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Je le jure devant Dieu ! Si je vois encore un de ces ersatz de GURPS,
je me tire une balle dans la tête. Et je le ferai. Je vais descendre
chez l’armurier du coin. Je dirai au vendeur : « Je voudrais acheter
un pistolet ». Il me dira : « Bien. Il y a une période
d’attente dans cet Etat. » Je lui répondrai : «
Parfait. » et je remplirai tous les formulaires appropriés.
Ensuite j’irai au Burger King pour déjeuner, je rentrerai chez moi
et je marquerai le jour sur mon calendrier avec un de ces smiley avec un
impact de balle sur le front. Et puis j’irai m’acheter des pochoirs. J’en
dirai plus dans une minute, j’ai des projets pour ces pochoirs.
Je passerai
la période probatoire à faire comme si de rien n’était.
Selon mon expérience, si vous faites savoir aux gens que envisagez
de vous tirer une balle dans la tête, ils tenteront de vous arrêter.
Ou ils essaieront de récupérer vos affaires. « Hé,
mon gars, est-ce que je pourrai avoir ton Guide du Joueur quand tu seras
mort ? » Bande de rapaces.
Enfin le jour venu, j’irai chercher mon
arme. Je n’aurai besoin que d’une seule balle mais je gaspillerai mon argent
pour une boîte complète. Voyez-vous, certaines personnes deviennent
soupçonneuses si vous n’achetez qu’une seule balle. En plus,
pourquoi devrais-je économiser mon argent ? Je pourrais aussi bien
acheter des accessoires comme un holster, une paire de protège-oreilles,
et les lunettes de soleil jaunes. Bon sang, mais j’ai l’air classe avec ces
trucs. De retour chez moi, j’aurai déjà placé les pochoirs
sur ce jeu. Vous vous souvenez du jeu ? Cette imitation de GURPS sur laquelle
je vais m’exploser le crâne ? Je le positionnerai de telle façon
que ma cervelle giclera sur la couverture, pour que, à la découverte
de mon cadavre, la police soulève le pochoir et découvre écrit
en gris et rouge sur la couverture le mot « GURPS ».
Maintenant, vous pourriez vous demander ce qui a déclenché
une telle colère. Ce n’était pas un mais deux JdR : Simply
Roleplaying! de Microtactics et Action! System de Gold Rush Games. Tous deux
sont sans doute des jeux très bien qui valent la peine d’y jouer.
Mon problème ne vient pas de ces jeux en eux-mêmes, mais de
la réflexion qui a conduit à leur conception initiale.
Je devrais probablement aussi souligner que je n’ai jamais joué à
aucun de ces jeux, pas plus que je ne les ai lus complètement. Je
les ai feuilletés suffisamment attentivement pour en être dégoûté.
Vous comprenez : j’avais déjà lu tout ça avant.
Beaucoup sont sans doute en train de bondir à cette idée.
"Comment osez-vous juger ces jeux sans même les avoir lus, et encore
moins sans y avoir joué ? Aucun d’eux ne ressemble en rien à
GURPS. Vous n’êtes qu’un trou du cul pompeux qui pique sa crise comme
un gosse caractériel de 2 ans". J’ai une réponse plutôt
simple pour ces gens.
Allez vous faire foutre.
Je ne parle pas de ces jeux ici. Je ne vais pas en faire un test.
Je parle de la philosophie de la création qui se cache derrière.
Vu sous cet angle, ces jeux n’ont rien de neuf. En fait, ils sont très
vieux.
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[1] NdT : Sandy Petersen est un des
créateurs de l'Appel de Cthulhu |
En réalité, ce problème est aussi vieux que
Donjons & Dragons. Je ne pense pas que le rôliste moyen se rende
compte à quel point ce bon vieux D&D est profondément
enraciné dans la conception des jeux de rôle. Dans un article,
Sandy Petersen [1] disserte sur le fait que les jeux de rôle ne contiennent
pas de notes des créateurs dans lesquelles ils donnent un aperçu
des processus mentaux lors de la création de leur
jeu, en général de quels jeux ils ont tiré leur idées.
Il écrit :
Cependant, peu de JdR reconnaissent leurs dettes,
excepté peut-être en mentionnant D&D en tant qu’origine
du jeu de rôle, comme si sa seule contribution était le concept
de base du jeu de rôle lui-même.
Les notes des concepteurs ne sont pas pertinentes ici, mais la citation
l’est. D&D a eu un impact profond sur la conception des JdR et tout
bonnement sur la façon dont le jeu de rôle est censé
être joué. La plupart des gens apprennent indirectement. Ils
regardent les autres et reproduisent ensuite ce comportement. Singe qui voit,
singe qui fait. Je sais que c’est ce que je fais. C’est mon père qui
m’a appris à retirer les saucisses des hot-dogs. Je n’ai jamais vraiment pris
conscience que je pouvais manger ces stupides saucisses. Maintenant, c’est
devenu une habitude.
Le jeu de rôle a pris de nombreuses habitudes. Pas nécessairement
de mauvaises habitudes, mais des habitudes qui n’ont pas beaucoup plus de
sens que vider un hot-dog. En général, un jeu
de rôle fonctionne comme cela, arrêtez moi si je me trompe :
- Les joueurs commencent par créer leur personnage. Les Personnages-Joueurs, ou PJ, tendent à avoir un certain nombre de
caractéristiques chiffrées, déterminées soit
par un système de répartition de points, un jet de dés,
ou par une méthode similaire. On décide ensuite d’autres détails
comme la classe, la profession, les compétences, et ainsi de suite.
- Un des joueurs est le Meneur de Jeu. C’est lui qui dirige la
partie et probablement qui possède le livre de règles. C’est
lui qui concocte les scénarios pour les PJ. Ce que les joueurs doivent
réellement faire, c’est réagir à ce que leur présente
le MJ en fonction de leur rôle.
- Le fait d’interpréter un rôle se résume
généralement à un groupe de personnes assis autour d’une
table à discuter jusqu’à ce surgisse un moment décisif
où le MJ présente un obstacle au(x) personnage(s). La résolution
passe d’habitude par un jet de dés quelconque utilisant les caractéristiques
du personnage pour augmenter ou diminuer les chances de succès.
- Le combat est amoureusement détaillé, se segmentant
en petits intervalles de temps typiquement de 5 à 30 secondes. Une
attention toute particulière est apportée à l’estimation
de ce que peut faire un PJ durant chaque intervalle, ainsi que les dégâts
des armes, les chances de toucher, et parfois à évaluer des
détails plus subtils comme par exemple la localisation des coups.
- A la fin de chaque séance, les joueurs sont récompensés
par des points qui sont ensuite utilisés pour augmenter les capacités
des personnages.
Ca vous semble familier ? Ca devrait. Presque tous les jeux de rôle
sur le marché fonctionnent de cette manière. Est-ce une mauvaise
chose ? Oui et non. Ce n’est pas mal que certains jeux marchent ainsi, mais
ça l’est que presque tous les jeux, à de très rares
exceptions près, suivent ce principe. Pire encore, la plupart des
rôlistes semblent penser qu’un jeu de rôle ne peut fonctionner
que de cette façon.
Je suppose que j’en demande trop à Action! ou à
Simply Roleplaying!. Tous les jeux ne vont pas être innovants ni n’aspirent
l’être. L’innovation ne résidera pas dans des techniques exclusives
de lancer de dés ni dans une révolution des listes de compétences.
Mais je ne recherche pas nécessairement l’innovation. Je cherche
juste une raison de continuer à lire, une fois le livre de règles
ouvert. Dans le cas présent, ces deux jeux y ont échoué,
car ils ont emprunté le chemin de la damnation du JdR générique/universel.
Pour beaucoup, GURPS fut le premier JdR générique/universel
à valoir quelque chose et, pour quelques-uns, reste encore à
ce jour le seul. Aujourd’hui, le système d20 crée une
tempête dans un verre d’eau avec son Open Gaming License (et aussi
bien Action! que Simply Roleplaying! ont également leur propre type
de licence, mais je n’en parlerai pas ici). Il y en a d’autres, comme
Fuzion,
Hero ou CORE, mais pour ce qui est du générique/universel,
les investissements sûrs restent soit GURPS, avec son nom bien établi
et dont les suppléments sont généralement considérées
comme de qualité, ou le d20, parce que c’est D&D. Dans cette
catégorie, tous les autres comptent pour du beurre.
Cependant, les JdR génériques/universels ont aussi
un défaut majeur qui leur est inhérent. Ce que je veux dire
c’est que le problème avec un JdR générique/universel,
c’est qu’il est générique et tente à tout prix d’être
universel.
Un tel jeu tend à perdre toute saveur, parce qu’il n’a
aucun mode ou style de jeu propre. Il est générique. Et sans
cela, tout ce qui vous reste est un ensemble de règles désincarné.
Vous savez comment jouer, mais pas pourquoi jouer. Pourquoi jouer à
ce jeu plutôt qu’à n’importe quel autre ?
L’universalité
est un concept si faux qu’il en est stupide à pleurer. Par ce mot,
les éditeurs veulent dire « peut être utilisé
pour tous les genres », ou que quel que soit le genre de partie que
vous souhaitez, vous pouvez utiliser ces règles ou ces règles
de base, de toutes façons.
Aucun ensemble de règles ne peut
couvrir correctement tous les genres ou tous les styles de jeu. Tous les
clones de GURPS se cassent la figure lorsque vous mettez en jeu les armes
à feu. L’universalité est une sorte de Saint Graal qui ne peut
pas être atteint. Je suppose que la technique de base de lancer de
dés peut être transposée, mais vous devrez y
ajouter tant de choses pour en faire un jeu décent que vous pourriez
aussi bien considérer que c’est un jeu distinct plutôt qu’un
système universel.
De plus, quel est le but de l’universalité ? Que les joueurs
n’aient à connaître qu’un seul système de jeu ? Les
gens sont-ils si stupides qu’ils ne peuvent apprendre un autre système
? Pour pouvoir transposer vos personnages d’un genre à un autre ?
Loin de moi l’idée de dicter aux autres comment jouer, mais pourquoi
diable allez vous faire ça ? Cela fait plus de dix ans que je joue,
et je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un faisant une chose pareille.
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[2] NdT : terme employé dans le jeu
[3] NdT :
De Profundis est un « jeu de rôle épistolaire
» qui se joue par échange de lettres manuscrites entre joueurs,
à l’image des nouvelles de Lovecraft où le narrateur
couche par écrit les horreurs dont fut le témoin.
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Laissez moi finir avec quelque chose un chouïa plus positif. Le
dernier JdR que j’ai lu qui m’ait vraiment frappé, en fait scotché,
j’essaye encore de récupérer du choc, fut De Profundis, publié
en anglais par Hogshead Publishing et en polonais par Portal Publishing.
Le concept de ce psychodrame [2] est un peu zarbi, même pour moi,
mais la façon dont le jeu se déroule épouse tellement
le style de H.P. Lovecraft que je ne regarderai plus jamais aucune version
de l’Appel de Cthulhu. [3]
Il y a une bonne façon de savoir si vous êtes face
à une innovation ou à une resucée. Convertissez le jeu
au d20 ou à GURPS, ou peu importe. Avec Action! ou
Simply Roleplaying!,
vous y arriverez sans trop d’effort. Peut-être quelques règles
correctives ou quelques ajouts, mais sinon ils se convertissent quasiment
intégralement. De Profundis défie la conversion car les fondements
du jeu sont si différents qu’elle est impossible.
Cela signifie-t-il que De Profundis est un meilleur jeu ? Diable,
non. Mes propres tentatives pour y jouer sont malheureusement tombées
à l’eau. Mais au moins il était différent. Au moins
ce n’était pas encore une fois un autre GURPS.
Cet article a gagné le concours du n°21 de PTGPTB |