[1] NdT: les pulp-comics sont des BD fantastiques
ou de super héros qui fleurirent dans les années 50, imprimées sur du
papier bon marché, à base de pulpe de bois ... |
La Cité de l’oubli
Comme exemple, je vais construire une campagne utilisant ces méthodes au
fur et à mesure.
Je vais m'attaquer à une sorte de campagne d’ " horreur –
super-héros ", prenant des idées à Batman, Spawn, aux pulp
comics [1] et au Monde des Ténèbres de White Wolf. Cela se passera
dans une ville sombre, dangereuse : La Nouvelle-Jérusalem – pleine de
crime organisé, de méchants monstrueux et de héros tout aussi monstrueux,
de créatures hideuses et de mystère. Je vais également inclure un peu de
mysticisme et des thématiques chrétiennes, parce que je suis fasciné par la
religion. Cette mégalopole sera, dans un futur proche, le lieu de l’Armageddon,
la confrontation finale entre Paradis et Enfer. Les PJ feront partie des super-héros
bizarres de la ville, et ce seront eux qui décideront de l’issue finale.
Début, milieu et fin
Il y a un indice là – " issue finale ".
Parce que la première chose que vous devez faire quand vous commencez à
concevoir la structure de la campagne est de décider comment elle se termine.
Ce genre de planification est très similaire à la construction d’une
maison. Ce peut être une grande maison : elle peut avoir trois étages,
une cave, et une piscine. Mais à un moment donné, vous devez arrêter de
construire : vous devez poser un toit dessus et rentrer dedans. De la
même manière, vous ne pouvez pas structurer efficacement une campagne dont
la fin est ouverte, parce que vous ne cesserez jamais de construire une telle
campagne. Ces types de parties n'ont pas besoin de structure : ils
nécessitent un grand terrain de jeu, ouvert et plein de possibilités,
chacune d’elles pouvant être considérée. Avec une campagne structurée,
vous rassemblez les meilleures possibilités, les plus intéressantes et vous
les apportez dans la nouvelle maison.
Donc nous devons commencer par les bases. Début, milieu, fin : où nous
commençons, où nous aboutissons, et comment nous y allons. Vous devez avoir
une idée des trois – vous ne pouvez pas vous contenter d'ignorer le milieu.
C’est l’erreur la plus facile à faire, un problème que j’ai avec la
plupart de mes créations et de mes écrits.
Le début comporte à la fois l’arrière-plan de la campagne et sa " scène
d’ouverture ". Vous devez décider de quoi sera faite la campagne,
où elle se tiendra, quelle est la situation au début de la campagne – et
le plus important, quel type de personnages sera approprié. Une partie du
début sera visible aux PJ et aux joueurs – mais si, comme moi, vous aimez
bien les mystères et les coups de théâtre, vous avez aussi besoin de créer
dès maintenant une partie des secrets et des révélations du jeu. Ne les
utilisez pas pour quoi que ce soit ; trouvez simplement quelques idées
et mettez-les de côté.
Ensuite vient la fin, parce que vous ne pouvez déterminer le voyage qu'une
fois que vous connaissez la destination. Comment voulez-vous que la campagne
aboutisse – une fin heureuse, ou une sombre ? Une grande scène de
combat ou une réconciliation émouvante ? Que va-t-il arriver aux
PJ ? – peu importe que vous n’ayez même pas de PJ à ce moment, du
moment que vous avez des idées sur où ils finiront.
Enfin, le milieu. C’est là que la plus grande partie de l’intrigue se
déroule ; c’est là que les changements, les révélations et les
coups de théâtre se produisent. C’est également là que la plupart des événements
de la campagne arrivent. Cette section doit être au moins aussi
intéressante que les deux autres, et probablement encore plus ; c’est
votre " deuxième acte ", et s’il est faible ou poussif,
le public (les joueurs) ne se sentiront pas concernés ou intéressés par la
fin.
Une fois que vous avez pris quelques notes sur ces trois étapes, jetez les
idées de tous côtés. Soumettez ces idées à un ami qui ne jouera
pas ; volez sans états d'âme des idées d’autres sources. Alors,
commencez à changer les idées de place pour voir où est leur bonne place
– relèvent-elles de la mise en place, de la progression ou du
dénouement ? La plupart des idées relèvent du début ou du milieu, pas
de la fin : vous ne souhaitez pas amener de nouveaux éléments juste
avant le paroxysme (je reviendrai plus tard sur ce point). La fin est le
moment où les idées sont combinées et exposées. Déterminez quels morceaux
vous voulez vraiment conserver, et rejetez tout ce qui ne conviendra pas.
C’est aussi à ce moment que vous trouvez des idées sur les PNJ principaux.
La plupart d’entre eux doivent être présentés dans la section de
commencement de la campagne – mentors, alliés, peut-être des grands
méchants récurrents. Certains apparaîtront plus tard dans la campagne –
tout particulièrement si ces gêneurs de PJ tuent votre Grand Méchant tôt
dans l’aventure, et que vous avez besoin d’un remplaçant. Encore une
fois, on ne doit introduire que peu, voire pas du tout, de PNJ à la fin de la
campagne.
La Cité de l’oubli
Bon, la fin est évidente ici – c’est la Grande Epreuve de Force. Je
veux quelque chose d’épique – des armées d’anges et de démons
s'affrontant, la ville en flammes, toutes les amorces d’intrigues et les événements
étant résolus en autant de tragédies. Et des explosions...beaucoup d’explosions.
Pour le début, j’ai besoin d’élaborer quelques idées sur la Nouvelle-Jérusalem
– les gangs, les grands méchants, les fondements du pouvoir et les
sociétés secrètes dans les coulisses. Quelques monstres, héros, méchants,
gangsters et membres de la Mafia, des flics (honnêtes ou pourris), des
journalistes etc. seraient des PNJ évidents. Je veux inclure un grand
méchant quelque part par ici, mais je n’ai pas encore d’idées ; je
vais laisser ça de côté pour l’instant.
C'est dans le milieu que toute l’aventure a lieu – les confrontations avec
le Mal et les trucs qui explosent. Je veux que les choses se dégradent au fur
et à mesure que le scénario progresse ; alors que le Jour du Jugement
Dernier approche, le poste de police explose, des immeubles s’effondrent,
des méchant et des héros meurent. Une partie de ceci arrivera aux PJ ;
d’autres événements arriveront à cause des PJ. Je ne sais pas ce
que seront ces événements, pour le moment – je sais juste que je veux
augmenter la tension à mesure que l’on s’approche du grand final.
Hmmm...En pensant à augmenter la tension, il me vient à l’esprit que si je
commence avec les PJ en tant que super-héros, cela fait débuter la campagne
à un niveau déjà plutôt élevé, et je veux me laisser de l'espace pour
évoluer durant la phase qui constitue le milieu de ma campagne. Donc à la
place, pourquoi ne pas faire commencer les PJ comme des gens normaux, et les
faire devenir des super-créatures pendant que la campagne progresse
?
Voilà mon milieu : le développement des personnages alors qu’ils
gagnent des pouvoirs et apprennent des secrets, avant de découvrir la
vérité sur la ville. Ces quelques idées fixées, je reviens en arrière et
j'arrange un peu les idées de base.
Bon, le fantastique est un peu plus secret, au lieu de vous sauter aux yeux;
il y a des rumeurs et des légendes urbaines, mais pas de batailles
télévisées entre des super-phénomènes au journal de 20 heures. Les PJ
peuvent être des flics, des journalistes, des escrocs et d’autres qui s’élèvent
contre le vice et la corruption de la Nouvelle-Jérusalem, mais se rendent
compte de leur impuissance à y faire face – jusqu’à ce que quelqu’un
leur offre de la puissance. C’est mon Méchant caché, le Pendu – un
croisement entre le Spectre et le Joker. Il s’affirme comme le mentor des PJ
et leur allié, et s’arrange pour leur faire gagner des super-pouvoirs –
mais il les utilise en fait pour qu’ils l’aident à gagner l’Armageddon.
Parce qu’il est en réalité le Diable. Et ils lui ont vendu leur âme sans
le savoir.
La troisième fois est la bonne
Parler du début, du milieu et de la fin nous amène
joliment au conseil de structure suivant. Et il s'agit probablement de l’idée
la plus grande et la plus importante, ainsi que de la plus facile à appliquer
– tellement importante que je l’écris en italiques :
Tout ce qui est important se décompose en trois parties.
|
[2] NdT : "Trois souris aveugles"
est une comptine pour enfants très populaire chez nos amis anglo-saxons,
similaire à "une souris verte" |
Pensez à une blague, n’importe quelle bonne blague: il
est probable qu’elle implique trois personnes, ou trois événements, ou
trois idées. Toutes les bonnes histoires ont trois actes – début, milieu,
fin. Tout film d’action a trois grandes scènes de combat ; tout film
romantique a trois grandes disputes. Bon sang, il y avait trois souris
aveugles dans la comptine [2], pas deux ou quatre.
Les êtres humains sont programmés pour reconnaître des schémas et y
répondre – c’est gravé dans nos neurones. Un événement n’est que
cela : un événement isolé. Si il arrive deux fois, c’est une
coïncidence. Mais trois fois c’est un triangle, une forme, un schéma et
nous sautons dessus et le rendons important.
La même chose se produit avec la structure des histoires. Tout ce qui compte
arrive trois fois ; cela n’arrivera pas exactement de la même manière
à chaque fois, mais nous aurons le schéma.
La première fois que le méchant apparaît, il n’est personne, juste un
sale type. La deuxième fois, il est une menace, mais qui n’en vaut pas la
peine. Collez-le sur la route des PJ encore une fois, et ils jureront sur la
tombe de leur mère de l’arrêter ou de mourir en essayant. Si vous voulez
que les PJ fassent attention à un PNJ, faites le apparaître trois fois. Si
vous voulez qu’ils s’attachent à leur Quartier Général de super-héros,
focalisez dessus trois fois.
Trois est le nombre magique - ni plus, ni moins. Après trois occurrences, ils
ont le schéma, et toute autre répétition ennuie. Après la troisième fois,
vous devez apporter des modifications majeures à l’idée en question avant
que vous ne la représentiez.
Quand vous développez la campagne, utilisez trois séances comme votre
période de développement de base. Les trois premières séances de la
campagne sont primordiales; c’est le moment où les joueurs sont excités et
ouverts à de nouvelles choses, où ils cherchent toujours le schéma. C’est
à ce moment que vous leur montrez le décor, leur donnez une idée des
thèmes, les habituez à leur personnage ; c’est à ce moment qu’ils
apprennent à faire attention au scénario. La quatrième séance est le
moment où vous commencez à faire changer les choses : vous augmentez la
pression d’un cran. Vous jouez avec ça pendant trois séances, et alors
vous remontez la pression de nouveau.
Vous pensiez qu’on s’en lasserait rapidement, non ? Mais non. Si vous avez
peur que ce soit le cas, tout ce que vous avez à faire est, dans la
troisième séance, de changer le moment où le rebondissement ou le
changement de direction se produit.
Parfois il vaut mieux que trois choses normales arrivent avant une quatrième
chose étrange ; parfois il vaut mieux que le troisième événement
casse soudain le schéma avec un rebondissement. C’est comme cela que
fonctionnent les comédies, vous vous arrangez pour que le public s’attende
à ce que le personnage de l’Irlandais soit semblable à l’Anglais et à l’Américain,
mais oups ! il s’avère que l’Irlandais casse le schéma à
mi-chemin ! Donc placez le rebondissement au milieu de la troisième
séance, plutôt qu’au début de la quatrième.
(Si vous voulez devenir réellement structuré, vous pourriez casser
chaque acte en trois sous-actes, et alors chaque sous-acte en gros morceaux de
trois séances. Vingt-sept séances est une longueur convenable pour une
campagne. Mais même moi je pourrais marquer la limite avant d’arriver si
loin…)
La structure en trois parties est simple à exécuter et incroyablement
efficace. Si vous ne tirez rien d’autre de cet article, souvenez-vous juste
de cette règle là.
La Cité de l’oubli
Bon, j’ai menti ; je vais casser le premier acte de ma campagne en
trois sections de trois séances.
Dans la première section, nous rencontrons les PJ, et établissons le cadre
et le ton de la campagne.
Les PJ veulent tous nettoyer la ville ou se venger des criminels qui ont
dérangé leur vie. Pendant trois séances, ils étudient quelques mystères
et participent à quelques combats, et les joueurs prennent leurs marques avec
leurs personnages ; de la même manière ils en viennent à connaître
quelques-uns des PNJ récurrents. Je leur fournis aussi des indices sur l’étrangeté
de la ville, et des aperçus occasionnels d’une silhouette dans l’ombre
avec un nœud coulant autour du cou. Mais après trois séances, les PJ n’ont
toujours pas accompli grand-chose ; ils ont réglé quelques crimes
mineurs, mais ils savent que cela ne résout pas le problème.
Dans la deuxième série de trois séances, les PJ tombent face à face avec l’étrange
– les super-phénomènes, les monstres, la folie et même quelques " héros "
bizarres. Leurs investigations révèlent des secrets, mais aucune autorité
officielle ne les croira – pire : ils les croient, mais refusent de les
aider. Les PJ ne vont nulle part, et maintenant ils savent qu’ils
pourraient être capables de faire plus si ils arrivaient à traverser le
décor. A la fin de la troisième séance, le Pendu apparaît et leur dit qu’il
a besoin de leur aide – et s’ils peuvent l’aider, il peut les aider…
Dans la dernière série de trois séances, les PJ partent dans une ou deux
" quêtes " pour le Pendu, et en apprennent davantage sur
les secrets de la Nouvelle-Jérusalem. Dans la séance finale, il leur fait
subir des rituels et des épreuves pour leur donner des pouvoirs surnaturels
(et, secrètement, pour revendiquer leurs âmes). A la fin de la séance, les
personnages survivants obtiennent des pouvoirs. Je discute avec les joueurs
pour concevoir des super-pouvoirs appropriés et angoissants, et nous passons
au deuxième acte de la campagne.
Plateaux et pentes
J’ai parlé plusieurs fois de " monter la
pression ", et cela constitue le sujet du prochain conseil de
structure : établir des plateaux et créer des pentes.
Un plateau est une situation initiale, une idée stable. Ces premières
séances où vous développez le style de la campagne ? C’est
construire un plateau, créer dans l’esprit des joueurs une idée de ce dont
la campagne parle. Ces périodes de stabilité vous donnent une chance d’explorer
la campagne et le décor, et forment les fondations pour les événements et
les intrigues.
Une pente est un changement ou un bouleversement. Vous attrapez le bord
du plateau et le bousculez un bon coup. Vous mettez la pression, vous changez
les paramètres, vous placez les choses dans une nouvelle dynamique – et ce
faisant, vous établissez un nouveau plateau. La transition vers le prochain
acte est une pente, et de plus petites pentes vont aussi se produire à l’intérieur
de chaque acte.
Pour garder le contrôle et créer un bon rythme, utilisez la structure en
trois parties. Il faut faire durer l’exploration d’un plateau pendant au
moins trois séances, bien sûr. Vous pouvez continuer plus longtemps, si tout
le monde s’amuse, mais vous risquez de perdre le rythme. Si vos joueurs
souhaitent rester sur un plateau, déterminez quel est l’élément qu’ils
aiment particulièrement – alors penchez le plateau, mais conservez cet
élément plaisant durant la transition vers le plateau suivant.
Ce schéma – établir une situation stable, l’explorer, la modifier
fondamentalement, puis créer une nouvelle situation stable - se répète
encore et encore dans une campagne structurée. C’est l’essence de l’intrigue ;
et nous tentons de la codifier plutôt que de tomber dessus au hasard. Nous
contrôlons également la dynamique ; en tant que MJ, vous décidez de
combien de temps garder le plateau stable et comment le pencher, puis oeuvrez
avec les joueurs pour établir le nouveau plateau.
La Cité de l’Oubli
Comme nous pouvons le voir, l’exemple ci-dessus suivait d’assez près
un schéma plateau/pente ; habituez-vous aux choses, puis montez la
pression. La plus grande pente était à la fin du premier acte ; à ce
moment, les PJ ont leurs pouvoirs surnaturels et le moyen de changer les
choses.
Dans cette section du milieu, nous voulons que la problématique continue
selon le même schéma, mais nous voulons pousser le son encore un peu plus
fort. Les pentes de la première section étaient petites ; maintenant
nous voulons de plus grandes pentes, et des plateaux plus inhabituels.
Le premier plateau verra les PJ explorer leurs pouvoirs et rencontrer quelques
monstres d’égal à égal. Montez la pression ; maintenant ils doivent
sortir et s’impliquer, en résolvant des crimes et en combattant leurs
ennemis.
Le deuxième plateau les verra devenir des personnages importants dans la
pègre de la Nouvelle-Jérusalem. Je vais aussi profiter de l’occasion
pour laisser filtrer quelques indices sur l’Armageddon et les vrais secrets
de la Nouvelle-Jérusalem.
Pour la troisième plateforme – Je colle à la structure en trois parties
– Je n’augmente pas seulement la pression, mais je secoue aussi l’ensemble.
Mettre en place quelques grosses intrigues, quelques grandes réussites ;
les PJ commencent à vraiment faire la différence, défont leurs ennemis et
changent le visage de la ville. Je prolongerai en fait cette section pendant
plus de trois séances, parce que je veux que les joueurs se sentent sûrs d’eux
et prennent plaisir à contrôler la situation.
Mais lorsque cette section se termine, je les jette sur une pente abrupte –
j’explose la moitié de la ville, je tue des PNJ importants, je leur balance
dix tonnes de méchants sur le dos, et peut-être même qu’un PJ y reste. L’Armageddon
est en route.
Annonce
Le dramaturge russe Anton Tchekov (La Cerisaie) a
dit un jour quelque chose comme ça : " si vous voyez un
revolver sur le mur pendant l’Acte Un, ça serait mieux qu’il serve à
tuer quelqu’un dans l’Acte Trois ". Il s’agit d’une
annonce : donner dans les premières scènes des indications et des
allusions à des événements qui arriveront dans les scènes suivantes. On en
revient encore à la problématique en trois parties ; pour que nous
fassions attention à un événement ou à un tournant de l’intrigue, nous
avons besoin de le voir trois fois. Ou plutôt, nous devons en voir les
prémices deux fois avant qu’il n’arrive réellement.
Vous pouvez annoncer presque chaque événement – depuis l’apparition d’un
cousin perdu de vue depuis longtemps, jusqu’à la destruction d’une
planète. Cela empêche les PJ de se sentir grugés par l’intrigue, comme si
vous faisiez apparaître les choses de nulle part juste devant eux ;
après tout, vous les avez prévenus deux fois que la ville allait être
déchirée par des émeutes raciales.
La difficulté est de trouver où et quand " placer " vos
annonces dans la campagne ; cela dépend tellement de l’intrigue, du
ton, de vos joueurs et d’un tas d’autres facteurs.
Quoi qu’il en soit, vous pouvez utiliser votre bon sens ; il n’est
pas bon de lâcher des indices dans les deux premières séances si les événements
annoncés n’apparaissent pas avant la séance finale six mois plus
tard.
De même, dans le cas où la révélation de l'événement est importante, les
joueurs ne seront pas contents si vous ne lâchez des indices qu’une séance
à l’avance. Une bonne astuce est de diviser en trois la durée de la
campagne avant l'événement, puis de placer les annonces aux points de
division. Donc si vous voulez une révélation pour la séance 9, vous l’annoncez
dans les séances trois et six.
Là où le jeu de rôle prend sa dimension propre sur ce sujet, et bat l’écriture,
c’est que vous n’avez pas à placer délibérément des annonces
dans la campagne; vous pouvez simplement réutiliser des idées que vous aviez
rejetées plus tôt. Si les joueurs décident qu’un personnage ou une idée
est intéressante, replacez le plus loin et rendez le plus important : ce
chauffeur de taxi amical se révèle être le génie du crime qu’ils
pourchassaient depuis le début !
Très peu d’éléments de votre campagne devraient être à jeter :
chaque personnage, lieu et idée peut être modifié dans les coulisses pour
le rendre utile ou important plus tard, et les joueurs ne sauront jamais que
vous n’aviez pas prévu cela de cette manière depuis la première séance.
La Cité de l’Oubli
Etant très dépendante des révélations et des coups de théâtre,
cette campagne a besoin de beaucoup d’annonces. Quelques exemples :
le Pendu apparaît dans la séance 6 pour offrir des pouvoirs aux PJ. Je
décide de le faire apparaître durant un instant dans la séance 2 – un
reflet bizarre dans un miroir qui disparaît quand vous regardez pour voir qui
est là. Dans la séance 4, un voyou mentionne qu’un homme avec un nœud
coulant est un revendeur de super-pouvoirs et un personnage qui fait peur dans
le milieu du crime. Les PJ sont à point pour rencontrer le type à la séance
6.
Bien sûr, le Pendu est en réalité le Diable, et je ne peux pas faire sortir
ça de nulle part. Cette révélation vient tard dans le troisième acte de la
campagne – mais je ne peux pas réellement faire d’allusion à ceci avant
que les PJ aient une chance de le rencontrer. Donc je vais mettre deux fois
des annonces dans le deuxième acte.
Tout d’abord, il y a un combat dans l’église St Augustin tôt dans l’acte,
où le Pendu est censé aider les PJ – mais il ne se montre pas, car il ne
peut pénétrer sur un sol sacré. Les PJ ne savent pas que c’est la raison,
mais cela place un germe de doute. Alors vers la fin du deuxième acte, les PJ
rencontrent le fantôme du Fléau, un " combattant du crime "
décédé ; le fantôme leur dit qu’il ne connaît pas de repos car il
a vendu son âme à Satan, mais il n’a jamais l’opportunité de leur dire
qui est réellement le Diable.
Pendant le premier acte, les PJ enquêtent sur un chef de bande appelé
l'Assassin Aveugle et le trouvent plutôt sympa. Maintenant, j'ai besoin d'un
représentant du Paradis pour la bataille finale à la fin de la campagne;
utiliser l'Assassin Aveugle pour ce rôle est un bon
"recyclage".
Donc je décide que l'Assassin est en réalité l'archange Michel, ici pour
combattre le Pendu pendant l'Armageddon - et probablement aussi combattre les
PJ. Tant que j’y pense, j'ai besoin d'un lieu pour cette bataille finale,
pourquoi ne pas reprendre l'église St Augustin ? Elle fait une deuxième
apparition tôt dans le troisième acte, quand les PJ la désacralisent
accidentellement pendant une bataille; maintenant elle est toute prête pour
la confrontation de la dernière séance.
Les faiblesses de la structure
J'ai déployé tout mon lyrisme à propos de la
construction d'intrigues structurées depuis quelques milliers de mots
maintenant. Je pense que ça contribue à des campagnes satisfaisantes. Mais
je serais négligent si je ne soulignais pas les deux défauts majeurs de la
technique.
La première est la prévisibilité - non de l'intrigue,
nécessairement, mais du développement de l'intrigue. Si vos joueurs arrivent
à sentir vos schémas, ils commenceront à avoir l’impression qu’ils
savent ce qui va arriver ensuite. Ils pourraient ne pas savoir quel coup de
théâtre arrivera à la fin de la séance, mais ils seront sûrs qu'il va
y en avoir un - parce que c'est le même schéma que vous avez utilisé
auparavant.
Ce n'est pas forcément une mauvaise chose, bien sûr. Je veux dire, nous
savons depuis le début que Roméo et Juliette se termine tragiquement,
mais ça ne le rend pas pour autant moins intéressant. Quiconque habitué à
ce type de structure sait que la plupart des films suivent le schéma, et peut
deviner quand les coups de théâtre se produiront. Mais si le coup de
théâtre est intéressant, cela ne fait rien que vous ayez su que quelque
chose allait arriver. Si l'intrigue et les idées de la campagne sont
agréables, vos joueurs ne devraient pas vraiment se faire de souci s'ils
peuvent commencer à voir la structure derrière les intrigues.
Cependant si ils le font, commencez à brouiller un peu les choses :
annoncez des choses qui s'avéreront être des événements absolument
anodins ; développez quelque chose pendant quatre séances plutôt que
trois. Chambarder les détails n'invalidera pas les principes de base.
Un plus grand problème est la linéarité - qui conduit les joueurs à
avoir l’impression que vous contrôlez l'intrigue et leurs personnages, et
qu'il n'y a pas de moyen de s'éloigner de votre intrigue.
C'est toujours un problème pour n'importe quelle pièce ou campagne riche en
intrigues, bien sûr, mais la structure peut l’aggraver - parce qu'il y a un
plan, peu importe à quel point il est sommaire. Et sortir de la structure de
l'intrigue peut affaiblir ou endommager le plan et l'intrigue principale.
Il n'y a pas de vraie solution ici; si vous ne voulez à aucun moment diriger
l'intrigue ou les personnages, pour commencer vous ne structurerez pas les
campagnes comme ça. La meilleure chose à faire est de rendre votre campagne
tellement passionnante que les joueurs se moquent d'être poussés dans
une direction, et ne veulent pas partir en vadrouille dans un autre pays pour
éviter leurs problèmes. Oui, c'est une campagne sur des rails, mais les
wagons sont vraiment confortables, et la destination est vraiment
intéressante; dites-leur qu'ils vont apprécier la ballade et que les actions
de leurs personnages comptent réellement.
(Et pensez le aussi; même une campagne structurée et dirigée tourne
autour des PJ. Ils devraient être les stars de la campagne, et tout ce qu'ils
font est important pour l'intrigue.)
Envoyez le générique.
En résumé, il y a trois règles de bases pour créer une
intrigue structurée:
- Tout faire trois fois pour intéresser les joueurs.
- Laisser les joueurs se mettre à l'aise, puis changer les paramètres.
- Annoncer tout ce qui est important dans la campagne (et réutiliser les
idées dès que c'est possible).
Toutes les autres règles de structure dans l'écriture de
scénarios ne sont en fait que des variations sur ces thèmes. Bon sang, les
annonces ne sont qu'une variation de la règle des trois parties.
Utilisez ces règles pour développer l’intrigue principale de la campagne
(et les intrigues mineures) et vous devriez vous retrouver avec une suite d'événements
qui satisfont les joueurs, et qui est plus facile à maîtriser - car tant que
vos idées sont intéressantes, la réalisation se fait presque d'elle même.
|