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Il se trouve que je suis la
première contributrice de cette rubrique, j'en profite donc pour passer un
rapide message à la minorité obscurantiste : Oui les femmes font du jeu de rôles,
oui nous le faisons vraiment parce que nous nous y amusons et oui, certaines
d'entre nous (mais pas moi) aiment éclater des monstres.
Bien,
revenons à nos moutons. Comment en suis-je arrivée à faire du JdR ? Avant
d'aller plus loin, je dois dire que j'ai grandi dans une petite ville du
nord-ouest de l'Angleterre qui avait au moins trente de retard sur son époque,
un système de transports en commun foutrement pitoyable et personne d'intéressant
avec qui traîner à moins d'aimer Duran Duran et de se bourrer la gueule chaque
samedi. Je n'aimais pas Duran Duran. Les gens intéressants n'aimaient pas Duran Duran.
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[1] NdT: Le Sorcier de la Montagne de Feu
Défis
Fantastiques n° 1
Edition Française : 1983
Chez Gallimard (Folio Junior) |
J'étais vaguement consciente
de l'existence de Donjons et Dragons mais mon premier véritable aperçu
sur ne serait-ce que l'existence de ce loisir fut la page pour enfant du Daily
Express (Un tabloïd britannique de droite) au début des années 80, où
il y avait une critique du Sorcier de la
montagne en feu, le premier des Livres dont Vous Etes le Héros [1] de
fantasy publiés chez Puffin. Comme j'étais déjà une fan de romans de
fantasy, j'ai eu envie d’essayer.
Les
Livres dont Vous Etes le Héros étaient amusants dans le genre "je
m’enferme dans ma chambre avec un dé et un stylo", mais ça manquait
quand même de chaleur humaine. Des tentatives pour aborder le sujet au
travail ne servirent qu’à me faire suspecter de graves troubles
psychologiques. Après une douzaine de ces livres, je commençai à me lasser
de voler en solo et décidai de lancer mes filets plus au large. Un intérêt
pour les jeux de plateau m'amena à une merveilleuse petite boutique
-malheureusement désormais fermée- à Liverpool où je trouvais Dragonriders,
la version en jeu de plateau des Chevaliers-dragon
de Pern de Anne Mc Caffrey, un jeu qui pouvait être joué seul ou à
plusieurs.
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La Grotte du Sorcier était produit
par Gibson Games. Cela impliquait de relier au hasard des cartes correspondant
aux pièces de la grotte et de tuer les monstres dedans. Ca prend
beaucoup de place et se joue mieux si vous n'avez pas de meubles.. |
J’ai quitté la chambre à
coucher pour un endroit ou il y avait de la place pour une table et j'ai essayé
aussi bien Les Chevaliers-dragons
que Sorcerer's Cave (La Grotte du
Sorcier), mais je n'avais toujours personne avec qui jouer. Bien des mois
et une boîte de Tunnels et Trolls plus tard, j'ai commencé à
chercher une association dans le coin. Il y en avait une qui existait à 15 km
de chez moi mais ils se réunissaient le dimanche - donc pas de transport en
commun.
Je vous promets que tout ça n'est pas sans lien avec le sujet - à cause du
manque de vie sociale et ayant le boulot le plus assommant sur Terre, j'ai
commencé à étudier la sociologie dans les cours du soir, et pensé à
m’inscrire à l'université. En septembre 1988 j'ai passé mes examens, fait
mes valises et pris la direction d'un des quartiers les moins attractifs du
sud de Londres.
Emploi du temps de la rentrée universitaire -
Premier jour : arriver, s'installer, se faire des amis dont vous
essayerez désespérément de vous débarrasser ensuite.
Deuxième jour : s'inscrire, récupérer l'emploi du temps, se
rendre au pot d’accueil des nouveaux inscrits. S'inscrire à l'association
des étudiantes, boire gratuitement, récupérer le sac avec le pot de
nouilles gratuites et chercher
l'association de jeu de rôle.
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Taureau
Tempête : une divinité de Glorantha, le monde de
Runequest. |
Je supposais qu'il devait y en avoir une, étant donné
qu'il semblait y avoir une association pour tout et n’importe quoi. En fait,
ils avaient un super emplacement juste à droite de la porte, tant et si bien
qu’il était impossible d’éviter ces ahuris. C'était maintenant ou
jamais. Je me souviens de m'être sentie quelque peu nerveuse en tant que
joueuse débutante mais des fois il faut savoir prendre le Taureau Tempête
par les cornes.
Et je les vis - de VRAIS rôlistes ! Je ne savais
pas à l'époque que vous étiez tous des fans d'informatique et de maths,
alors il n'y avait rien pour me rebuter. Je flânais en examinant des
exemplaires fatigués de AD&D et Runequest en prenant ce que
j'espérais être un air de connaisseur tandis qu'ils m’examinaient.
Un ami m’a raconté depuis que tout ce dont il se souvient c'est
d'une touffe de cheveux roux au sommet d'un Duffel-coat pourpre, alors
j'imagine que j'ai du faire une drôle d'impression. Je me souviens particulièrement
d'un type légèrement négligé qui dit d'un ton plutôt impatient qu'ils
acceptaient les gens qui n'avaient jamais joué, puis exigea un droit d'entrée
de 10 balles.
Avance rapide jusqu'à la soirée du mardi suivant. L'association de JdR se réunissait
dans l'ancienne salle du conseil de l'université- de vieilles boiseries légèrement
patinées par le temps, l'endroit idéal pour une soirée enquête. L'une des
premières choses dont je me souviens est une joueuse de Star Wars
hurlant "Wookie, Wookie, Wookie", ce qui m'avait frappé comme étant
plutôt étrange. J'avais encore à apprendre que ce genre de comportement
est, en fait, plutôt habituel.
La création de personnage a été un problème dès le premier jour. Je joue
rarement des personnages masculins et me sens mal à l'aise quand je le fais,
il était donc difficile de me balancer un pré-tiré. De même en ce qui
concerne le bon groupe avec qui s'acoquiner, j'ai passé de nombreuses
semaines abasourdie et désorientée par le genre de joueurs pour qui le jeu
de rôle était un prétexte pour des statistiques compliquées et fus
applaudie lorsque j’obtins "un jet suffisamment élevé pour tuer ce
loup CINQ fois !". Pas vraiment ma définition d'un bon moment.
Après quelques faux départs avec Cthulhu et Runequest (quelque
chose qui impliquait un canard) et après avoir échappée à un MJ qui
prenait un plaisir sadique à tuer les personnages joués par des filles, j'ai
finalement joué et acheté mon premier véritable JdR, la seconde édition de
AD&D, récemment sortie.
C'est à ce moment que j'ai réellement commencé à connaître les gens avec
qui je joue aujourd’hui encore. Je me souviens de la panique générale et
de la confusion lors du tirage des personnages. Je déteste toujours les
statistiques et les règles, et c'est pourquoi j'en suis venue à aimer Vampire
(que des points, pas de nombres). Dans les quelques années qui suivirent j'ai
essayé Rolemaster, Cthulhu, (toujours un de mes favoris), Runequest
(encore une fois) et quasiment tout ce qui passait. Après quelques années
passées à jouer, je pris mon courage à deux mains et écrivit des trucs. J'étais
assez fan de Vampire à ce moment, au point de vouloir en être un (N'écrivez
pas pour m'offrir votre aide, surtout si vous voulez me sauver, j'ai été
bien soignée), quelques scénarios pour Vampire ont donc suivi. J'ai
aussi essayé d'initier quelques amies, pour me rendre compte que c'était voué
à l'échec. Mes ex-colocataires pensaient que la réaction adéquate face à
des méchants monstres était de s'enfuir en courant (Nous savons tous que ce
n'est pas le cas, n'est-ce pas les enfants ?) et ma meilleure amie dit qu'elle
préférait être elle-même bien qu'elle se soit beaucoup amusée avec un
chameau à Runequest. J'ai aussi commencé une dynastie de personnages,
tous parents, qui m'ont suivi durant nombres d'aventures et de jeux. Le
dernier des Mauss est apparu à la GenCon
UK l'année dernière mais ça n'est pas encore terminé.
Il y a environ deux ans, j'ai découvert combien les conventions sont
amusantes, et avec cela le GN qui est beaucoup plus drôle que de simplement
s'asseoir sur le canapé chez quelqu'un et me permet de combiner mon intérêt
pour le JdR avec quelque chose qui me plaît aussi beaucoup – me montrer.
Et ainsi jusqu'à aujourd'hui. Après douze ans de jeu, j'ai des preuves pour
démonter les stéréotypes négatifs du rôliste sociopathe. Les gens que
j'ai rencontrés dans la première association de JdR où je me suis inscrite
sont toujours mes meilleurs amis et j'ai aussi rencontré des tonnes de gens
intéressants, drôles, énervants, et même des gens qui aiment Duran Duran.
Malheureusement le duffel-coat pourpre fut enterré avec les honneurs en 1993.
Et le type qui exigeait de l'argent d'un air menaçant ? Je l'ai épousé.
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