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Je le jure devant Dieu !

par Jack Spencer Jr.

 

 

Je le jure devant Dieu ! Si je vois encore un de ces ersatz de GURPS, je me tire une balle dans la tête. Et je le ferai. Je vais descendre chez l’armurier du coin. Je dirai au vendeur : « Je voudrais acheter un pistolet ». Il me dira : « Bien. Il y a une période d’attente dans cet Etat. » Je lui répondrai : « Parfait. » et je remplirai tous les formulaires appropriés. Ensuite j’irai au Burger King pour déjeuner, je rentrerai chez moi et je marquerai le jour sur mon calendrier avec un de ces smiley avec un impact de balle sur le front. Et puis j’irai m’acheter des pochoirs. J’en dirai plus dans une minute, j’ai des projets pour ces pochoirs.

Je passerai la période probatoire à faire comme si de rien n’était. Selon mon expérience, si vous faites savoir aux gens que envisagez de vous tirer une balle dans la tête, ils tenteront de vous arrêter. Ou ils essaieront de récupérer vos affaires. « Hé, mon gars, est-ce que je pourrai avoir ton Guide du Joueur quand tu seras mort ? » Bande de rapaces. 

Enfin le jour venu, j’irai chercher mon arme. Je n’aurai besoin que d’une seule balle mais je gaspillerai mon argent pour une boîte complète. Voyez-vous, certaines personnes deviennent soupçonneuses si vous n’achetez qu’une seule balle. En plus, pourquoi devrais-je économiser mon argent ? Je pourrais aussi bien acheter des accessoires comme un holster, une paire de protège-oreilles, et les lunettes de soleil jaunes. Bon sang, mais j’ai l’air classe avec ces trucs. De retour chez moi, j’aurai déjà placé les pochoirs sur ce jeu. Vous vous souvenez du jeu ? Cette imitation de GURPS sur laquelle je vais m’exploser le crâne ? Je le positionnerai de telle façon que ma cervelle giclera sur la couverture, pour que, à la découverte de mon cadavre, la police soulève le pochoir et découvre écrit en gris et rouge sur la couverture le mot « GURPS ».

Maintenant, vous pourriez vous demander ce qui a déclenché une telle colère. Ce n’était pas un mais deux JdR : Simply Roleplaying! de Microtactics et Action! System de Gold Rush Games. Tous deux sont sans doute des jeux très bien qui valent la peine d’y jouer. Mon problème ne vient pas de ces jeux en eux-mêmes, mais de la réflexion qui a conduit à leur conception initiale. Je devrais probablement aussi souligner que je n’ai jamais joué à aucun de ces jeux, pas plus que je ne les ai lus complètement. Je les ai feuilletés suffisamment attentivement pour en être dégoûté. Vous comprenez : j’avais déjà lu tout ça avant.

Beaucoup sont sans doute en train de bondir à cette idée. "Comment osez-vous juger ces jeux sans même les avoir lus, et encore moins sans y avoir joué ? Aucun d’eux ne ressemble en rien à GURPS. Vous n’êtes qu’un trou du cul pompeux qui pique sa crise comme un gosse caractériel de 2 ans". J’ai une réponse plutôt simple pour ces gens.

Allez vous faire foutre.

Je ne parle pas de ces jeux ici. Je ne vais pas en faire un test. Je parle de la philosophie de la création qui se cache derrière. Vu sous cet angle, ces jeux n’ont rien de neuf. En fait, ils sont très vieux.

 [1] NdT : Sandy Petersen est un des créateurs de l'Appel de Cthulhu

En réalité, ce problème est aussi vieux que Donjons & Dragons. Je ne pense pas que le rôliste moyen se rende compte à quel point ce bon vieux D&D est profondément enraciné dans la conception des jeux de rôle. Dans un article, Sandy Petersen [1] disserte sur le fait que les jeux de rôle ne contiennent pas de notes des créateurs dans lesquelles ils donnent un aperçu des processus mentaux lors de la création de leur jeu, en général de quels jeux ils ont tiré leur idées. Il écrit :

Cependant, peu de JdR reconnaissent leurs dettes, excepté peut-être en mentionnant D&D en tant qu’origine du jeu de rôle, comme si sa seule contribution était le concept de base du jeu de rôle lui-même.

Les notes des concepteurs ne sont pas pertinentes ici, mais la citation l’est. D&D a eu un impact profond sur la conception des JdR et tout bonnement sur la façon dont le jeu de rôle est censé être joué. La plupart des gens apprennent indirectement. Ils regardent les autres et reproduisent ensuite ce comportement. Singe qui voit, singe qui fait. Je sais que c’est ce que je fais. C’est mon père qui m’a appris à retirer les saucisses des hot-dogs. Je n’ai jamais vraiment pris conscience que je pouvais manger ces stupides saucisses. Maintenant, c’est devenu une habitude.

Le jeu de rôle a pris de nombreuses habitudes. Pas nécessairement de mauvaises habitudes, mais des habitudes qui n’ont pas beaucoup plus de sens que vider un hot-dog. En général, un jeu de rôle fonctionne comme cela, arrêtez moi si je me trompe :

  • Les joueurs commencent par créer leur personnage. Les Personnages-Joueurs, ou PJ, tendent à avoir un certain nombre de caractéristiques chiffrées, déterminées soit par un système de répartition de points, un jet de dés, ou par une méthode similaire. On décide ensuite d’autres détails comme la classe, la profession, les compétences, et ainsi de suite.
  • Un des joueurs est le Meneur de Jeu. C’est lui qui dirige la partie et probablement qui possède le livre de règles. C’est lui qui concocte les scénarios pour les PJ. Ce que les joueurs doivent réellement faire, c’est réagir à ce que leur présente le MJ en fonction de leur rôle.
  • Le fait d’interpréter un rôle se résume généralement à un groupe de personnes assis autour d’une table à discuter jusqu’à ce surgisse un moment décisif où le MJ présente un obstacle au(x) personnage(s). La résolution passe d’habitude par un jet de dés quelconque utilisant les caractéristiques du personnage pour augmenter ou diminuer les chances de succès.
  • Le combat est amoureusement détaillé, se segmentant en petits intervalles de temps  typiquement de 5 à 30 secondes. Une attention toute particulière est apportée à l’estimation de ce que peut faire un PJ durant chaque intervalle, ainsi que les dégâts des armes, les chances de toucher, et parfois à évaluer des détails plus subtils comme par exemple la localisation des coups.
  • A la fin de chaque séance, les joueurs sont récompensés par des points qui sont ensuite utilisés pour augmenter les capacités des personnages.

Ca vous semble familier ? Ca devrait. Presque tous les jeux de rôle sur le marché fonctionnent de cette manière. Est-ce une mauvaise chose ? Oui et non. Ce n’est pas mal que certains jeux marchent ainsi, mais ça l’est que presque tous les jeux, à de très rares exceptions près, suivent ce principe. Pire encore, la plupart des rôlistes semblent penser qu’un jeu de rôle ne peut fonctionner que de cette façon.

Je suppose que j’en demande trop à Action! ou à Simply Roleplaying!. Tous les jeux ne vont pas être innovants ni n’aspirent l’être. L’innovation ne résidera pas dans des techniques exclusives de lancer de dés ni dans une révolution des listes de compétences. Mais je ne recherche pas nécessairement l’innovation. Je cherche juste une raison de continuer à lire, une fois le livre de règles ouvert. Dans le cas présent, ces deux jeux y ont échoué, car ils ont emprunté le chemin de la damnation du JdR générique/universel.

Pour beaucoup, GURPS fut le premier JdR générique/universel à valoir quelque chose et, pour quelques-uns, reste encore à ce jour le seul. Aujourd’hui,  le système d20 crée une tempête dans un verre d’eau avec son Open Gaming License (et aussi bien Action! que Simply Roleplaying! ont également leur propre type de licence, mais je n’en parlerai pas ici). Il y en a d’autres, comme Fuzion, Hero ou CORE, mais pour ce qui est du générique/universel, les investissements sûrs restent soit GURPS, avec son nom bien établi et dont les suppléments sont généralement considérées comme de qualité, ou le d20, parce que c’est D&D. Dans cette catégorie, tous les autres comptent pour du beurre.

Cependant, les JdR génériques/universels ont aussi un défaut majeur qui leur est inhérent. Ce que je veux dire c’est que le problème avec un JdR générique/universel, c’est qu’il est générique et tente à tout prix d’être universel. 

Un tel jeu tend à perdre toute saveur, parce qu’il n’a aucun mode ou style de jeu propre. Il est générique. Et sans cela, tout ce qui vous reste est un ensemble de règles désincarné. Vous savez comment jouer, mais pas pourquoi jouer. Pourquoi jouer à ce jeu plutôt qu’à n’importe quel autre ? 
L’universalité est un concept si faux qu’il en est stupide à pleurer. Par ce mot, les éditeurs veulent dire « peut être utilisé pour tous les genres », ou que quel que soit le genre de partie que vous souhaitez, vous pouvez utiliser ces règles ou ces règles de base, de toutes façons. 

Aucun ensemble de règles ne peut couvrir correctement tous les genres ou tous les styles de jeu. Tous les clones de GURPS se cassent la figure lorsque vous mettez en jeu les armes à feu. L’universalité est une sorte de Saint Graal qui ne peut pas être atteint. Je suppose que la technique de base de lancer de dés peut être transposée, mais vous devrez y ajouter tant de choses pour en faire un jeu décent que vous pourriez aussi bien considérer que c’est un jeu distinct plutôt qu’un système universel.

De plus, quel est le but de l’universalité ? Que les joueurs n’aient à connaître qu’un seul système de jeu ? Les gens sont-ils si stupides qu’ils ne peuvent apprendre un autre système ? Pour pouvoir transposer vos personnages d’un genre à un autre ? Loin de moi l’idée de dicter aux autres comment jouer, mais pourquoi diable allez vous faire ça ? Cela fait plus de dix ans que je joue, et je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un faisant une chose pareille.

 [2] NdT : terme employé dans le jeu

[3] NdT : De Profundis est un « jeu de rôle épistolaire » qui se joue par échange de lettres manuscrites entre joueurs, à l’image des nouvelles de  Lovecraft où le narrateur couche par écrit les horreurs dont fut le témoin.

Laissez moi finir avec quelque chose un chouïa plus positif. Le dernier JdR que j’ai lu qui m’ait vraiment frappé, en fait scotché, j’essaye encore de récupérer du choc, fut De Profundis, publié en anglais par Hogshead Publishing et  en polonais par Portal Publishing. Le concept de ce psychodrame [2] est un peu zarbi, même pour moi, mais la façon dont le jeu se déroule épouse tellement le style de H.P. Lovecraft que je ne regarderai plus jamais aucune version de l’Appel de Cthulhu. [3]

Il y a une bonne façon de savoir si vous êtes face à une innovation ou à une resucée. Convertissez le jeu au d20 ou à GURPS, ou peu importe. Avec Action! ou Simply Roleplaying!, vous y arriverez sans trop d’effort. Peut-être quelques règles correctives ou quelques ajouts, mais sinon ils se convertissent quasiment intégralement. De Profundis défie la conversion car les fondements du jeu sont si différents qu’elle est impossible.

Cela signifie-t-il que De Profundis est un meilleur jeu ? Diable, non. Mes propres tentatives pour y jouer sont malheureusement tombées à l’eau. Mais au moins il était différent. Au moins ce n’était pas encore une fois un  autre GURPS.


Cet article a gagné le concours du n°21 de PTGPTB

 

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Traduit par Antoine Drouart. Tiré de PTGPTB n°22, avec l'aimable autorisation de Steve Dempsey. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord de Steve Dempsey. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous copyright. La version originale  peut être consultée sur le site de PTGPTB..