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Incertitude et exclusivité
T.S. Luikart
...deux puissants outils pour bousculer un peu vos vieilles habitudes de
MJ
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Quand un groupe de rôlistes se met à faire étalage
de ses griefs, certaines plaintes semblent ne jamais devoir passer de mode.
Deux thèmes majeurs dans toutes ces récriminations sont le manque
d'originalité et la difficulté de « ressentir », et cela, quel que soit le
système de jeu sur lequel porte la discussion. Les mécanismes d’un JdR
donné peuvent parfois apaiser ou aggraver ces deux doléances, mais au bout
du compte la responsabilité en revient au MJ. Il est vrai que beaucoup de
rôlistes endurcis succombent de temps à autre au redoutable syndrome du «
déjà vu, déjà fait ».
Cependant, comme tant de nouveaux JdR clament haut et fort être la prochaine
« révolution » et se révèlent n’être que « toujours la même chose »
qu’on ne peut pas vraiment les en blâmer. Je vais vous confier un petit
secret : ce que veulent les joueurs, c’est une chouette campagne. Tout le
reste, système compris, c’est pour faire joli. Si le cadre d’une campagne
fait cavaler l’imagination et la créativité des MJ et des joueurs, alors c’est
un succès, au moins partiel. Peu importe combien nous autres créateurs avons
pu nous échiner sur nos règles, si vous n’aimez pas les grandes lignes de
l’univers de jeu, alors vous n’en avez rien à foutre. Cet article
contient quelques suggestions pour que vos parties vous semblent plus
authentiques et originales. Si vous assurez, vos joueurs vont se dire « ça,
c’est cool ! » et ils vous offriront une pizza.
Le principe d’incertitude
ou « ça n’a pas l’air très magique »
Si vous avez maîtrisé un tant soit peu de jeux de rôle
médiévaux-fantastiques, vous avez certainement déjà entendu la phrase
ci-dessus. Cependant, quand vous leur demandez pourquoi un système donné «
n’a pas l’air magique », les joueurs sont bien incapable de mettre le
doigt sur ce qui ne va pas. Pour moi, c’est souvent un problème de certitude. La certitude est l’apanage des jeux vidéos : faites un tour de
la manette directionnelle en commençant par le bas, appuyez sur A, et Ryu
balance une boule de feu.
Bien qu’on puisse ressentir une joie viscérale à
répandre une mort digitale sur le dernier jeu « First Person Shooter »,
vos joueurs ont choisi de se joindre à vous pour s’amuser ce soir plutôt
que de retourner à leur console de jeu, ce qui signifie que vous devez leur
fournir un type d’expérience hors de portée des jeux vidéos.
Les romans médiévaux fantastiques sont pleins d’histoires de sorts qui
partent en vrille, de mages qui devraient prendre garde à leur orgueil, d’adversaires
aux pouvoirs étranges et mystérieux.
Pour s’en prendre à la grosse bête du troupeau, la magie dans le
système d20 marche exactement comme dans un jeu vidéo. Il n’y a pas d’incertitude.
Vous connaissez les sorts que vous connaissez. Les effets sont précis et immuables.
Quelques facteurs méta-magiques permettent de varier un peu les résultats,
mais ils ne rendent pas le lancer de sorts très différent du maniement de l’épée
ou du crochetage de serrure.
C’est pourtant dans le mystère que réside l’âme de la magie. Un
certain nombre de systèmes de règles sont entièrement consacrés à ce principe
de base. Ars Magica
suggère que pour maîtriser le pouvoir des arcanes, il faut y passer sa vieà
les étudier. Sorcerer
et Dying Earth
(au niveau Rialto) soutiennent
tous deux que les magies les plus puissantes doivent être extorquées avec
précaution à des entités extra-dimensionelles capricieuses. Unknown
Armies affirme sans équivoque que la magie coûte très cher à ceux qui l’utilisent.
Tous ces jeux de rôles ont une approche beaucoup plus souple de ce qu’un
pratiquant de la magie peut exactement accomplir. En conséquence, on les
présente comme des exemples de ce que devrait être la magie dans le
jeu de rôle.
Je ne joue à aucun de ceux-là, dites-vous ? Moi je dis : aucun
problème ! Voici quelques suggestions qui devraient fonctionner avec n’importe
quel système, y compris ceux mentionnés ci-dessus.
Rien ne se perd, rien ne se crée
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[NdT1 PTGPTBvf propose un article complémentaire,
qui discute du paradigme magique : de
la méthode dans la magie.] |
La première question que vous devriez vous poser à propos de la magie est
: à l’origine, d’où vient l’énergie nécessaire pour lancer un sort ?
[NdT1]
Un univers classique de Advanced Dungeons & Dragons, Dark
Sun , suggère que les
sorts puisent toute leur énergie du monde qui entoure le lanceur, ce qui a eu
de désastreuses conséquences pour l’écologie du monde d'Athas. L’explication
par défaut dans les jeux de rôle méd-fan serait que la magie est un « don
» rare. Cette explication suggère que l’énergie magique provient des
individus dotés du don en question. Ou alors, suppose-t-on, elle provient d’autres
plans d’existence.
Et alors, un sort est un sort, non ? Ce à quoi je réponds : « D’accord,
peu importe d’où vient l’énergie, elle est là maintenant. Qu’arrive-t-il
au sort après coup ? Que devient l’énergie d’un sort auquel on a
résisté ? »
Disons qu’un magicien lance subtilement un sort de suggestion sur un
marchand, dont la tendance naturelle à la suspicion lui est bien utile pour
résister. Le système d20 suppose que le sort se disperse tout simplement.
Mais tout ce que nous savons de l’énergie, c’est qu’une fois qu’elle
est là, elle est là.
On peut admettre que les univers médiévaux-fantastiques n’ont pas à
suivre les préceptes scientifiques de notre monde. Considérez pourtant tout
ce qui découle de cette simple notion. Peut-être que l’on pourchasse les
lanceurs de sort arrivistes, à cause d’une prolifération vaste et
dangereuse de sorts auxquels on a résisté? Comme si les mages détruisaient
la couche d’ozone !
Et si un sort provient d’un individu, que se
passerait-il s’ils partageaient certains traits de la personnalité de leur
lanceur ? Si les sorts d’un magicien étaient, au sens littéral, lui ? Si
tous les sorts étaient conscients ? Après avoir manqué leur cible, que fait
un sort conscient, au juste ?
Il y a toujours un prix à payer
A moins d’être mêlé à une arnaque particulièrement habile, on n’a
jamais rien sans rien. Et pourtant, la libre circulation de la magie semble
être tacitement admise dans beaucoup d’univers de jeu. Mais cela se change
facilement. De plus le prix peut, et devrait, varier d’une personne à l’autre.
Les lanceurs de sort qui doivent sacrifier un être conscient une fois par
mois pour entretenir leurs pouvoirs ne se feront très probablement pas
beaucoup d’amis. Un druide qui doit planter un nouvel arbre chaque jour à
la lisière de sa forêt, aura une vie sociale plus aisée, mais il n’est
pas prêt de partir pour des aventures lointaines.
Les tabous étranges et les comportements anormaux sont monnaie courante
chez les mages ; ceux qui peuvent les supporter par amitié s’en rendront
très vite compte. La question de l’origine de la magie recoupe souvent
celle du prix à payer ; si les pouvoirs magiques proviennent d’entités
inhumaines très puissantes, leur nature aura certainement une influence
énorme sur les lanceurs de sort.
L’exclusivité
Si tout le monde peut faire quelque chose, alors ce quelque chose n’a
rien de si particulier. Les joueurs prendront exprès des personnages
différents, pas seulement pour des raisons stratégiques; tout le monde veut
être sous les projecteurs de temps en temps. Si un autre
Personnage-Joueur peut faire tout comme vous, mais en mieux, vous aurez l’impression
(et probablement à raison) que votre personnage est un peu redondant. Les
joueurs avec un esprit plus tactique se ruent souvent sur ce qu’ils estiment
être les meilleures capacités de combat, alors que ceux qui privilégient la
narration voudront des dons étranges ou attachants qui correspondent à leur
personnage.
Beaucoup de jeux de rôle offrent aux personnages le choix entre une grande
variété de voies d’apprentissage. Feng Shui
utilise des « shticks », d20
des Traits, Exalted des Charmes, etc. Les joueurs, s’ils sont livrés
à eux-mêmes, s’acharneront à choisir la « meilleure » des capacités
proposées pour leur personnage, souvent définie en tant que telle par des
forums sur Internet, sans prendre en considération sa pertinence
dans une campagne donnée. La manière dont vous structurez votre monde peut
vous aider à diriger les choix de vos joueurs pour leur personnages. Elle rendra en
conséquence un grand nombre de capacités « communes » beaucoup plus
rares, et donc sympas.
exemple : l’école de la Dernière Heure
Si un guerrier à la forte carrure se jette sur un ennemi et le fend en
deux dans un jeu d20, les joueurs peuvent immédiatement deviner qu’il a un
Trait ou plus dans la voie d’ « Attaque Puissante ». Puisque cette voie
en particulier est tellement utile aux combattants, elle est assez répandue
dans la majorité des campagnes de D&D. Mais si ce n’était pas
le cas ? Disons que tout le monde peut prendre le Trait « Attaque Puissante
», mais le reste de la voie (« Pourfendre » et autres) n’est pas
disponible pour tous ?
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[NdT2 : dans le défunt Empire & Dynasties
on se souvient que rejoindre
les écoles qui feront progresser votre perso est une aventure secondaire en
soi.]
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Il vous faut un professeur. Les seuls maîtres qui peuvent enseigner la
voie entière appartiennent à un dojo fondé par un Exécuteur Impérial,
appelé l’Ecole de la Dernière Heure. Non seulement c’est le seul endroit
où l’ont peut apprendre la Voie en entier, mais peut-être enseigneront-ils
un ou deux bonus qui ne sont pas disponibles pour qui que ce soit d’autre. Par exemple un enchaînement coup de grâce spécial, des dégâts
supplémentaires avec le kwan daos à deux mains, ce genre de choses.
Maintenant, votre PJ n’a pas seulement la capacité qu’il veut, mais il
peut se vanter d’être un Exécuteur Impérial. [NdT2] Les seuls autres types au
monde qui maîtrisent des Traits du même genre appartiennent à la guilde des
assassins, la Maison des Longs Couteaux, les ennemis jurés de l’Ecole de la
Dernière Heure…
exemple : les Zeniths Courbes
Si une sorcière étend ses mains, marmonne une malédiction, et que sa
victime se transforme devant elle en crapaud, les joueurs de D&D vont
sans doute penser, si ce n’est dire tout haut, « Ah-ah ! Polymorphie !
» En revanche, imaginez un peu à quoi ressemblerait votre campagne si
vous aviez un plan comme le suivant :
Retirez du monde du jeu toutes les sortes de Polymorphie, de changeur de
forme, et de transformations physiques, et donnez-les à un seul groupe à l’exclusion
de tout autre. Une cabale de mages connus sous le nom des Zéniths Courbes, qui
détient le secret de la Rune du Changement. Eux seuls savent se transformer
ou métamorphoser les autres. Les lycanthropes sont, en fait, des individus
maudits ou des descendants d’individus maudits par un membre des Zéniths
Courbes. Ceux qui veulent apprendre les secrets de la Rune du Changement
doivent jurer fidélité à l’un d’entre eux et subir un apprentissage d’un
an et un jour, après quoi on leur peint en travers des mains une série de
puissants tatouages rituels qui s’étendent et se contractent d’eux-mêmes.
Bien sûr, une telle magie déforme l’esprit aussi…
Ce qui était sentier battu devient terra incognita. Lorsque vos
joueurs rencontreront quelqu’un qui a été métamorphosé magiquement, ils
s’y intéresseront immédiatement parce qu’ils sauront qu’un membre des
Zéniths Courbes est passé par là. Bien sûr, cet exemple en particulier
peut ne pas marcher pour une campagne en cours, puisque vous pouvez ne pas
vouloir retirer d’un coup des capacités qui étaient déjà présentes dans
vos parties. Cependant, de nouveaux suppléments sortent tout le temps pour
pas mal de systèmes de jeu, en tout cas pour d20, et la plupart d’entre eux
comportent de savoureux joujous magiques que vous pouvez rendre exclusifs de
cette manière.
En plein essor, ou en voie d’extinction
L’exclusivité se cache souvent derrière l’excuse d’être le premier
ou le dernier d’une lignée ou d’un groupe. Si c’est le dernier, cela
sous-entend un sentiment de nostalgie pour la disparition de quelque chose qui
était autrefois grandiose. Si c’est le premier, cela génère souvent l’espoir
de la naissance de quelque chose de nouveau et de merveilleux.
En évoquant ces thèmes, qui apparaissent souvent dans les romans de fantasy,
vous attirez vos joueurs dans des reflets conscients ou inconscients d'autres
oeuvres . Faites que les PJ rejoignent le dernier groupe
hétéroclite des Chevaliers de la Sphère d’Ivoire complètement décimés.
Cela peut complètement changer le ton de votre campagne : il faut qu’ils
luttent pour maintenir de vieux idéaux qui s’effacent peu à peu. De même,
l’ambiance change si vos PJ découvrent un nouvel ordre d’aventuriers
philosophes, consacré à la découverte de la vérité, où qu’elle soit.
Dans les deux cas, l’avenir du groupe devrait être incertain, permettant
aux PJ de sauver ou de détruire leurs nouveaux alliés par leurs actions.
Les concepts de fond que je viens de décrire fonctionnent dans de
nombreuses campagnes, peu importe qu’elles soient médiévales-fantastiques,
de science-fiction ou une combinaison des deux. Vous pouvez remplacer le mot
« magique » par « psionique » dans la plupart d’entre elles sans aucun
problème. Par dessus tout, bousculez les présupposés de vos joueurs et
essayez d’abandonner les vôtres. L’expérience de jeu n’en sera que
plus riche.
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T.S. Luikart vit à l'étroit dans maison qui ressmble plus que
vaguement à une bibliothèque de jeux de rôles. Il est un contributeur (ou
un complice, selon votre point de vue) ou créateur de JdR comme UnderWorld,
The Last Exodus,
Promised
Sands , et Skull
& Bones .
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Copyright © 2004 , tous droits
réservés.
Traduit par Pierre Buty. Tiré de Daedalus winter 2004
p.95, avec l'aimable autorisation de
Matt Snyder. Aucune reproduction
n'est permise sans l'accord de l'auteur et de PTGPTBvf.
La version originale
peut être consultée sur le site
de Chimera
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