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J’ai débuté le jeu de rôles il y a très très
longtemps, quand j’étais en CM2. Bien sûr, le jeu était
Dungeons and Dragons Basic Set. Je me rappelle encore du premier personnage que
j’ai créé.
Enfin, à vrai dire, je ne me rappelle pas du personnage en lui-même,
car à l’époque, ce n’en était pas vraiment un. Je
devrais peut-être dire que je me souviens du premier « assemblage
d'aventurier » que j’ai créé.
Quoi qu’il en soit, c’était un magicien humain. Premier niveau,
avec un sort, deux dagues et trois points de vie à son actif. Mon
ami le MD eu la gentillesse de me laisser choisir le sort. Comme n’importe
quel aventurier avisé, je choisis l’artillerie : le légendaire
missile magique.
Puis je partis dans ma première expédition donjonnesque, et je me rappelle presque
tous
les détails… ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup à se
rappeler. J'entrai dans une pièce sombre et humide et découvris
un coffre en bois. Avec force sagesse et courage, j’allai droit vers le
coffre et l’ouvris. Il était rempli d’or ! Fièrement, je
revendiquais le coffre et son contenu comme miens. Mais alors, selon
le MD, une créature surgit soudain des ombres et s’avança
vers moi.
Bon, la raison pour laquelle je ne l’avais pas aperçue
avant ne m’effleura même pas l’esprit. Ma première pensée
fut: je peux la tuer ! Elle en a après mon or ! Le concept que l’or
ait pu appartenir à la créature, une fois de plus, ne me
vint pas à l’esprit. Sans attendre plus d’informations, je me préparais
à la tuer. A ce moment précis, je pensai que ce serait une bonne
idée de demander au MD ce que je combattais exactement. Il me décrivit
ce qui semblait être un croisement entre un mille-pattes et une pieuvre.
En fait, cela ressemblait à un mille-pattes avec des tentacules
qui lui sortaient de la bouche. Et cela ne faisait qu'environ un mètre de long. Je savais que je pouvais tuer cette créature
malingre avec mon puissant sortilège.
J'invoquais les énergies mystiques (lire: je déclarai que je
jetais le sort missile magique), et tirais un dard magique sur la créature.
Il toucha le truc qui ressemblait à une mille-pieuvre en
plein dans l’une de ses sections corporelles. Pour moi, cela aurait dû
tuer cette petite chose. Après tout, je faisais plus de deux fois
sa taille et je n’avais que trois points de vie.
Mais le MD décida que cela ne ferait qu’énerver cette
petite chose. Laissez tomber le fait qu’un vers charognard n’a probablement
pas de sentiments ; après tout, c’était un jeu d’imagination.
Quoi qu’il en soit, la créature grouilla jusqu’à moi et me
frappa. Mon personnage, pardon, mon assemblage chût, mort. J’étais
un peu choqué, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. Créer
un personnage n'avait pris que quelques minutes,
alors on pouvait se remettre en route en peu de temps. De plus, peut-être
même que mon nouvel assemblage trouverait le corps de celui-ci.
Pendant les deux années qui suivirent, beaucoup d’aventures similaires
se produisirent. Quelques autres personnes se joignirent également
au jeu, ce qui impliquait que je ne mourrais pas forcément immédiatement
(et c’était une bonne chose). Le maître de jeu acheta quelques
aventures préparées, ce qui lui fournit une infinité
de manières de nous tuer. Et on s’amusait tous. C’était ça
le point essentiel. Même si nos assemblages mourraient assez régulièrement,
on s’amusait. C’était une expérience nouvelle, qui devint
rapidement une bonne façon de passer les week-ends. Et on s’amusait.
Je n'arrête pas de répéter que l’on s’amusait pour
bien souligner ce point. Pour certaines personnes, élaborer des
assemblages d'aventuriers qui meurent peu de temps après
d’une manière complètement inutile n’est pas quelque chose
qui leur paraît amusant. A vrai dire, maintenant, cela ne me semble
pas très amusant non plus. Mais nous étions des gosses et
c’était nos débuts dans le jeu de rôle.
J'appelle les personnages des assemblages car c'est tout ce qu'ils étaient.
Quelquefois, ils n'avaient même pas de nom. Ou alors le personnage
ne recevait de nom que s'il survivait à la première séance
de jeu - nous considérions alors que c'était un personnage
expérimenté. Le personnage n'était pour nous qu'un
être générique qui avait certaines compétences
qui lui permettaient de tuer des choses de différentes manières.
Mais pour nous, c'est tout ce dont nous avions besoin, c'était marrant.
Nous nous amusions.
Nous avons continué à jouer, le temps a passé et nous
avons grandi. Nous avons mûri. Et nos capacités d'interprétation
également. Nous ne créions plus seulement des personnages
pour qu'ils meurent. Nous créions des êtres qui erraient de
part le monde, taillant et tuant des choses, et devenant de plus en plus
puissants. L'approfondissement des personnages ne nous vînt qu'avec
l'âge.
Finalement, les personnages ont reçu des noms lors
de leur création, quoique la plupart sortaient tout
droit des livres de Héroic-Fantasy que nous avions lus. On accordait même
de la considération à la description de l'apparence physique
et du passé du personnage. Rien de bien fouillé, mais assez
pour savoir d'où il venait. Assez pour que nous commencions à
faire de l'interprétation. Nous nous amusions toujours à
aller de-ci de là en tuant des choses, mais maintenant nos personnages
aussi s'amusaient.
En 5ème, nous avons découvert un jeu appelé
Gamma World. Ceci nous ouvrit des perspectives totalement nouvelles. Maintenant,
nous pouvions nous balader en tuant des monstres et en amassant des trésors
dans un monde futuriste. Mais le grand pas en avant fut l'arsenal. Avec
l'équipement lourd de ce monde futuriste, nous pouvions tirer sur
quelque chose à grande distance et le réduire en morceaux
en un coup. Mais cela amenait un grand SI. On pouvait tirer sur quelque
chose de loin et le réduire en morceaux SI on arrivait à
déterminer comment le matériel fonctionnait.
Gamma World se passait dans un monde post-apocalyptique, et
les armes valables étaient acquises en pillant les reliques de l'âge
précédent. Le problème était qu'il fallait
faire un jet sur ce petit tableau qui indiquait si on arrivait à
déterminer le fonctionnement de l'artefact. J'avais tendance à
tomber sur le résultat avec un petit crâne avec des os croisés en dessous, ce
qui voulait dire que vous aviez fait exploser votre propre tête en essayant
de déterminer quel était le côté mortel du flingue.
Cela ne me bouleversais pas pour autant, parce que créer un personnage
dans ce jeu était encore plus amusant qu'avec Donjons et Dragons:
dans ce jeu, on pouvait créer un mutant bien délire! A partir de
là, toutes les possibilités étaient ouvertes, et de
nouveaux mondes d'amusement s'étendaient à nos pieds.
Au fur et à mesure que le temps passait et que nous vieillissions,
certains des joueurs se désintéressèrent. Quelques-uns
déménagèrent et, bientôt, il ne resta plus
que quelques-uns d'entre nous. Puis j'ai déménagé.
J'ai dû abandonner le jeu un moment, à cause de la réputation
que les jeux de rôles avaient acquise. La plupart des gens considéraient
les joueurs comme des espèces de tarés,
et personne ne voulait essayer.
Puis je suis allé à l'université et j'ai pu réintégrer
le monde des joueurs. Il y avait un magasin de jeux et de BD près
du campus, où j'ai rencontré quelques personnes avec qui j'ai
commencé à jouer. A cette époque, c'était devenu
du jeu de RÔLES. Nous créions
des personnages qui avaient de vrais problèmes et de vrais soucis.
Nous jouions à un jeu de super héros nommé Vilains
& Vigilantes. Il y avait encore pas mal de combats où les héros
essayaient de battre comme plâtre les méchants, mais il y
avait désormais comme un sens à cela.
Après tout,
nous avions presque tous grandi avec les comics. Nous savions de quel
genre de problèmes ces gars-là devaient s'occuper. |
[1] NdT : jeu de mot entre roleplaying (l’interprétation)
et roll-playing (le "jeu de rouler de dés") |
Cela fait maintenant de nombreuses années (disons sept) que j'ai
quitté l'université. Je joue toujours, bien que je ne connaisse
aucun de mes vieux amis qui le fasse encore. Certains camarades de fac jouent
encore et je garde un contact occasionnel avec eux (mais cela est limité
par une distance de plus de 600 km). J'aime toujours le roleplay, mais aussi
le rollplay. [1]
J'ai développé mes talents pour l'élaboration d'un personnage tri-dimensionnel,
ainsi que pour agir et réagir, prendre des
décisions et jouer comme le personnage le ferait. J'aime cela. Toutefois,
il y a encore des moments où j'aime faire rouler les dés.
J'aime gambader dans les donjons, sans d'autres raisons que d'amasser
des trésors et obliger tout ce qui y vit à déménager.
Heureusement, ce désir est actuellement comblé par du
wargame de table avec figurines. N'ayant plus trop d'occasions de pratiquer ce type de
jeu au travers du jeu de rôle, j'apprécie cet expédient.
Toutefois, j'ai noté ces dernières années une tendance
qui me dérange pas mal. Beaucoup de gens condamnent ceux qui font
du rollplay plutôt que du roleplay. Ils font des commentaires sous
cape, voire carrément devant les joueurs qui font du rollplay. Ces
joueurs sont souvent de jeunes enfants. Des gamins comme moi, quand j'étais
en CM2, sixième ou cinquième. Ces gamins ne sont pas autorisés
à se joindre à une partie car ils ne sont pas assez
"mûrs" pour interpréter un personnage, du moins selon certains standards
adultes élevés et majestueux. Alors comme ça, un gamin
de 12-13 ans est considéré immature parce qu'il s'amuse
encore à aller dans un donjon et tuer les monstres et n'a pas encore
eu l'occasion de développer les compétences d'interprétation
que les autres ont ? Sans blague ? Je m'attendais à ce que le môme
passe directement des voitures Majorette à Vampire.
Vous savez quoi ? Si j'avais été insulté de la
manière dont j'ai vu certains gamins se faire insulter, si on m'avait
refusé dans une partie seulement parce que mon expérience
se limitait à du rollplay, ou simplement snobé à cause
de mon âge, je ne pense pas que je serais un joueur passionné
maintenant. Et même si je suis devenu un roleplayer de par moi-même,
j'aurai peut-être pu le devenir plus rapidement si l'on m'avait davantage donné l'occasion de voir ce qu'était le roleplay. Mais, à
cette époque, je m'éclatais à tuer des monstres et
c'est tout ce qui comptait. Le roleplay est venu naturellement, avec la
maturité. Et j'ai continué de m'amuser quelle que soit la
manière dont je jouais.
A une époque où ce loisir ou la Profession sont peut-être
en train de décliner, c'est une triste vision que de voir ces "vrais
joueurs" élitistes tuer ce loisir parce que, à leur humble
avis, quelqu'un ne joue pas correctement un rôle. En fait, j'ai
réellement entendu cette remarque faite à un gamin "tu n'as pas un roleplay
correct". La dernière fois que j'ai vérifié, il n'y
avait pas de façon correcte. Et tout ce que ce genre de remarque
peut faire, c'est blesser et déranger la personne en question.
A mes débuts, une remarque stupide comme celle-ci
m'aurait peut être empêché de m'intéresser aux
jeux de rôles, m'aurait peut-être tenu à l'écart
de l'ensemble de ce loisir. Et, si suffisamment de gens continuent de faire
ce genre de remarques, plus aucun enfant ne s'intéressera aux jeux
de rôles et celui-ci aura une fin rapide et méritée.
Heureusement, les seuls commentaires que j'ai entendus étant
enfant venaient de mes amis. En général, c'était du
genre "C'était vraiment stupide" ou "Bien joué, tête de pioche!" Mais
au moins on s'amusait, ce qui, après tout, est le véritable
objectif derrière le JdR. Que ce soit du roleplay, du rollplay ou
quoi que ce soit d'autre.
Eric fait du jeu de rôles depuis 1982. Son
mariage est heureux et il est est le fier papa d'un rat beige appelé
Buffy. Quand il ne travaille pas comme représentant pour une entreprise
de fabrication industrielle internationale basée à Nashville,
Eric aime faire du jeu de rôles, surfer sur Internet et aller au cinéma. |