[0] NdT : l’auteur est né en 1965
(il fallait bien que quelqu’un le révèle…)
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Je me souviens encore de cette courte période avec une
grande affection. Vous vous souvenez de vos sensations la première fois
que vous avez joué au jdr ? L’émerveillement de voir votre voleur
maigrichon premier niveau s’introduire subrepticement dans un bâtiment
dans la noirceur de la nuit et vraiment voler quelque chose ! L’effroi
que vous avez ressenti quand vous avez rencontré votre premier Orque,
tout en sachant que vous pouviez vraiment mourir! Tout ceci tend à
disparaître au fur et à mesure que l’environnement vous devient plus
familier. Vous commencez à exiger autre chose de vos parties que le
simple émerveillement de jouer. Mais durant l’été 72, c’était
magique [0]. La sorcière ne pouvait vraiment pas nous voir sous la cape
et il y avait vraiment une princesse à sauver.
Bien que ce fût le seul JdR Grandeur-Nature que ma mère organisa jamais,
elle nous encouragea à écrire nos propres jeux. Nous avons atterri dans
notre bibliothèque d’à côté et avons emprunté tous les livres que
nous pouvions trouver sur les wargames. Il n'y avait rien sur le jeu de
rôles mais nous pensions que le wargame serait le meilleur second choix.
Nous découvrîmes les portées des armes et les vitesses de déplacement
des chars, et nous écrivîmes nos propres règles. Nous pensâmes que
puisque nos petits soldats mesuraient 2,5 cm de haut , l’échelle 2,5 cm
correspond à 1m80 devait aussi s’appliquer à la direction verticale.
Étant donné une portée efficace de 300 m pour un pistolet, cela
impliquait un plateau de jeu de 4 mètres de long! Nos batailles entre
deux escouades de 6 soldats chacune occupaient toute l’arrière-cour.
Les parties duraient des heures et généralement, il ne se passait pas
grand chose. Nous passions la plupart du temps à plonger à couvert jusqu’à
ce que quelqu’un en ai marre et tente le tout pour le tout, et alors le
carnage pouvait commencer. Je suppose que nous avions réinventé la
guerre de tranchée.
Nous avons aussi écrit des règles pour les duels de biplans, utilisant
des briques de Lego pour représenter les différences de hauteur. Cela
amena des tas de complications pour calculer la distance entre les avions
et comme mon frère n’a jamais pu piger Pythagore, les parties se
finissaient souvent dans les pleurs.
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[1] NdA : Plus exactement, à Ribérac
en Dordogne
[2] NdT premier JdR de Steve Jackson |
En 1976, nous déménageâmes pour la campagne française [1] et cela mit
fin à notre recherche. Nous étions à 50 km de la bibliothèque la plus
proche! Aucun de nos nouveaux amis n’était intéressé et ce ne fut
donc qu’en 1980, en vacances en Grande-Bretagne que je découvris
‘The Fantasy Trip’ [2]. Il y avait deux livres de règles, Melee
et Wizard. Chacun contenait les règles de base pour des duels
entre guerriers ou entre sorciers. En conséquence, ils ne prévoyaient
que trois sortes de parties : combat à mort, combat d’arène
(jusqu’à la reddition) et entraînement ! La meilleure partie de
chaque livre était néanmoins dans l’introduction. C’était un petit
morceau de Pulp Fantasy que nous pouvions revivre grâce à ce jeu! C’était
tellement excitant : je voulais être Flavius Marcellus, le plus
jeune centurion de la légion, en patrouille dans la Germanie barbare. Mon
frère et moi fîmes beaucoup de duels mais ce fut finalement frustrant
car nous nous connaissions tous les deux trop bien et ce n’était pas
vraiment un jeu de rôles.
Il y avait toutefois ces formidables petites quêtes solo qui s’en
rapprochaient. Et si vous les finissiez, elles pouvaient vous mener
réellement à retrouver un vrai dragon en argent enterré aux USA !
Apparemment, le lieu était le mont Palomar mais je ne suis jamais arrivé
jusque là. Par la suite, Metagaming sortit un supplément jdr
prêt à utiliser, qui introduisait les concepts de maîtrise de partie et
de talents de Héros. Mais à ce moment là j’avais trouvé une autre
manière de satisfaire mon désir d’aventure.
L’année suivante, quand nous sommes allés en Angleterre, je découvris
un magasin sur Oxford Street qui avait quelques-uns de ces jeux solo dans
la cave. Sur les mêmes étagères se trouvait une boîte de Donjons et
Dragons…
A l’intérieur il y avait l’aventure classique (synonyme de mauvaise
mais remémorée avec affection), B2 : le château fort aux
confins du pays. Mon frère et moi pensions que c’était juste comme
une quête solo, donc nous n’avions pas de MD. Nous avions juste trois
personnages chacun et lisions les encadrés lorsque nous les rencontrions
dans le texte, et nous occupions des monstres en conséquence. Mais
oubliez-vous vraiment la première fois où vous entendez ces mots:
" vous entrez dans une pièce, elle fait 3m sur 3, il y a un
coffre contre le mur du fond, gardé par ce qui semble être un
Orque " ?
Ca n’était pas aussi amusant que les quêtes en solo de TFT, parce que
le texte ne s’accordait pas très bien au reste. Alors j’ai fait le
grand plongeon et ai lu toutes les règles. Lorsque nous avons joué la
fois suivante, j’étais MD et mon frère avait six personnages. Ce n’était
toujours pas du jeu de rôles mais c’était un début.
Ce que je voulais c’était des personnages aux différences bien
marquées qui n’étaient pas d’accord les uns avec les autres, mais
atteignaient un but commun malgré ces problèmes. Je voulais Fafhrd et le
Souricier Gris, je voulais la Communauté de l’Anneau. Ce que
nous avions c’était une entité combattante polycéphale avec un
guerrier (infanterie), un magicien (artillerie), un clerc (toubib) et un
voleur (aide de camp). Avec seulement un joueur, ça ressemblait toujours
beaucoup à du wargame, le seul but étant de détruire l’ennemi plutôt
que d’apprécier le voyage.
Je compris que pour obtenir ce que je voulais du jeu, je devais écrire
mes propres aventures. Mais pour ça, j’avais besoin de plus de
ressources. Ce Noël-là, j’amenai mes grand-parents à m’acheter le
kit complet : le Guide du Joueur, le Manuel des Monstres
et le Guide du Maître. Il les lurent bien sûr, pour être sûrs
qu’ils conviennent et furent surpris que je veuille un livre contenant
une table de rencontre des prostituées! On ne peut plus vraiment trouver
une telle qualité dans les JdR d’aujourd’hui.
Heureusement, Maman le
déclara convenable. Et ainsi, encore une fois, tout ça était vraiment
de sa faute.
Nous avons joué aux premiers jeux TSR et nous sommes débrouillés
pour intéresser quelques autres joueurs mais il manquait toujours quelque
chose à ces jeux. Je pris conscience que ce que je n’aimais pas dans
les aventures TSR était qu’elles étaient toujours écrites pour
un certain niveau de personnage. Vous ne pouviez pas vous éloigner des
sentiers battus et vous acoquiner avec quelques bandits ni simplement vous
enfuir, parce que cela mettait fin à l’histoire. Je décidais de créer
mon propre monde, où ce genre de choses pourrait arriver.
J’écrivis mon plus grand cadre de campagne jusqu’ici: Xilba,
une cité à la Lankhmar, infestée par l’habituel melting pot
med-fan de voleurs, de sorciers, de fantômes et de dieux. Mais j’ai
aussi ajouté des choses raisonnables : il y avait des paysans qui
cultivaient la terre, des seigneurs qui dirigeaient et des prêtres qui
priaient. Puis j’ai écrit une chronologie, une histoire future de ce
que les PNJ feraient, et ajouté plein d’amorces d’intrigues. De
mystérieux châteaux en ruine, des contrées sauvages inexplorées avec
des trésors cachés, des problèmes dans les mines naines et des
inimités avec la Guilde des Voleurs. Enfin, nous créâmes quelques
personnages qui s ‘accordaient avec le décor.
J’avais à peine besoin d’écrire un scénario. Les PJ avaient déjà
des buts, des peurs et des espoirs. Ils savaient qu’ils n’allaient pas
simplement rencontrer des kobolds s’ils allaient se promener au fond de
la forêt. Ils savaient que puisqu’il n’y avait pas d’aventure
linéaire à suivre, leurs actions pouvaient affecter le monde tout
entier. Ils en vinrent à respecter la cité en découvrant ses forces et
ses faiblesses et en firent bientôt partie.
Durant les quatre années suivantes, je maîtrisai la campagne de Xilba
deux fois, une fois en France et une fois en Angleterre. Cela devint plus
qu’un jeu, d’une certaine façon cela acquit une existence propre. Je
peux vous donner le nom du nain magnat du transport qui dirigeait la
distillerie clandestine dans les bois du nord de Xilba, et lequel de ses fils
avait accumulé de grosses dettes de jeu. Et si les PJ n’avaient pas
recouvré la dette, vous pouviez être sûrs que quelqu’un d’autre l’aurait
fait.
C’est en cela que le jeu de rôles est intéressant pour moi. Ce n’est
pas seulement des joueurs ou des personnages mais aussi des Univers. Ces
endroits que nous créons devraient avoir leurs propres mécanismes,
indépendants des actions des joueurs. Cela donne aux PJ l’impression
que le monde est vivant et n’existe pas seulement autour d’eux, et
cela fait bien plus marcher l’imagination, ce que j’ai toujours
recherché dans mes parties. Plus je joue, moins je me soucie des règles
et des mécanismes de jeu, parce qu’elles me semblent seulement
interférer avec le vrai but du jeu, qui est de recréer ce premier
émerveillement que j’ai ressenti, il y a 26 ans, dans la cuisine de ma
mère.
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