campagne de Megatraveller qui fut un incroyable succès, à raison d'une séance par semaine pendant presque trois ans. Cela a même conduit à ma première relation sérieuse avec une fille – inutile de dire que cette liaison n'a pas survécu longtemps à la fin de la campagne.

Une fois entré à l'université en 1993, j’ai remisé mes JdR pour un bon bout de temps. Il y avait pas mal de raisons à ça, entre autres le fait que je m'intéressais désormais davantage aux filles et au rugby ; mais j'avais aussi l'impression de ne jamais parvenir à répéter le succès de ma campagne Megatraveller, alors à quoi bon essayer ? Mon groupe de joueurs avait éclaté entre différentes universités et une seule visite au club de ma propre université avait suffi à me convaincre de ne plus y remettre les pieds. J'ai mené une campagne de AD&D 1ère édition pendant six ou sept mois, mais je trouvai que les joueurs et le genre avaient changé. On donnait plus d'importance à la description des personnages qu’au contenu de l'aventure. Nos parties commençaient à ressembler à la BD Dork Tower, et au moment où j’allais me moquer de mon propre hobby, je découvris que ce n’était pas du goût des autres joueurs. La campagne s'est achevée avec le semestre et n'a jamais repris. Après coup, je me suis dit que j'en avait fini pour de bon avec le jeu de rôles et j'ai même vendu une bonne partie de mon attirail pour payer des livres de cours. Un rôliste était mort.

Et c'était peut-être pas plus mal. Le milieu des années 90 avait tout pour me détourner du JdR en général. J'étais de plus en plus déçu par les nouveaux produits sur le marché : on aurait dit que chaque film ou roman était destiné à être adapté en JdR, et il semblait bien que la créativité si propre aux JdR avait bel et bien disparu. Les jeux de cartes à collectionner (JCC) dominaient le marché et la plupart de mes amis joueurs faisaient du Magic, mais ça ne m'intéressait pas. Je n'avais rien contre les JCC, mais je n'y retrouvais ni l'apparence, ni les sensations d'une partie de jeu de rôles. Je n'y trouvais ni continuité, ni histoire. Cela n'avait rien à voir avec lire une chouette histoire qu'un ami venait d'écrire. Ce n'était qu'une pile de cartes avec des illustrations approximatives dessus. Les histoires - les campagnes - me manquaient. Je regrettais aussi les illustrations classiques de AD&D – vous savez, celles où des guerriers vêtus de pantalons à pattes d'eph descendent dans les souterrains. Je crois que j'avais simplement la nostalgie de ce loisir.

Je me suis aussi rendu compte qu'il y avait une légère fracture sociologique dans le JdR, et que j'étais d'un côté de la faille. Les type du club de l'université m'avaient simplement terrifié. Je ne participais pas à des Grandeurs Natures (GN) et je n'avais approfondi ni le cyberpunk, ni Vampire, pas plus comme style de jeu que comme mode de vie. Je trouvais aussi les rôlistes adultes de plus en plus ennuyeux. Je me rappelle une fois où l'un de mes colocataires se plaignait d'un type qui jouait le magicien dans sa campagne des Royaumes Oubliés et qui ne respectait pas les usages : « Il refusait de faire les gestes et de dire les mots pendant qu'il lançait ses sorts » et il ajoutait : « et j'ai du interrompre la partie pendant une bonne heure avant qu'il accepte de le faire. » « Mais pourquoi t'as fait ça ? Ce n'est qu'un jeu. »  A voir son regard, on aurait cru que je venais de passer en camion sur son chaton favori. Deux fois. C'est alors que j'ai réalisé que j'étais un joueur à l'ancienne, avec de plus en plus de mal à trouver sa place dans le monde du JdR moderne. En fait, j'avais même du mal à le reconnaître.

Je me suis tourné vers autre chose. Une courte liaison avec Warhammer 40K me laissa quelques figurines soigneusement peintes et la certitude que ce genre de jeu était si incroyable que je ne parvenais simplement pas m’y faire. Un univers futuriste où l'on maîtrise les voyages spatiaux mais où le meilleur char d'assaut ressemble furieusement en termes de maniabilité, de vitesse et de puissance de feu au Mark V britannique de la première guerre mondiale ? Ouais...

J'aurais probablement laissé tomber les jeux de rôles en bloc, sans un ami que j'avais rencontré il y a quelques années alors que j'achevais mes études dans une autre université. Un peu plus âgé, Rob avait lui aussi grandi avec AD&D et il partageait mon obsession pour le 'bon vieux temps' du jeu de rôles. Nous avons déploré l'état de notre passion autour de quelques bières et d'un plat d'ailes de poulet, en nous demandant si nous y retournerions jamais. Déjà, je m'étais débarrassé de tout mon matériel, à part quelques trésors dont je ne pouvais tout simplement pas me séparer. Mais mes conversations avec Rob me conduisirent à aller fouiller dans mes vieilles caisses pour dresser l'inventaire de ce qui restait. Un Bestiaire Monstrueux, le livret d'introduction de la boîte de base de Top Secret, toute la série des suppléments AD&D pour les campagnes Against the Giants et Vault of the Drows. Et, bien sûr, mes préférés, mes vieux Megatraveller tout usés. Pas grand chose ; mais c'était un début. J'adorais ces jeux, et je m'étais plus amusé avec eux qu'avec quoi que ce soit d'autre pendant mon enfance. Je voulais recommencer.

Ainsi, près de dix ans après m'être débarrassé de mes jeux de rôles, j'ai recommencé comme avant, et je me suis retrouvé à faire de fréquents allers-retours vers la boutique de jeux du coin. Bien que les étagères aient été inondées de systèmes de règles estampillés D20 et d'une pléthore de genres et d’univers de jeu destinés à satisfaire presque tous les goûts, j'ai découvert que je me sentais moins perdu qu'au milieu des années 90. Bien que je ne sois pas certain de me plonger dans D&D3, j'apprécie la réapparition du style 'classique' des modules de AD&D, comme ceux publiés par Goodman Games, et j'ai remarqué que beaucoup de vieux suppléments étaient réédités ou mis à jour. Par exemple, toute la série des Traveller est réimprimée (hourra !), et on dirait que toute l'industrie du jeu de rôle renaît un peu, avec le retour de la créativité qui avait permis à notre loisir de sortir de la confidentialité pour atteindre le grand public. Il suffit de jeter un œil à ma table basse pour en avoir un bon exemple. Bien que je ne sois pas un grand fan de GURPS, j'apprécie ce qu'ils ont fait pour la gamme Traveller, et j'utilise eBay et d'autres sites Internet pour reconstruire lentement mon ancienne collection de suppléments AD&D que j'ai un jour aimés.

Fondamentalement, je suis devenu un joueur à l'ancienne. J'ai grandi avec AD&D et Traveller, j'y ai joué, je les ai adorés, je les ai détestés, et je les ai abandonnés. Je ne me suis diversifié que pour découvrir que les meilleurs jeux et JdR étaient les premiers. J'ai beaucoup erré, je suis maintenant revenu. Je suis désormais peu intéressé par l'acquisition de nouveaux ouvrages, mais à la place j'ai envie de récupérer mon ancienne collection, et de la compléter. Je suis devenu nostalgique, et avec mes amis, nous avons décidé autour d'une bière de tenter à nouveau l'expérience cet été. J'écrirai une campagne à l'ancienne, pas moins, pendant que nos femmes regarderont ces ‘grands gamins’ en secouant la tête, mais en trouvant ça mignon. Je me demande si je jouerai encore dans dix ans, ou si le monde du JdR post-moderne me mettra sur la touche une fois de plus ? Qui vivra verra.


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Traduit par Aicars. Tiré de PTGPTB n°26, avec l'aimable autorisation de ses éditeurs. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord des éditeurs. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous copyright. La version originale  peut être consultée sur le site de PTGPTB.