[1] NdT : rappelons que l’histoire se passe en Australie…
Cet article est dédié à ma sœur Sharon, sans la patience de
laquelle j’aurais abandonné le JdR il y a des années.
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Fondu enchaîné : une cuisante et chaude journée
d’été de la mi-janvier [1]. La composante monétaire du cadeau d’anniversaire
de mes 12 ans froissée dans ma paume moite, mon père avait fait tout le
chemin pour me conduire en ville, à la librairie Napoleon Military
Bookshop.
En ce temps reculé, c’était le seul magasin en ville qui
vendait du matériel pour Talisman, ce que j’étais venu acheter. Et
pourtant, pour une raison quelconque, je choisis la boîte rouge à côté
de l’extension pour Talisman, celle avec le dragon rouge vif sur la
couverture et la déclaration étrange au dos qu’elle permettrait de
rendre réelles les visions de votre imagination. Comme sur le chemin du
retour, je pressais la boîte lourde et pleine de dés sur ma poitrine, d’une
manière ou d’une autre je savais, que j’avais
trouvé quelque chose de spécial. Quelque chose qui changerait ma vie.
Je lus les livres comme si c’était des tomes
vénérables, penché sur eux jusque tard dans la nuit, mon
émerveillement et mon excitation grandissant à chaque nouvelle page.
Lorsque je lisais le Guide du Maître de Donjon, j'avais la sensation d’apprendre
une sorte de magie, un art secret et mystérieux que seuls quelques
personnes pouvaient connaître. C’était aussi un art interdit : le
livre du MD était le premier livre que j’aie jamais lu qui conseillait
à ses acquéreurs de ne pas le lire ! Lorsque j’atteignis la fin
des deux livres, j’avais créé une douzaine de personnages, fait les
plans d’un donjon et créé une aventure. Et j’avais été converti
aux jeux de rôles pour la vie.
C’est là que je rencontrai un obstacle plutôt
grand. Jouer au JdR nécessite d’autres personnes. Et j’étais là,
dans l’extase du jeu, impatient de partager mes découvertes – et seul
au milieu des incroyants. Je n’avais pas d’autre choix que de
convertir d’autres personnes.
Je n’eus pas beaucoup de chance. La plupart des gens
ne voulaient pas passer une heure à apprendre un jeu avec deux livres
pleins de règles. Ils ne comprenaient pas le concept de jouer un
personnage. Même les quelques amis que je réussis à faire au moins
essayer n’y firent pas attention, n’accrochèrent pas ou pensèrent
que cela n’en valait pas la peine. J’étais vraiment coincé. Comme
résultat, presque toutes les parties que je jouais les deux années
suivantes impliquaient moi et soit mon meilleur ami Dan, soit ma
malheureuse petite sœur. Ou si nous étions vraiment chanceux, les deux
à la fois. Pour survivre aux aventures de base, nous devions
généralement jouer trois personnages à la fois. Je me souviens d’une
fois où Dan et moi essayâmes de jouer la totalité de la trilogie du
Seigneur des Anneaux à nous deux. Cela ne marcha pas.
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Bizarrement, j’ai découvert D&D avant de découvrir Tolkien. J’étais
à la moitié du " Seigneur des Anneaux " avant de
réaliser que les halflings et les hobbits étaient la même chose !
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Dès lors, mon intérêt pour les jeux de rôles
déclina. Il me restait à m’intéresser à la littérature de fantasy (Tolkien
m’en détourna pour quelques années), j’étais lassé par les
scénarios de baston, et je devenais de plus en plus frustré par le
manque de joueurs. Je commençais à me demander à quoi cela servait d’avoir
un jeu tellement formidable si je ne pouvais jamais rassembler assez de
gens pour y jouer convenablement. Soudain, les jeux de SSI comme Champions
of Krynn et Heroes of the Lance devinrent bien plus
intéressants, le fait que vous aviez toujours six personnages avec
lesquels agir n’étant pas la moindre raison. Et ainsi D&D partit
dans le tiroir, poussiéreux, mais pas oublié. Je savais toujours que le
jeu de rôles allait changer ma vie, j’avais
juste besoin de trouver le bon genre, et les bonnes personnes.
Le bon genre arriva sous la forme des Tortues Ninja
(Teenage Mutant Ninja Turtles). Cela remonte à la fin des années 80,
une bonne année environ avant que la série télé ne débarque et ne les
rende célèbres. Je n’avais pas entendu parler d’elles mais ne fis
pas attention parce que le jeu était exactement mon genre : des
animaux humanoïdes géants trimballant des uzis et pratiquant le kung-fu
au nom de la justice. C’était le meilleur des BD faciles d’action,
exactement ce dans quoi j’étais à 13 ans. Une fois de plus, j’étais
de retour dans le jeu de rôles, par la grande porte.
Je produisais personnage après personnage, conçus
aventure après aventure, m’immergeais dans le background (je vis même
le deuxième film avec Vanilla Ice !). et puis je rencontrais de
nouveau exactement le même obstacle– pas de joueurs. A nouveau je dus
convertir, et cette fois-ci quelques amis étaient intéressés.
Peut-être que je connaissais plus d’agités du bocal, ou peut-être
étaient-ils plus âgés, ou peut-être que c’était l’appel des films
– quoi qu’il en soit j’avais à présent deux, parfois trois joueurs
réguliers. Nous jouions presque tous les jours à la pause déjeuner, si
nous pouvions éviter les bandes de bourrins. Et nous nous sommes amusés
à taper bêtement sur des monstres, pendant quelque temps. Mais alors
nous commençâmes à grandir. Des trucs de binoclards comme les jeux de
rôles font de vous une cible facile, et personne n’y tenait autant que
moi. Le handball et le foot ont conquis nos pauses déjeuner, et j’en
fus réduit à jouer épisodiquement avec Stu dans le train du retour. Et
ce, seulement si nous prenions le même train, et nous arrangions là
aussi pour éviter les bourrins.
Finalement, j’abandonnais aussi TMNT. Oh, je ne
cessais jamais d’apprécier le background, ni le punch que je retirais
du tirage de personnage ou de la création de scénarios, mais je cessai
de jouer vraiment. Trop peu de joueurs, trop peu d’intérêt, trop peu
de raisons pour que je persiste à essayer de jouer à des bons jeux. TMNT
finit aussi dans le tiroir, et une fois de plus j’étais bloqué. Mais
je n’abandonnais toujours pas. Je croyais toujours que le jeux de rôles
était quelque chose de bien et qu’il changerait ma vie. Un jour.
Peut-être.
Cependant, je me sentais contrarié. Je me sentais
comme si j’avais été floué de quelque chose. J’avais trouvé le jeu
parfait, mais n’avais jamais trouvé plus d’une poignée de gens
pour y jouer avec moi, et quasiment personne pour y jouer correctement. Et
malgré mes meilleurs efforts pendant ces cinq années, je n’avais
jamais eu une seule partie décente, surtout parce que je n’avais jamais
trouvé de joueurs satisfaisants.
Des gens qui auraient entendu parler de ce fichu
machin, qui seraient dedans, qui prendraient plus soin de leur personnage
et de la partie qu’ils ne se préoccuperaient d’obtenir de moi une
autre arme magique ou un massacre d‘orcs. Des joueurs qui voudraient
réellement JOUER ce que je MAITRISERAIS, avec exactement le même
enthousiasme. Mais je ne les avais jamais trouvés, et ainsi le jeu n’avait
jamais atteint son potentiel. Sans joueurs, je n’étais rien ; j’étais
un berger sans troupeau, un prêtre sans fidèles, un triste
crétin avec un livre de règles, un dé à 20 faces et quelques
idées délavées.
Je suis sûr que ce récit est familier à beaucoup de
ceux qui ont été les premiers dans leur milieu à découvrir le JdR, et
qui ont dû revêtir le manteau de MJ à un âge précoce. C’est là un
des problèmes avec les JdR : à moins que vous connaissiez quelqu’un
qui joue, votre entrée dans le jeu ne va pas nécessiter de seulement
jouer, mais de recruter de nombreuses âmes soeurs prêtes à le faire, et
puis de leur maîtriser une partie. Ce n’est pas facile, et ça peut
être vraiment ardu, surtout que de nombreux jeunes rôlistes n’ont pas
un large cercle de connaissances dans lequel choisir. Si le JdR était à
peine moins divertissant, cela n’en vaudrait pas la peine.
Mais mon histoire finit bien. Quelques années plus
tard, je devins ami avec quelqu’un qui, ta-dam ! savait ce qu’était
le jeu de rôles. Mieux, il jouait
régulièrement et il m’invita à le rejoindre ! Le week-end
suivant, je faisais pleuvoir la mort dans la peau de Lupis le ranger
et je vivais le plus beau jour de ma vie. Je joue avec la plupart de ces
types depuis plus de 3 ans maintenant, autant comme MJ que comme joueur. C’est
sûr, il se peut qu’ils ne soient pas tous aussi enthousiastes que moi,
mais ils sont là, chaque semaine, et nous jouons. Nous nous jouons un rôle.
Et j’en ai même rencontré depuis encore plus qui jouent – et jouent
intensément, et souvent – et j’ai rejoint d’autres groupes.
Maintenant je maîtrise plus que jamais. J’ai obtenu un putain de
troupeau, et c’est génial.
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Paranoïa est un jeu qui se passe dans une société futuriste
fasciste, où les personnages sont persécutés et tués avec une
désinvolture sauvage. |
Avec eux, je vais dans des lieux nouveaux, j’essaye
de nouvelles choses, atteignant de nouveaux sommets de roleplay.
Contrairement à toutes les attentes, le jeu de rôles
s’est avéré être quelque chose d’incroyable, et il a
effectivement changé ma vie. Mais de temps en temps je me souviens ce
que c’était d’avoir des joueurs mous ou inexistants. Et ces
moments-là, je reprends mon exemplaire de Paranoïa sur l’étagère et
rêve de ce que je pourrais leur faire. |