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Écrire de la Science-Fiction crédible

par Mica Goldstone

Cet article traite de la façon d’écrire de la SF crédible. Cela n’implique pas que la bonne SF doive être crédible, ni que toute SF crédible soit bonne.

Le secteur de la Science-Fiction est énorme, presque tous les genres possibles et imaginables ayant été développés à une cadence effrayante. Il y a quelques dizaines d’années, les foules étaient terrorisées par de vacillants monstres extra-terrestres en plastique, pendant que Kirk se tapait ceux qui avaient des pouvoirs vaguement mystiques. Heureusement cette époque est révolue – mais est-ce bien le cas?

Avant tout, il est important de définir ce que signifie « crédible ». Il existe plusieurs niveaux de vraisemblance, qui sont en grande partie déterminés par le niveau d’intelligence et/ou de connaissance du public.

[1] NdT : titre français Alerte Noire, de David Twohy, sorti en France en 2000 dans l’indifférence générale.

Prenons par exemple le film Pitch Black [1]. Si vous pouvez mettre votre esprit critique suffisamment de côté pour accepter le concept de vols interstellaires, il n’y a assurément qu’un petit pas à franchir pour croire qu’il y a d’énormes prédateurs nocturnes qui habitent sous terre, n’attendant qu’une éclipse pour terroriser la surface. Le postulat de base est qu’ils utilisent une vision infrarouge et donc ne peuvent sortir à la lumière du jour. Cela suffit pour satisfaire la majorité des spectateurs, mais pour les plus perspicaces c’est plutôt une foutaise.

Ces prédateurs vivraient dans des galeries artificielles munies de cheminées. Mais par qui ont-elles été construites, et quand, s’ils ne sortent que deux ou trois jours au bout de plusieurs décennies ? Ils sont au sommet de la pyramide alimentaire – en se nourrissant de quoi ? Où est le reste de la pyramide ? Ils peuvent voler, mais pourquoi s’ils vivent sous terre ? Ils ont développé l’infrarouge - ce qui est aussi crédible que des créatures développant un sonar dans le vide absolu - mais ça pourrait arriver, non ?

Au bout du compte, cependant, est-ce regardable ? Oui. Irréaliste, mais crédible dans une large mesure.

Dans une veine plus classique, nous avons les espèces d’extraterrestres habituelles de Star Trek – étonnement humains, avec un petit morceau de plastique collé sur la tête et quelques bijoux clinquants pendus à un appendice (toujours un, cela doit être asymétrique : c’est des aliens, tous de même). Cela semble raisonnable : deux jambes, deux bras, permettant à la fois la locomotion et la manipulation d’objets. Mais d’un autre côté, la nature a tendance à orienter l’évolution vers des formes adaptées à des fonctions spécifiques. Un rapide coup d’œil aux espèces terriennes les plus intelligentes le confirme (humains, pieuvres, baleines et assimilés). Une fois de plus, il est possible de se laisser aller à l'illusion de l’univers créé par le phénomène Star Trek, aussi improbable qu’il soit.

C’est la première règle. Crédibilité et réalisme ne sont pas forcément la même chose. La question est de créer un environnement qui, aussi improbable qu’il soit, autorisera quelques accrocs. Par exemple, il est plus facile de croire en un monde contenant des dragons qu’en un autre ou il pleut des beignets !

Comme les écrivains utilisent un support texte seulement, ils ont l’avantage de ne pas être limités par des contraintes de taille où de prothèses. Les aliens peuvent être aussi bizarres ou merveilleux que voulu, tant qu’on suit des règles simples concernant les bases de biologie et de technologie.

La nature ne développe jamais de caractères inutiles, mais on peut trouver des vestiges d’une évolution antérieure. Par exemple, une créature sans ennemi naturel, mais dotée d’une lourde carapace, n’est vraisemblable que si l’environnement lui-même est hostile. De même, une race d’un monde désertique avec une rangée de branchies est très improbable en tant que telle, mais si la majeure partie des mers se sont évaporées lorsque l’étoile s’est transformée en géante rouge, c’est possible. Il vaut toujours mieux garder ces choses à l’esprit quand on crée des aliens.

La culture peut également agir comme facteur évolutif. Cela peut être subtil comme une préférence culturelle pour les individus de grande taille, qui atteignent un statut social plus élevé et qui peuvent par conséquent assumer une descendance plus nombreuse. Des technologies plus avancées permettent un eugénisme dirigé, la réplication sélective de l’ADN sur certains gènes, ce qui peut favoriser ou empêcher la transmission de certains traits aux enfants. Ensuite il y a d’autres formes d’évolution bien plus brutales, telles que les pogroms ou les génocides.

C’est la deuxième règle. L’étrange et le merveilleux doivent avoir une raison d’être, ou bien avoir des origines crédibles. Il n’est pas forcement nécessaire que le public connaisse immédiatement ces raisons. Mais si le créateur ne peut pas le justifier, alors elles risquent de ne pas résister à l’épreuve du temps.

Ce processus de création joue également un autre rôle très important dans l’écriture de SF crédible ; il définit à la fois l’environnement et l’histoire. En ayant ces choses à l’esprit au début, il suffit d’étendre sa réflexion à partir d’un objet pour générer le monde qui le supporte. Cela peut même être utilisé comme l’amorce pour attirer le public. Cela est particulièrement important quand l’auditoire peut participer. Cela permet à l’histoire de couler dans la direction désirée, même si le livre dans lequel les événements sont écrits est encore en grande partie vierge.

[2] NdT : PBM = Play by Mail ; une forme de jeu de rôle par correspondance, qui a commencé par voie postale pour se poursuivre sur le net.

Le PBM [2] offre une approche unique, en permettant à l’auditoire de participer à la création de l’histoire et, bien souvent, de définir lui même le développement d’un des aspects de l’univers. Cela requiert une réflexion considérable pour éviter que tout ne s’effondre au bout de peu de temps. Les films et les livres jouissent du luxe d’avoir tout réglé comme du papier à musique. Une fois écrits, leurs déroulement est toute tracé. Dans le cas d’un JdR par mail, les joueurs sont les capitaines du navire ; les MJ sont tout juste les pilotes. Tout MJ qui penserait différemment deviendrait fatalement un tyran, et la partie s’échouera. Pour continuer dans cette métaphore nautique, la fonction du MJ est de tracer la carte qui permettra aux capitaines d’aller où bon leur semble. Fournir assez d’options aux joueurs pour une interprétation créative donne généralement ce résultat. Cette relation à double sens peut et devrait être utilisée pour approfondir la crédibilité de l’univers.

C’est la troisième règle. Un bon écrivain s’inspire de toutes les sources disponibles. Un bon MJ se sert de l’avis de ses joueurs pour rendre l’univers du jeu plus réel, ce qui est une des raisons pour lesquelles, en dépit de graphismes ahurissants, les jeux sur ordinateurs ne pourront jamais rivaliser avec des MJ humains en ce qui concerne la durée des campagnes.

Avec le temps, tandis que l’univers s’agrandit et mûrit, il devient encore plus nécessaire de développer l’histoire. C’est dans l’ordre des choses. Des aspects qui sont acceptés comme allant de soi lorsqu’ils sont montrés au milieu de tas d’autres seront examinés un par un à la fin. Selon la taille de l’univers, certains « faits » établis peuvent très bien s’avérer faux. Il est même possible de présenter deux faits –voire plus– mutuellement incompatibles, et qui demeureraient néanmoins crédibles. C’est parce que l’histoire est encore vivante, autant en mouvement que l’avenir. Les scientifiques rejettent en permanence d’anciennes « vérités » sur l’histoire de la Terre. Il est cependant important que ce soient les efforts des participant qui fassent ressortir ces faits. C’est précisément leurs recherches mêmes qui ont changé l’univers, tout ce que le MJ a fait c’est d’autoriser ce changement.

C’est la quatrième règle. L’ultime test de crédibilité a lieu lorsque l’auditoire peut prévoir l'univers, au point de ne plus être des spectateurs, mais une part de l’univers lui-même. Cela n’exclut pas des surprises, mais ce sont des surprises crédibles – les lunes ne sont pas faites de fromage, mais il peut y avoir une station militaire automatique extra-terrestre qui les protège !

Il y a encore des règles à propos de la technologie (voyons, si je réaligne l’émetteur pour émettre une impulsion tachyon inversée, ça devrait marcher – en tout cas ça a marché dans les douze derniers épisodes) ; de l’écologie planétaire et de la géologie (Wouah, n’est-ce pas stupéfiant toutes ces cavernes naturelles avec des sols plats ?) ; et du développement culturel (après deux cents années d’études par des dizaines de milliers d’archéologies, on s’est finalement rendu compte que les aliens disparus qui ont construit ces cités à mi-hauteur des falaises, sans moyen d’accès, devaient savoir voler).

[conclusion de la rédaction] :

Au final, pour éviter que « Science-Fiction » ne se fasse synonyme de « n’importe quoi », il faut prendre garde à créer un univers qui reste cohérent en lui-même. Tout élément de fiction, aussi étrange semble-t-il, doit être vraisemblable dans l’univers concerné. Il doit être le résultat d’une succession de causes qui en justifient l’existence. Lorsque quelque chose s’avère ne pas avoir de raison d’être, mieux vaut le faire disparaître. Le travail nécessaire à cette étude en profondeur est souvent considérable. Mais il évite qu’un univers ne ressemble à un carnaval, à une débauche d’exotisme sans queue ni tête. MJ comme joueurs y trouveront leur compte en comprenant mieux la signification et la raison de ce qu’ils rencontrent.

[3] NdT : BSE (JC Games) est un PBM où les joueurs sont des capitaines de vaisseaux spatiaux. L’univers s’agrandit au fur et à mesure que les joueurs l’explorent.

Mica Goldstone a maîtrisé Beyond the Stellar Empire (BSE) [3] pendant sept ans. Bien qu’il admette que certains endroits de l'univers de BSE soient un peu douteux, il ajoute que ces lieux sont généralement apparus par la faute de précédents MJ peu minutieux – il n’y avait aucune excuse pour des ouragans sur des lunes sans atmosphère. Depuis le récent lancement de la nouvelle version Phoenix : Beyond the Stellar Empire, on a retiré ces lieux pour donner un univers cohérent.

Il déteste le passage du monstre géant de l’astéroïde de Star Wars et pense que c’était franchement merdique, même pas du niveau d’un film de série B. Il grinçait des dents en lisant Terry Pratchett, bien que le remède soit étonnement simple : il suffit de se bourrer la gueule pour que ça passe mieux.

Son auteur de SF favori est Greg Bear (la Saga d’Eon) suivi de Julian May (la série du Bras d’Orion, pas tous ces trucs sans intérêt sur Torc). Asimov et Clarke sont d’excellents auteurs, mais leurs histoires manquent souvent d’interaction entre les personnages.

Dans le domaine de la Fantasy, ce sont G. R.R.Martin (le Trône de Fer) et Tolkien. Tout deux ont produit des œuvres donnant des aperçus d’une histoire bien plus vaste, qui ne donne pas seulement du crédit aux événements présents, mais fait aussi paraître le monde vivant.


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Traduit par Pierre Buty. Tiré de PTGPTB, avec l'aimable autorisation de Steve Darlington. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord de Steve Darlington. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous copyright. La version originale  peut être consultée sur le site de PTGPTB.