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L’injustice à votre table

Par Alex Loke

Soyez immoraux. Vos joueurs le méritent.

Dieu n’a pas un boulot facile. Que vous croyiez ou non en Son existence, vous devez admettre que qui ou quoi que ce soit qui assure notre cycle de réincarnation mérite bien quelques applaudissements. Que certains ne croient pas en Son existence ne fait que rendre le travail d’autant plus difficile et désagréable. Qu’il ne soit plus à la mode d’infliger des punitions ironiques aux damnés, implique qu’il y a moins de soulagement pour Lui.

Je commence le mois par un sermon. Je déteste prêcher, à moins bien sûr qu’il ne s’agisse d’un sermon blasphématoire à la Kevin Smith (Dieu est Canadien ? Calice ! Qu’est ce que ça veut dire?). Je tenais à le préciser tout de suite, avant que votre cynisme naturel de rôliste et lecteur de comics ne débarque. Nous voici maintenant là où je voulais en venir.

On dit souvent qu’un monde fantastique doit être plus vrai que le vrai pour amortir le choc des inévitables absurdités. Malgré les platitudes marmonnées par les joueurs à l'issue des parties, le MJ sait que seule la perfection est acceptable. Je vous assure que, comme tout bon dictateur, je peux les ignorer (même si je peux entendre dès maintenant les cris de protestation que cette déclaration va inévitablement soulever).
Par extension, les MJ qui prennent le rôle de Dieu dans leur univers n'ont pas non plus un boulot facile. D'abord, le poste requiert un orgueil sans bornes, une vie sociale en dessous de la moyenne, une imagination en surchauffe et un minimum de sens du style. Tout comme Dieu. Hourra pour tous ceux qui iront en enfer pour avoir écrit un simple paragraphe.

Même Lui n'est pas parfait, et contrairement à Lui nous ne sommes pas les premiers à prétendre que nos « voies sont impénétrables ».
Il n'est pas non plus persécuté par le Spécialiste des Règles (l'idée d'un Spécialiste de la Réalité est absurde, oubliez-la) ; en butte aux critiques constantes ; ou victime d'hallucinations dues au manque de sommeil. Il Lui a fallu sept jours pour créer le monde, et j'ai du mal à mettre en place un scénario publiable en moins de douze. Dieu est infini, tandis que chaque lendemain de cuite me ramène au sentiment de ma propre finitude. Nous ne pouvons être parfaits. Alors comment se débrouiller avec ces déficiences ?
Mentir. Tricher. Voler.

Toutes ces choses qu'Il nous a défendues de faire (bien que je ne sois pas sûr que convoiter la femme de son prochain serve à grand chose en situation de partie de JdR, mais un peu d'expérimentation hasardeuse n'a jamais fait de mal à personne). En clair, révéler vos imperfections d'être humain va décupler votre perfection de MJ (à moins que vous ne soyez un de ces illuminés qui croient que la perfection, comme la justice, est un absolu).
Utilisez tout ce qui est à votre disposition ! Lancez les dés derrière votre écran pour cacher le résultat qui aurait tué le Grand Méchant dès la première rencontre. Souriez mystérieusement à chaque contradiction, comme si elle faisait partie de l'intrigue. Engagez quelqu'un pour passer à tabac le Spécialiste des Règles (je suis sûr que vous conviendrez que c’est une bonne mesure pour se défouler un peu). Noyez les contradictions sous d'autres contradictions pour vous donner l'air complexe. Soyez généreux avec l’ecstasy sur la pizza si vos joueurs commencent à trop réfléchir.

Dans ce monde moderne, où les auteurs sniffent leur inspiration (également connu sous le nom de 'Syndrome Jean Claude Van Damme '), les Muses sont connues pour en refuser le don précieux aux MJ. Il ne sert à rien de lutter, offrez-vous simplement une visite à l’équivalent des Muses disponible au marché noir : le plagiat .
La clé d'un pillage réussi est de suivre l’exemple des entreprises américaines. Volez un petit peu à tout le monde ! Les joueurs vont probablement reconnaître la dernière livraison de Robert Jordan. Toutefois, ajoutez un petit peu de Niven, quelques morceaux d'Eddings et une touche d'Ellison, et vous avez un chef-d'œuvre. Restez prudents, ou vous pourriez par inadvertance créer une infâme soupe (ce qui nous ramènerait à Jordan).

Rappelez-vous aussi que les notes écrites ne sont pas immuables ! Quand un joueur fait quelque chose de complètement inattendu, ne le récompensez pas. Punissez sévèrement l'imagination.
Il est récemment devenu de bonne politique dans le milieu du JdR d’affirmer que tous les scénarios, toutes les règles sont adaptables aux besoins du consommateur. Utilisez cette remarque au maximum de ses possibilités ! J'ai tordu la campagne Le château fort aux confins du pays comme un vieux fil de fer, et mes joueurs n'ont toujours pas compris pourquoi TSR avait mis un Dragon Rouge dans une aventure pour personnages de niveau 1 à 3.

Mais que faire lorsque l'on est pris en plein mensonge, battu malgré la triche, ou arrêté pour quelque chose qui n'était manifestement qu'à la limite de la légalité ? Je suis sûr que l'on vous a conseillé au moins une fois de tout avouer. Ha! Réfléchissez à ça : Clinton est resté président, Chirac a été élu et Virenque est toujours sur le Tour de France. Le MJ règne depuis un trône de pouvoir impénétrable, qui ne tient que par la fourberie. Abdiquer cette puissance par l’aveu de ses erreurs va se révéler aussi douloureux que, mettons, déféquer un d30 sur des WC en lames de rasoir, tout en corrigeant les erreurs de Mage 2ème Edition. Même la malhonnêteté a sa propre moralité, donc ne lâchez pas vos flingues. Deux mensonges ne font pas une vérité – à peine une possibilité acceptable.

"Non, j’ai dit « Cthulho-hui ». Tu te moques de l’accent de mon pays ? "

"C’est un vampire spécial. Il est immunisé à la lumière du soleil. Tu perds 3000 xp. Dommage"

"Quels Droits de l’Homme ? "

" Je vous le jure, monsieur le juge, je lui donnais au moins 19 ans. "

Tromper et jouer finement sur les mots peut normalement vous sortir de n’importe quelle situation, à moins bien sûr que vous ne soyez Georges « Dobeliou » Bush ou Brigitte Bardot coincée dans un talk-show de l’après-Ardisson. Enfonce-toi, rigolo ! Après tout, vous pouvez toujours vous enfuir en hurlant (vous voyez Homer Simpson ?)

Peu importe à quel point vous penserez avoir été malin, il y en aura toujours un pour se trouver encore plus malin. Les spécialistes des Règles. On peut toutefois les utiliser à son propre avantage. Retournez les autres joueurs contre eux. Ne vous contentez pas d’en punir un pour ses incartades – assurez vous qu’ils trinquent tous. Cela vous place dans une situation enviable au-dessus du chaos, et même dans la position quasi-divine de pousser ostensiblement vos fidèles à une guerre sainte fratricide. Si tout le reste échoue, rappelez vous que la violence est souvent plus rapide que la raison. Il n’y a rien de plus satisfaisant que de voir un Spécialiste des Règles se tordre avant de mourir d’une horrible occlusion intestinale.

Enfin, c’est avec une certaine satisfaction que je m’aperçois que l’avertissement que j’avais prévu pour me protéger de toute affirmation sujette à controverse ou de mes fautes d’orthographe, me permet de revenir non loin de mon point de départ : je ne suis pas parfait. Bien sûr, quand les avocats et la police s’amèneront, je me mettrai à gueuler « Parodie ».

Alors, félicitations. Si vous avez été assez irrationnel pour suivre chacune des instructions précédentes, vous avez virtuellement assumé le pouvoir de Dieu, sans aucune de ses responsabilités morales. Vous avez bien mérité un gato. En public, je vous conseillerais d’utiliser vos pouvoirs avec précaution, de peur de tomber du Côté Obscur. Mais qui d’autre est d’avis que Vador est plus cool que le gamin échappé de sa ferme ?
Pour moi, c’est le Mal sur tout la ligne, poupée !
Je suis chaud. Qu’on me trouve un électorat.


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Traduit par Aicars. Tiré de PTGPTB n°20, avec l'aimable autorisation de Steve Darlington. Aucune reproduction n'est permise sans l'accord de Steve Darlington. "Places to Go, People to Be" et "PTGPTB" sont aussi sous copyright. La version originale  peut être consultée sur le site de PTGPTB.