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Récemment, j’en suis venu à réfléchir sur le
monde du jeu. En particulier, aux secteurs en plein développement que
sont les jeux de rôle (JdR) traditionnels et les jeux informatiques. Des
tentatives de plus en plus nombreuses visent à fusionner ces deux
loisirs. Mais un fait leur échappe la plupart du temps. Le fait que
ces deux supports sont incompatibles.
Essayer de regrouper les rôlistes et les joueurs de jeux sur ordinateur
en un seul ensemble est une perte de temps. Même si la plupart des
joueurs de jeux vidéo jouent également aux jeux de rôle, et vice versa,
il y a de nettes différences entre les deux groupes.
Premièrement, les rôlistes tendent à avoir plus d’imagination que les
joueurs sur ordinateur. Ils exigent beaucoup moins d’images ou de
bruitages superflus. Un rôliste assit à une table, bichonnant son D20, n’a
pas besoin d’une animation en 3D haute définition d’un empereur
dragon crachant des flammes, pour se rendre compte que son mage 1er niveau
devrait probablement fuir ventre à terre du donjon par la sortie la plus
proche. Il n’a pas non plus besoin d’une carte d’accélération
graphique dernier cri et d’un écran 21 pouces alors qu’il lui suffit
d’imaginer l’étoile qui explose en nova juste derrière son vaisseau
spatial fuyant à plein gaz.
D’un autre côté, en toute équité, je dois reconnaître que les
rôlistes peuvent parfois se prendre la tête sur une pléthore de
détails dans les jeux les plus fouillés. Un joueur sur ordinateur n’a
besoin d’aucune connaissance sur l’histoire de la famille du 47ème
Prince Mort-Vivant pour réaliser que le squelette de 3,5m risque d’avoir
quelques divergences de points de vue avec le rôdeur qui vient de
pénétrer dans son antre… Il ne se préoccupe pas non plus des
problèmes en suspens qu’il pourrait avoir avec le frère du dit Prince.
Et enfin, il n’a pas non plus besoin d’avoir sous la main une
bibliothèque entière d’ouvrages de référence, juste au cas où il
souhaiterait vérifier le nombre d’orteils préhensiles du rare
" singe Go-Go rose de Slodobagésie".
Il n’est pas très difficile de réaliser que les désirs des rôlistes
et des joueurs sur ordinateur sont à l’opposé les uns des autres. Dans
ce cas, comment quelqu’un peut-il à la fois jouer aux jeux de rôle et
aux jeux informatiques ? Simple : ses attentes sont différentes
dans chacun des cas.
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[1] NdT : référence scabreuse à l’épisode
105 de South Park dans lequel Kyle tente d’accoupler son
éléphant avec le cochon d’appartement de Cartman… |
Ce qui me ramène au point essentiel de cet
article : le mélange du jeu de rôle et du jeu informatique n’est
pas aussi simple qu’il le paraît. Ce n’est pas que je pense que cela
ne devrait pas se faire, mais que cela ne peut pas se faire.
Ils ne sont simplement pas compatibles, comme le jus d’orange et le
lait. Comme les proverbiaux ADN des éléphants et des cochons d’appartement.
[1]
Bien sûr, vous pouvez ne pas être d’accord avec moi, en fonction de
votre propre définition des termes " jeu de rôle "
et " jeu sur ordinateur ". Après tout, le terme
" jeu de rôle " peut avoir d’innombrables
significations. Pour ma part, j’entends par " jeu de
rôle " le jeu avec papier et crayons, avec un meneur de jeu et
plusieurs joueurs, chacun d’entre eux jouant un rôle. Voilà pour
" jeu de rôle ". Cette activité peut parfois être
entreprise sans papier ni crayon mais en utilisant un autre support, comme
la messagerie électronique ou même le Grandeur Nature. Mais quel que
soit le support, le concept est le même : les joueurs jouent un
rôle, un véritable rôle dramatique, par opposition à la silhouette (sprite)
dont on choisit le visage parmi une liste de plus de 100 proposés. Au
contraire, pour moi, un jeu sur ordinateur est un jeu qui se joue avec un
ordinateur. Ces définitions n’étant pas spécialement obscures, j’espère
que nous pouvons continuer et en arriver là où je voulais en venir.
S’il y a incompatibilité entre les deux, ce n’est pas faute d’avoir
essayé. Il y a eu certainement de nombreuses expériences pour fusionner
ces deux mondes, ou plutôt, pour convertir le concept de jeu de rôle au
jeu sur ordinateur. Ces tentatives peuvent toujours donner lieu à des
moments de jeu agréables, mais ne m’ont jamais en fait poussé à dire
" Bien, maintenant que mes deux centres d’intérêts sont
réunis, je n’ai plus à me préoccuper de suivre deux loisirs
différents ". De nombreux jeux informatiques sont annoncés et
passent à la critique comme étant des jeux de rôle, et, si ce
terme peut techniquement être adéquat (vous y " jouez un
rôle "), le " jeu de rôle " auquel il est
fait référence n’est pas le même concept que celui auquel sont
accoutumés ceux qui jouent avec papier et crayons. Il s’agit juste de l’implication
que n’importe quel autre jeu peut également engendrer, même les
échecs. Même si on les habille d’un vocabulaire de jeu de rôle en
général, ce sont au final des clones de Doom. Bien souvent, le seul
point commun réside dans le contexte fantastique, comme si tout ce qui
contenait des nains et des elfes était toujours d’une manière ou d’une
autre un JdR.
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[2] NdT : tout ce qui est dit ici est
valable pour les autres " jeux de rôles online massivement
multi-joueurs " sortis postérieurement à l’article, comme Everquest |
Prenons par exemple Ultima Underworld [2], un
des premiers jeux décents à courir après le concept de JdR sur
ordinateur. A mon avis, ce jeu fut une grande réussite en soi et une
référence dans son genre. Je pense cependant à Ultima Underworld comme
à un jeu d’aventure dans un univers fantastique et non pas comme à un
jeu de rôle. Jouer un rôle ne va pas ici plus loin que choisir le nom de
votre personnage, ainsi qu’un certain nombre de caractéristiques tout
aussi vides de sens. Ce jeu était sans aucun doute amusant, mais dans mon
esprit, le " jeu de rôle " consiste à jouer un
rôle. Et cela signifie aussi n’importe quel rôle dont j’ai envie
(dans la limite du contexte). Que se passe-t-il si je souhaite jouer un
magicien qui à tendance à fumer tous les champignons sauvages qu’il
trouve ? Ou peut-être un chasseur de primes chatouilleux de la gâchette
qui abuse fréquemment des tablettes de caféines et aime raser les
sourcils d’autrui dans leur sommeil ? Tout meneur de jeu digne de
ce nom saura jouer avec ce type de personnage s’ils sont adaptés à la
nature des aventures. Mais un jeu informatique peut-il gérer ce
" roleplay " euh… poussé ? A l’évidence,
non !
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[3] NdT : nous nous désolidarisons
totalement de ces actions barbares !!! Personne ne fait cela de ce
côté de la Terre;^)) |
La liberté offerte par le JdR traditionnel va bien
plus loin que les personnages maniaques. Virtuellement tout ce que vous
pouvez imaginer faire dans la vie réelle peut être tenté dans une
partie de jeu de rôle. Vous voulez jeter de l’huile sur ce gobelin
malingre attaché à un arbre ? Allez-y ! Allumez une allumette
et regardez brûler cet avorton verdâtre ! Vous êtes fatigué de
tuer les chasseurs de primes d’un banal tir de blaster? Attachez lui une
grenade à fusion autour du cou pour y ajouter quelques effets spéciaux
[3]. Essayez pourtant ceci dans un jeu informatique et vous n’obtiendrez
rien d’autre qu’un silence embarrassé alors que votre super
ordinateur à mémoire ultra rapide échouera dans sa pitoyable tentative
de sortir de sa programmation. Au contraire, les meneurs de jeu sont
dotés du don précieux qu’est le cerveau humain qui (lorsqu’ils l’utilisent)
surpasse tout ordinateur sur terre.
Enfin, les jeux de rôle en ligne arrivèrent sous la forme de
" Donjon Multi joueurs " et autres " Choses
Multi joueurs " analogues. Je ne considère pas ces jeux comme
des jeux informatiques, mais plutôt simplement comme des jeux de rôle
basés sur un autre support. C’est-à-dire qu’ils permettent le
" jeu de rôle " tel que je l’ai défini. Mais très
souvent ils virent au jeu vidéo. Récemment, la " plus grande
avancée en terme de jeu de rôle multi joueur en ligne " a fait
son entrée (c’est du moins ce que les gens derrière Ultima Online (UO)
voudraient nous faire croire). Ne vous y trompez pas. Ce n’est pas l’état
d’esprit du jeu de rôle qui y préside, mais celui du jeu informatique.
Demandez à n’importe quel rôliste qui a pratiqué UO quel était son
plus grand agacement dans ce jeu et il vous dira probablement sans
hésiter " ces maudits PKers ". Les Player Killers
ou, en bref, Pkers, [NdT : littéralement Tueurs de Joueurs,
en fait Tueurs de Personnages-Joueurs] est le terme qui désigne ceux qui
ne jouent que pour augmenter leur propre puissance et richesse en tuant
les autres joueurs. Autrement dit, ils jouent à un jeu vidéo. Comme
beaucoup d’entre vous le savent, la plupart des rôlistes traditionnels
ne toléreraient pas longtemps ce comportement avant de décider d’expédier
au personnage du joueur incriminé un bon coup de hache à deux mains
entre les côtes. Mon record personnel est de 1,374 secondes…
Ceux qui jouent de cette façon ne cherchent pas à établir des relations
personnelles. Ils paient leur temps de connexion et veulent en profiter au
maximum. Avoir un tas d’amis de confiance, charmants mais en fin de
compte peu puissants, ne vous aidera pas à atteindre le 30ème
niveau, ou à gagner un million de pièces d’or, ou à éviter d’être
vous-même victime d’un Player Killer. Ce qui est tout le
problème. Alors, à quoi bon se faire des amis, ou même simplement
discuter avec les autres ? Il est même probable que ces soi-disant
" amis " soient ceux qui complotent à votre propre
chute…
Je dois admettre lorsque je joue à un jeu comme Ultima Online, je
suis tenté de laisser la noblesse d’âme de côté et de faucher
quelques paysans à droite à gauche pour quelques maigres piécettes.
Pourquoi ? Parce qu’il n’y a personne à côté de moi pour m’en
dissuader. Et parce que cela encourage un esprit de jeu informatique (ne
serait-ce que par la quantité de joueurs qui jouent de cette manière). C’est
simplement comme cela que l’on joue à un jeu vidéo. Je n’ai pas le
temps de développer des relations et des interactions avec d’autres
joueurs en ligne qui ne m’aideront pas dans ma quête de pouvoir mais
qui plutôt me rendront plus vulnérables face à d’autres esprits
pervers.
Et tout la question est là. Les jeux sur ordinateur, comme les autres
types de jeux, mettent en exergue la compétition et la recherche de
puissance. Cet état d’esprit ne peut simplement pas coexister avec l’état
d’esprit du rôliste. Mais cela va plus loin. Les jeux informatiques,
multi-joueurs ou non, manquent d’un élément qui est une nécessité
fondamentale et absolue pour tout JdR décent : une véritable
interaction humaine. Pour les personnages ET pour les joueurs. Ce qui fait
d’un jeu un " jeu de rôle " c’est le face-à-face
direct où vous pouvez regarder votre ennemi droit dans les yeux et
réellement voir s’il vous ment ou non. C’est fondamentalement l’interaction
–avec des personnages, des objets ou l’histoire, mais essentiellement
avec d’autres personnes en chair et en os qui sont assises avec vous
autour d’une table – qui fait que l’immersion dans un JdR
fonctionne.
Si l’on s’en tient à cela, tout est très simple. Si vous désirez
créer à partir de rien un personnage qui serait une machine de guerre et
de mort, impossible à arrêter, massacrant les squelettes autour de lui,
alors achetez vous Diablo. Si, au contraire, vous voulez
" jouer un rôle ", et par là j’entends incarner le
personnage que vous souhaitez, aussi bizarre soit-il, et le faire
interagir avec d’autres êtres humains, alors trouvez-vous un meneur de
jeu et empoignez votre sac de dés aux drôles de formes.
Joel et né à Canberra et doit encore de se remettre
du choc. Il a commencé le jeu de rôle il y a quatre ans, à l’âge de
douze ans, et est donc le plus jeune de tous nos contributeurs. Il prouve
que la valeur n’attend pas le nombre des années, et nous file un coup
de vieux. |
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Traduit par Antoine Drouart. Tiré de
PTGPTB n°6, avec l'aimable autorisation de Steve Darlington. Aucune
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version originale peut être consultée sur le site de PTGPTB.
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