[1] NdT : Bishops – évêques en
anglais |
« C’est ridicule. Les fous [1] sont des hommes religieux. S’ils doivent être restreints dans leurs mouvements, ce devrait être en ligne droite et bornée! »
« C’est la règle, c’est tout »
« Bon, je joue mon pion à la place »
« Tu ne peux pas faire ça. »
« Quoi ? Pourquoi pas ? »
« Les pions ne peuvent se déplacer que d’une case à la fois. »
« C’est ridicule.»
« Ce sont les règles, c’est tout »
« Ma tour peut se déplacer plus vite que cela et c’est sensé être un château. Je veux t’y voir, déplacer un château
à travers un royaume entier aussi vite ! Il faudrait cinq de mes pions pour bouger une de mes tours. Et comment se fait-il que mes pions ne peuvent attaquer qu’en diagonale ? Sont-ils trop stupides pour voir un ennemi juste en face d’eux ? D’ailleurs, tu m’a laissé bouger mon pion de deux cases à mon premier coup. »
« C’est parce que c’était ton premier coup »
« Ah, ainsi les pions ont cette poussée magique pour leur premier coup mais une fois utilisée, il n’y en a plus ? »
« Endurance ! »
« Quoi ? »
”C’est l’endurance d’accord ? Ils partent tous reposés et pour un tour ils peuvent courir mais ils deviennent tous fatigués. Content ? »
« Et bien dans ce cas je devrais être capable de bouger de deux cases si ces pions se sont reposés pendant cinq tours. »
« OK, n’y pensons plus. Regarde, pourquoi ne joues-tu pas ton cavalier ? »
« Mais il se trouve derrière toutes ces autres pièces. »
« C’est bon, il est sur un cheval. Il peut sauter par-dessus ces autres pièces. »
« Enfin ! Une règle dans ce jeu qui a du sens ! Humpf… et les gens appellent ça un jeu de guerre. »
J’espère sincèrement que cette conversation vous semble d’une bêtise extrême. Si elle ne l’est pas, vous pouvez arrêter de lire tout de suite parce que ce que je vais dire vous laissera indifférent. Si elle vous paraît stupide, alors je veux que vous vous arrêtiez pour réfléchir une minute et prendre conscience que c’est ce type de questions qui façonne l’avenir du jeu de rôles. En particulier, je crois que c’est le genre de conversation qui a guidé la conception de la 3ème édition de
Donjons et Dragons.
Beaucoup de gens semblent penser que la 3ème édition a été conçue pour satisfaire les
Grosbills. Ils soutiennent qu’en retirant les limites de niveaux, en
permettant aux humains de se multiclasser et en standardisant la table des points d’expérience, que les
personnages sont maintenant des forces indestructibles ou que certaines classes deviennent avantagées aux dépens de d’autres. J’écris cela pour montrer que vous ne pouvez blâmer personne d’autre que vous-même. La 3ème édition n’est rien de plus que le produit d’une série de questions trop intellectuelles à-propos d’un jeu bien équilibré.
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[2]
NdT : jeu de mots avec l’autre nom du genre héroïc-fantasy :
Sword AND Sorcery |
Commençons par l’exemple classique de « Sword OR Sorcery [2] ». Dans la 1ère édition, les magiciens ne pouvaient pas utiliser d’épées. Un point c’est tout. Cela amena évidemment la question « Pourquoi ? Si je suis attaqué et que la seule arme disponible est une épée, comment je vais m’en servir ? »
D'accord, cela semble raisonnable. Ainsi, dans la 2ème édition vint la notion de compétences en armes. Un magicien pouvait utiliser une épée s’il en avait besoin mais il ne pouvait jamais devenir qualifié avec, et aurait ainsi toujours des malus à ses jets.
La seconde réplique à cela fut « Bien, pourquoi un magicien ne peut-il pas devenir habile avec une épée ? ». Et c’est ici que la réflexion commence. La première réponse est : «
Et bien les magiciens passent leur temps à étudier la magie et ils n’ont donc pas le temps d’apprendre la bonne façon de manier l’épée. » Et la réplique à cela devient : « Oui, cela peut être vrai en général et peut même être vrai pour 99% des magiciens mais qu’est-ce qui empêche MON magicien d’apprendre à manier une épée ? » Et la réponse à cela est arrivée dans la 3ème édition.
Dans la 3ème édition, nous avons le concept de dons. Vous obtenez un don tous les trois niveaux. Un de ces dons est « manier une épée» pour les personnages qui débutent sans le savoir. Mais ces dons comprennent aussi des choses comme fabriquer des potions et des parchemins de sorts. Donc oui, un magicien peut passer son temps à apprendre à manier une épée en sacrifiant le temps qu’il aurait passé à apprendre à fabriquer des potions.
La 3ème édition est construite autour de ce genre de raisonnement. En parcourant les livres, j’ai noté que tout ce qui indique clairement que X est comme Y, ou que Z peut seulement faire W est suivi d’un paragraphe qui donne soit une explication tirée du monde réel – et rationalisant sur pourquoi c’est ainsi -, soit une description des conditions où il peut y avoir des exceptions. Malheureusement, la 3ème édition n’arrêtera pas le questionnement et je crois qu’aucun système n’empêchera l’interrogation.
La question logique suivante dans la discussion Sword OR Sorcery est : « Et bien, pourquoi l’intelligence n’est-elle pas un facteur de l’obtention de dons ? Pourquoi un personnage avec une intelligence de 3 obtient le même nombre de dons que celui avec une intelligence de 18 ? ». Si vous pensez que c’est un peu poussé, et bien regardez la discussion que j’ai lue sur un forum de
Donjons et Dragons.
La 1ère et la 2ème édition avaient des limites de niveaux pour les
non-humains. Les gens pensaient bien sûr que ce n’était pas réaliste. Encore une fois, même si c’était vrai pour 99% de n’importe quelle population d’une race, il n’y avait pas de bonne réponse concernant la raison pour laquelle un personnage en particulier ne pourrait être une exception. Donc, la 3ème édition a enlevé les limitations de niveaux. Donc, maintenant que disent les gens ? Sans les limites de niveaux, les Elfes devraient dominer le monde. L’argument est que les Elfes vivent tellement plus longtemps que les autres races, qu’ils devraient à la fin obtenir une puissance inégalée.
À ces questions de nouvelle génération, je n’ai qu’une seule réponse. C’est une réponse qui aurait pu suffire aux questions de la 1ère édition. Elle répond même aux questions du type : « Pourquoi les Fous se déplacent seulement en diagonale ? ». Ma réponse est « C’est un jeu. Ce sont les règles. »
En posant tous ces « pourquoi » vous demandez en fait « Pourquoi cette règle existe-t-elle ? ». Et encore une fois ma réponse s’applique 100% du temps. Ma réponse est : « Les règles existent pour une raison d’équilibre. » Les auteurs tentent toujours de rendre le jeu équilibré.
Dans la 1ère édition, un magicien ne pouvait manier l’épée, donc le guerrier et le magicien pouvaient être aussi puissants dans deux domaines différents. Dans la 2ème édition, le magicien était autorisé à
utiliser une épée de temps à autre mais recevait un malus pour qu’il ne fasse jamais d’ombre au guerrier. Et dans la 3ème
édition, le magicien échange simplement un pouvoir pour un autre afin de maintenir l’équilibre. Tout est une question d’équilibre.
Contrairement à ce que bien des gens semblent penser, les jeux de rôles ne sont pas des simulateurs du monde réel. Ce sont des jeux, et les jeux ont des règles. Sans aucun doute, il y a des situations exceptionnelles où les règles n’ont pas de sens ou qu’une règle n’existe même pas, mais c’est à ça que sert le MJ. Mais pour les situations où IL Y A une règle, je dis pourquoi discutailler? Pourquoi ne pas se fier au fait que les auteurs savaient ce qu’ils faisaient en rédigeant les règles et rester
simples? Après tout, les mêmes limitations s’appliquent aux méchants.
La 3ème édition ne s'occupe pas du grosbillisme. C’est une tentative de conserver l’équilibre dans le jeu tout en répondant à toutes vos questions. Et si vous avez l’impression qu’en répondant à vos questions et réclamations, l’équilibre a été brisé et bien vous n’avez personne d’autre à blâmer que
vous-mêmes. La prochaine fois que vous vous retrouverez en train de mettre en cause une règle dans un jeu de rôles, souvenez-vous de cette réponse simple : les Fous se déplacent en diagonale et les magiciens ne manient pas les épées !
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