Une Histoire du jeu de rôles
Par Steve Darlington
Un exposé assez complet, globalement précis et à peine biaisé de
l'existence turbulente de notre hobby, de ses origines à nos jours.
Adapté en feuilleton. |
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Troisième partie : Survenance de l'âge d'or.
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C'était la fin des années 70. Le jeu de rôles s'était
établi comme une idée neuve, quelque chose de différent, d’unique,
quelque peu révolutionnaire. On pouvait bâtir autour de cette nouvelle
sorte de jeu, ce concept spécifique, non seulement un jeu, mais des
centaines ou des milliers. On pouvait créer autour une littérature, des
conventions, même une sous-culture entière. Cela avait le potentiel de
devenir énorme, mais à l’époque, il avait encore du chemin à faire
avant d'y arriver. C'était le moment de commencer à grandir. Bref, le
JdR avait planté ses racines, et commençait maintenant à fleurir.
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Après le succès de
D&D, T&T et
C&S, l’esperluette (le " & ") fut
considérée comme un peu nécessaire au nom d’un JdR et fut utilisée
ad nauseam.
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La ruée vers l'or
Dès que les gens virent la quantité d'argent que ramenaient D&D,
Tunnels & Trolls et Chivalry & Sorcery, ils voulurent
entrer sur le marché aussi vite que possible - pendant qu'il était
encore neuf et relativement peu encombré par la concurrence. Il y eut
alors un raz de marée de publications de JdR. Il serait quasiment
impossible d’essayer de tous les cataloguer; je vais plutôt tenter de
présenter une sélection de produits, chacun d’entre eux présentant
quelque chose de nouveau ou d'intéressant pour la profession.
Le médiéval-fantastique connut une période faste, avec la sortie d'une
ribambelle de copies de D&D/T&T, dont aucune n'apporta
vraiment quelque chose de nouveau. Steve Jackson [1] apparut sur la scène
avec un jeu orienté vers le combat nommé Melee (qui devint plus
tard Into The Labyrinth). Gygax, Arneson
et St-André sortirent chacun quelques JdR de plus. Mais bientôt cela
devint simplement trop, et commença à stagner. Ce fut l'heure d'un
changement de décor, et vu la popularité croissante de la sous-culture
de Science-Fiction qui gagnait l’Amérique entière, nul n'était besoin
d'être Spock pour deviner quelle la forme qu'allait prendre ce
changement.
StarFaring (Flying Buffalo, 1976), fut probablement le premier JdR de SF,
mais fut très peu édité. Metamorphosis Alpha de TSR (1977) le
suivit de près, puis Starships & Spacemen (Fantasy Games
Unlimited, 1978). Néanmoins, aucun d'eux ne put arriver à la cheville de
l'un des meilleurs jeux de SF de tout les temps : Traveller (Games
Designer's Workshop, 1977)
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La licence de Traveller est récemment
revenue à Mark Miller, et le jeu fut réédité en 1996 |
Traveller décolle
Le jeu de Mark Miller était historique pour deux raisons.
Premièrement, parce qu’il était brillamment conçu, et introduisait
quelques idées vraiment nouvelles. Les jeux de SF dépendent assurément
de leurs règles de compétences, mais jusqu'alors, leur conception avait
été négligée. Le système de compétences de Miller était le meilleur
que le milieu ait produit jusqu’alors, et devint un modèle pour de
nombreuses années.
Miller rejeta aussi un système de classes ou d’occupations – les
personnages déterminaient simplement aux dés les compétences qu’ils
avaient appris pendant leur carrière dans l’armée (tous les
personnages avaient eu une expérience militaire quelconque ).
Ils devaient aussi tirer les dés pour voir si, la même année où ils
avaient appris à piloter un vaisseau spatial, ils avaient aussi reçu des
médailles, ou avaient étés virés pour jeux clandestins. Cette idée de
mécanismes conçus spécifiquement pour créer un background et un
historique au personnage était un autre choc révolutionnaire.
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[2] NdT: En France, Empire Galactique
(François Nedelec, 1984), reprit de nombreux éléments de Traveller, en
encore plus simple.
[3] NdT : Blake's 7 est une série télé culte de SF britannique, (1978-1981).
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Et puis il y avait l’univers de jeu. Pour la première
fois, les règles permettaient non seulement de créer des nations, ou des
planètes, mais aussi des systèmes solaires entiers. Il y avait des
tableaux simples et rapides pour générer aléatoirement une planète
(depuis la taille et la température jusqu’au type de gouvernement et de
religion), aussi bien que des astuces pour concevoir un petit coin de
galaxie richement détaillé. [2]
Le décor était original aussi, présentant les idées de Miller d’un
Imperium puissant mais décentralisé, plutôt que de voler les idées de Star
Trek ou de Blake’s 7 [3] comme tant d’autres. Mais si
vous n’aimiez pas cet univers, vous n’étiez pas obligé de l’utiliser.
Un autre des attributs renversants de Traveller était son incroyable
flexibilité – vous pouviez facilement faire du jeu tout ce que
vous vouliez.
La deuxième raison pour laquelle Traveller eut tellement d’impact fut
que sa sortie coïncida à peu près avec celle de Star Wars. Avec
les règles simples et flexibles de Traveller et son univers sans
limitations, il fut le premier choix des fans rôlistes. Et il y en avait
des tas, impatients de prolonger le suprême fantasme enfantin : vivre
réellement leurs rêves d’être Luke ou Yan. En conséquence de quoi, Traveller
bénéficia d’un succès commercial presque immédiatement – chose qu’aucun
autre JdR n’avait alors jamais obtenu. Traveller fut un jeu qui
fit une grande impression sur les entrepreneurs [4], prouvant que ce
loisir pouvait avoir une forte importance commerciale.
L’union fait la force
Le développement du monde du JdR comme sous-culture alla de pair avec
sa présence commerciale. Comme les wargames et la SF avant lui, le jeu de
rôles commença à tracer son propre petit chemin. Les magazines,
tant professionnels qu’amateurs, inondèrent le marché et, avec l’établissement
de ce transfert d’informations, un " état d’esprit "
rôliste fut créé. L’argot, le jargon et l’humour spécifique
proliférèrent : un sentiment fort d’identification avec le loisir
engendra aussi le besoin d’isoler ceux qui étaient en dehors.
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La toute première GenCon avec des JdR se tint en 1978. |
Des conventions furent montées et les joueurs purent
communiquer encore plus. Les joueurs apprirent qu’ils n’étaient pas
seuls, et trouvèrent un environnement abrité où ils pouvaient se sentir
chez eux et protégés pour pratiquer leur passion. Les petites firmes d’hier
commencèrent à devenir les grand éditeurs de demain, et elles avaient
maintenant tout un secteur auquel vendre au lieu de juste quelques joueurs
isolés. Le JdR atteignit un statut " culte ", comme
la SF, avec toutes les implications sociologiques que cela entraînait.
Maintenant les rôlistes n’étaient plus des blaireaux – ils étaient
ces mordus portant des lunettes et ne sentant pas très bon qui
transportaient partout ces espèces de petits dés.
Ce statut " culte " rendit le milieu plus stable, et
il l’utilisa pour commencer l’exploration de différentes voies de
créations de jeux. Des jeux de super-héros commencèrent à apparaître
, comme Superhero 2044 et Villains & Vigilantes. Gangster !,
un jeu basé sur la reconstitution de films comme Scarface et Bonnie
and Clyde, ouvrit la porte aux JdR policiers.
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Watership Down eut 25 ans en 1997, ce qui
motiva la reprise du talentueux dessin animé. Ne le ratez pas.
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Puis il y eut le très ésotérique Bunnies &
Burrows. Quelques années après Le seigneur des anneaux, un
autre livre avait révolutionné la fantasy – Watership down. B&B
était simplement le jeu tiré du livre, comme D&D l’avait
été du SdA. Bien que le système de B&B fut, comme
bien des jeux de l’époque, simplement celui de D&D avec un autre
nom, les ressemblances s'arrêtaient là. L’idée d’interpréter des
lapins était bizarre, mais cela avait un incroyable potentiel de
roleplay, et il était facile d’être charmé par le monde
" lapinesque " richement illustré de Richard Adams.
A l’époque, beaucoup le trouvèrent stupide. Maintenant il serait à
juste titre porté aux nues comme l’œuvre d’un génie. [5]
Le bijou de la couronne
Ainsi, les expérimentations continuèrent. Quelques
années plus tard,
Bushido explora le monde très exotique du Japon médiéval, et Aftermath
présenta un monde post-apocalyptique très sombre. Ces derniers jeux sont
particulièrement remarquables parce que leurs systèmes étaient fait sur
mesure pour vous faire jouer dans le style requis de leurs univers
étranges mais captivants. Cependant ces jeux, et en fait l’industrie
entière, doivent une grande part de cette idée au légendaire Runequest
(Chaosium, 1978). Runequest cassa le moule, établit une
tendance, et changea le milieu du JdR pour toujours.
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Pour plus d’infos sur le monde de
Tekumél
de M.A.R. Barker, retrouvez la
deuxième
partie de l’histoire des JdR |
En 1966, Greg Stafford commença à concevoir
Glorantha
- le monde dans lequel se joue Runequest - comme arrière-plan d’un
jeu de plateau nommé White Bear and Red Moon, qui permettait de
jouer une bataille cruciale dans l’histoire de Glorantha (et ne sortit
qu'en 1975). Le monde de
Stafford était fascinant et exotique, et le jeu sécrétait une
atmosphère mythologique envoûtante. Pourtant il ne rencontra jamais les
problèmes que Barker eut avec Tekumél – parce que le monde
était écrit pour un jeu, Stafford parvint à trouver le bon équilibre
entre jouabilité et originalité. A tel point que le jeu engendra son
propre magazine éphémère (Wyrm Footnotes, 14 numéros), et une suite nommée Dieux nomades.
Ainsi ce fut dix ans plus tard que Steve Perrin, Ray Turney et d’autres
décidèrent de créer un jeu de rôles qui se déroulerait dans Glorantha,
qui avait entre-temps évolué en univers encore plus riche. Glorantha
était un monde de l’Age du bronze, parsemé des cultures, religions et
préhistoires grecque et mésopotamienne, les hoplites avec des casques à
plumets remplaçant les chevaliers en armure. Les elfes, les nains et les
religions y figuraient aussi mais avec des particularités uniques. La
religion, en particulier, sous la forme de divers cultes dangereux mais
tentants, omniprésents dans le jeu. Mais aussi brillant qu’était
le décor, ce n’était cependant pas ce qui couronna la gloire de Runequest.
Cet honneur revient aux règles.
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De nombreux joueurs se rappelleront avec
nostalgie la puissance réaliste que
Runequest attribuait jadis à l’arc long.
[6] NdT : le système de règles de Runequest a donné le très
populaire Basic RolePlaying System, qui est utilisé pour nombre
de jeux dont l’Appel de Cthulhu.
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Après Traveller, Runequest fut le
deuxième jeu à utiliser des compétences – et à les utiliser très
bien.
Non seulement elles étaient merveilleusement simples, mais elles
simulaient aussi plutôt bien la réalité. Les auteurs étaient tous des
mordus de reconstitutions médiévales et se donnèrent beaucoup de peine
pour rendre les combats réalistes, mortels et spectaculaires, façon " prend ça dans ta face! ".
Runequest inventa
aussi le concept de succès/échec critique, et introduisit la
possibilité d’améliorer les compétences par l’entraînement plutôt
que par l’expérience. Plus significatif : les règles furent les
seules qui pouvaient être décrites comme
" élégantes " - des règles stylées autant qu’efficaces
[6].
Le vrai triomphe de Runequest, cependant, était
la façon dont le monde et le système étaient intégrés ensemble. Par
exemple, pour devenir plus puissants, les mages devaient obtenir des
faveurs et des privilèges dans leur culte runique spécifique – en
général en réglant les affaires courantes ou en partant en
quête. Donc, votre aptitude magique (une statistique de jeu) était
intimement liée aux aventures et aux éléments de l’univers de jeu.
Bien que ce soit maintenant la base, c’était à l’époque une autre
idée révolutionnaire. Ainsi, Runequest imbriquait étroitement un
monde d’un réalisme saisissant avec un système d’un réalisme
exaltant, en faisant ce qui est indiscutablement un des meilleurs jeux de
rôles jamais conçus [7].
L’apogée d’Athènes
Runequest représenta un sommet dans la conception de jeu de
rôles, et marqua le début d’un âge d’or des JdR. Traveller
avait prouvé que les JdR pouvaient être rentables commercialement,
et Runequest démontra qu’il pouvait également être solidement
conçus. Cependant, le véritable héraut de l’âge d’or devait venir
encore une fois de TSR. En 1978, Gygax et d’autres collectèrent et
assemblèrent la plupart des corrections qui avaient étés faites sur D&D
pendant des années, et les utilisèrent pour créer un jeu de deuxième
génération [ : AD&D]. Dans l’intervalle, les règles d’origine
de D&D, furent simplifiées pour les débutants, de façon qu’alors
les éditeurs ciblaient activement à la fois les vieux de la
vieille et les novices. Cette diversification de gamme indiquait encore
une fois la puissance du milieu du JdR, comme sous-culture et comme
secteur. Un autre indicateur de la vigueur du marché était le fait que
les nouvelles Règles Avancées étaient constitués maintenant de trois
volumes épais et chers (le manuel du joueur, le guide du
Maître de Jeu, et le manuel des monstres), prouvant que des
gens étaient disposés à consacrer de grandes quantités de temps et d’argent
à ce loisir. Ainsi la sortie de Advanced Dungeons and Dragons
indiqua
clairement le début de l’âge d’or.
Comme tous les âges d’or, celui-là allait être
rempli d’incroyables succès, tant en termes de ventes que de design.
C’était l’époque où le jeu se définissait vraiment lui-même, et
où il atteignit ses sommets culminants et son plus grand pouvoir. Quand
il était jeune mais fort, lorsqu’il déferla sur le monde, qu’il
devint la chose stupéfiante qu’il est aujourd’hui.
Mais pour vraiment mûrir et grandir, le hobby devait également
souffrir ; il devait affronter l’obscurité aussi bien que la
lumière. Et dans cet âge d’or naissant d’un nouveau loisir
" culte ", les graines était plantées pour que
survienne une terrible tragédie, qui aurait pour conséquence de donner
au JdR un véritable " baptême du feu ". Mais nous en
parlerons la prochaine fois.
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[1] NdT : Steve Jackson l’américain, et non Steve Jackson l’anglais,
auteur de Livres dont Vous êtes le Héros.
[4] NdT : L’auteur décrit une industrie
du JdR, où des entrepreneurs fondent des firmes qui
font des profits. En France, le milieu du JdR est constitué
de créateurs passionnés qui restent pauvres. Cette
différence culturelle est à relier à la différence d’échelle des
marchés anglophones et francophones.
[5] NdT : jouer des lapins qui combattent les méchants chasseurs n’est
pas une idée plus stupide que les tentatives d’adapter
les fourmis de Bernard Weber en JdR.
[7] NdT: l’événement de l’année 2000 fut la sortie de
Herowars,
le successeur de Runequest. A nouveau, les règles sont très (trop?)
innovantes.
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Vers la quatrième partie |
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