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Un demi-siècle avant même que je naisse, les gens
écoutaient la radio.
Cela pourrait ressembler à l’introduction la plus ridicule d’un article
sur le jeu de rôles pour deux raisons. Les gens écoutent toujours la radio,
non ? Et, qu’est-ce que cela a à voir avec les jeux de rôles ? Non, nous
ne l’écoutons plus. J’ai passé la moitié d’une décennie dans le
monde de la radio, et j’y ai bien réfléchi. Nous n’écoutons pas la
radio de la manière dont les gens l’écoutaient.
L’essor et la survie de la radio
A l’époque, la commission fédérale des
communications [FCC] pensait que les stations de radio ne devaient pas
retransmettre de la musique enregistrée. Les stations de radio devaient
plutôt fournir des programmes que les gens ne pouvaient pas déjà avoir chez
eux. L’accent était alors fortement mis sur les émissions en direct,
allant des groupes jouant à la salle de bal de l’hôtel du coin, aux
événements sportifs et aux jeux. Il y avait aussi à la radio des
feuilletons et des programmes que nous appellerions maintenant des « sitcoms
», des émissions de variétés, et des journaux d’informations - les types
de programmes prépondérants à la télévision.
La radio était devenue un élément essentiel dans la vie de beaucoup de gens
dans les pays développés. Les gens se rassemblaient autour du poste familial
pour écouter [l’animateur] Jack
Benny, [le feuilleton] The
Shadow [1937-1954], [la comédie (1935-1959)] Fibber
McGee and Molly. Ils planifiaient leur emploi du temps en fonction des
émissions, et s’asseyaient à coté de la radio pour écouter.
L’essor de la télévision mit fin à
cela. A la fin des années 1950, les gens traitaient le téléviseur comme la
radio quelques années plus tôt : ils venaient pour regarder leurs spectacles
préférés. Je me rappelle clairement ma mère nous appeler, tous les
dimanches soirs avant de nous coucher, pour nous rassembler autour de la
télévision et regarder le merveilleux monde de Disney..
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[NdT1 : toutes les
semaines depuis 1950 un épisode de Unshackled! (« désentravé »)
raconte comment quelqu’un s’est converti au protestantisme. Ce programme
inspira Jack Chick, que nous connaissons pour sa BD
anti-rôliste] |
Les gens n’utilisaient plus la
radio de cette façon. Les programmes radios disparurent jusqu’à ce que le
programme chrétien racoleur Unshackled
[NdT1] reste le dernier des programmes radiophoniques de l’ancien temps.
Comme les artistes de toute sorte tentèrent de passer du
vieux média au nouveau, un conseil devint un lieu commun : « imaginez la
télé comme la radio avec des images
». Cet adage devint si commun que plusieurs décennies
plus tard un commentateur radio railla un présentateur de télévision qui
aurait pu concevoir la radio comme la télévision, sans les images.
La plaisanterie, et ce que je veux dire, c’est que la télévision n’est pas
la radio avec des images. C’est un média complètement différent en tous
points. La télévision peut faire des choses que la radio ne peut pas aussi
facilement. Notre génération peut reconnaître bien des chefs d’Etat
nationaux ou étrangers parce que leurs visages sont incrustés dans le coin de
l’écran durant le journal du soir. Nous savons où se déroulent les guerres
et bien des batailles parce qu’il y a une carte derrière le commentateur. Les
journaux modernes et les chaînes d’information ont appris que nous pouvons
assimiler une grande masse d’informations plus rapidement qu’un
présentateur peut nous en donner ; aussi pendant qu’un journaliste parle, il
y aura parfois un ou plusieurs bandeaux défilant au bas de l’écran,
communiquant davantage d’informations. Nous pouvons diffuser des programmes
étrangers en version originale avec des sous-titres. Les « tartes à la crème
» et autres gags visuels sont devenus la base des comédies de situation, des
scènes d’action ponctuent les films, des clips vidéo accompagnent la musique
- toutes choses qui ont besoin de la vue pour être appréciées. La
possibilité de projeter des images sur l’écran a complètement changé ce qu’il
était possible de faire.
Le plus intéressant dans tout cela, c’est que ça a complètement changé la
radio. Les gens arrêtèrent de l’écouter. Les familles ne se
rassemblèrent plus autour du poste radio pour écouter les feuilletons
radiophoniques, et leur production s’arrêta. Beaucoup devinrent des
émissions de télévision. Pour survivre, la radio devait compenser. Elle
devait trouver les choses qu’elle pouvait faire et que la télévision ne
pouvait pas. C’est alors que la musique enregistrée a conquis les ondes.
Quand je me suis mis à la radio, la grande majorité de la radio était de la
musique ou de la libre-antenne [NdT : lorsque les auditeurs appellent l’animateur
et s’expriment à l’antenne], et la grande majorité des stations faisaient
l’un ou l’autre.
Les gens ont arrêté de percevoir la radio comme un média pour les
feuilletons. La radio avait trouvé ses points forts, et sa force étaient que
les gens pouvaient l’écouter quand ils ne pouvaient pas être attentifs. Vous
pouvez écouter la radio en conduisant, au travail, et en faisant les courses.
Les gens n’ont plus eu de programme radio favori. Ils ont eu des stations de
radio favorites. Une station passe toujours les nouvelles. Quelques-unes passent
des émissions de libre-antenne à la chaine ; il y a une radio pour la musique
classique, peut être une pour le jazz, et des douzaines pour les genres de
musique plus populaires. Nous ne réglons pas la radio pour suivre des
émissions, nous la réglons sur notre station.
La leçon à tirer pour le jeu de
rôle
La deuxième raison pour laquelle l’introduction de
cet article paraîtrait ridicule, c’est que le rapport entre des auditeurs de
radio et le JdR n’était pas évident. Maintenant cela devrait être plus
clair. La radio en était encore à ses débuts lorsque la télévision a
émergé pour la concurrencer. Cependant, c’est grâce à ce défi qu’on a
pu innover et découvrir les points forts de la radio qui lui ont permis de
rester dans la course.
Nous, qui jouons et créons des JdR, sommes dans une situation assez
équivalente. Notre loisir est encore jeune, encore inconscient de son propre
potentiel, et fait face aux défis d’autres média qui ont leurs racines dans
le JdR, et le dépassent dans une certaine mesure. Les jeux de cartes à
collectionner et la renaissance des jeux de plateaux offrent des stratégies
complexes durant des parties hautes en couleur. Les JdR sur ordinateurs et
consoles utilisent leur capacité de calcul et d’effets visuels pour
améliorer l’expérience du jeu. La réponse pour le jeu de rôle est la même
que celle de la radio : reconnaître les domaines dans lesquels le média
excelle, et travailler à soutenir et promouvoir ceux-ci.
Je n’ai pas toutes les réponses, cependant, les simulations informatiques,
les jeux de plateau complexes et les jeux de cartes à collectionner n’abordent
pas aussi bien quelques aspects que ce que j’ai souvent appelé « vrais jeux
de rôles ». En les identifiant, en les promouvant en tant que points forts de
notre loisir, et en dirigeant nos choix de créations et de jeu dans ces
directions, nous pourrons réussir à apporter une vitalité nouvelle à notre
passe-temps et à attirer des gens qui ne le connaissent que vaguement.
Mettre l’accent sur l’imagination
Les JdR requièrent et encouragent un haut niveau d’imagination.
A l’écrit, c’est souvent ce qui n’est pas décrit qui est le plus
terrifiant ou le plus beau. C’est la même chose dans nos parties
: nous pouvons imaginer ce que nous ne pouvons pas voir,
en utilisant la tournure de notre esprit pour fournir les détails qui nous
conviennent. Ainsi, un aspect des parties de JdR que nous devrions encourager
est de laisser notre cerveau apporter les images. Cela a toujours fait partie du
JdR, mais face aux défis de jeux qui pèchent sur ce point il est temps de
jouer sur nos points forts.
Cette capacité à provoquer n’importe quoi à l’intérieur de notre
imagination donne aux JdR une opportunité de force créative rarement égalée.
J’affirme que nous n’avons ni besoin ni envie des images des monstres, parce
que de vagues descriptions d’entités effrayantes sont plus puissantes pour l’imagination
que des photographies. Combien de pattes et d’yeux avait Shelob et qu’elle
était sa taille exacte ? Tolkien ne nous donne pas ces détails. Elle est la
mère de toutes les araignées, mais elle a bien plus de pattes velues et
mobiles que n’importent laquelle de ses enfants, et elle est assez grande pour
écraser un Hobbit sous elle. C’est plus effrayant qu’une image, car cela
nous demande de remplir les vides avec nos propres peurs. C’est quelque chose
que nous pouvons faire avec les Jeux de Rôles et que les autres jeux ne peuvent
pas réaliser, ou au moins ne peuvent pas faire aussi facilement.
Le caractère des personnages.
Les JdR ont aussi des avantages dans la description et
l’évolution du personnage, que d’autres jeux ne peuvent pas égaler.
« La personnalisation » signifie que nous pouvons peupler nos mondes avec des
entités imaginaires qui ressemblent à des gens. Pas uniquement physiquement -
peut-être qu’elles ne ressemblent pas particulièrement à des humains - mais
nous avons la possibilité de les rendre riches et diverses, chacune étant
unique.
Bien des jeux mettent l’accent sur ce que le personnage peut faire ; c’est
ce que n’importe quelle sorte de jeu peut proposer, même un simple jeu de
plateau. A la question de savoir ce qu’un personnage peut faire, un JdR peut
certainement offrir d’avantage d’options que ne pourra en offrir disons, un
jeu informatique, mais des améliorations technologiques finiront par dépasser
une différence de niveau. La personnalisation, - qui le personnage
est-, est une différence de genre. Les nuances de la
personnalité, les manies et les peurs, comme les rêves et les désirs, sont
plus difficiles à inclure ; mais une des forces des JdR est que nous pouvons
les inclure, et plus d’efforts dans ce domaine devrait produire plus de jeux
fascinants peuplés de personnages plus intéressants.
L’évolution [development] du personnage est un aspect de la
description qui est souvent survolé. Les personnes réelles grandissent et
changent avec le temps, et les meilleurs personnages des grandes histoires en
font autant. A travers les choix et les expériences, le personnage dans l’univers
de jeu peut devenir quelqu’un de différent
; pas seulement plus compétent, mais différent parce que
plus mûr, plus parano, ou un autre changement. Ceci est une évolution du
personnage. Il y a des choses que nous faisons maintenant que nous n’aurions
pas faites avant, et d’autres choses que nous avons faites que nous ne rêvons
plus de faire maintenant, parce qu’avec le temps nous avons changé. C’est
arrivé à cause de ce que nous avons choisi, et de ce que nous avons
expérimenté suite à ces choix. Les JdR peuvent faire cela. Les autres jeux ne
le peuvent pas aussi bien, voire ne le peuvent pas du tout.
Créer des possibilités :
La création d’histoires fait partie des choses que
les JdR réalisent et que les autres jeux ne peuvent pas. Bien sûr beaucoup d’autres
jeux racontent des histoires. Les jeux vidéo d’aventure et les jeux de
plateau suivent souvent la trame d’une histoire, et quelquefois les résultats
de ces histoires sont déterminés par les succès et les échecs des joueurs.
Pourtant, c’est une pâle imitation de la création d’histoires.
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[NdT2 : nos traductions de la
série sur les Jeux d’Histoires explicite cette démarche]
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Les JdR nous donnent le pouvoir de développer
des histoires avec des thèmes puissants, et de les façonner de bien des
manières dans bien des directions. Ce domaine a été beaucoup exploré,
notablement grâce à Sorcerer
et le travail de son auteur Ron Edwards. Les JdR tirés de ce modèle ramènent
cet atout du jeu de rôle en plaçant consciemment la création d’histoire au
premier plan, pas seulement du texte, mais du système lui-même.[NdT2]
L’une des opportunités que les JdR « véritables » offrent plus facilement que les autres : la résolution
créative des problèmes. Beaucoup de jeux présentent des problèmes à
résoudre, mais dans les JdR il est possible de présenter des problèmes qui n’ont
pas une solution unique, et de laisser les joueurs créer eux-mêmes les
réponses. La plupart des autres types de jeux posent des problèmes pour
lesquels il n’y a qu’une solution, ou une courte liste d’options
possibles, et que les joueurs doivent faire ou échouer. Les JdR ont la
capacité d’aller plus loin, pour donner aux joueurs l’opportunité de
trouver leurs propres réponses aux problèmes. Cette différence est un
avantage, et quelque chose qui peut être mis en valeur durant le processus de
création de JdR, et pendant la partie.
Dans la même optique, je mentionnerai la flexibilité. Les JdR peuvent tout
faire. Il y a des jeux qui repoussent les limites de ce que signifie « tout »,
en explorant des idées auparavant inédites, prouvant qu’on peut le faire.
Ceci contribue grandement aux univers des Jeux de Rôles
; mais il y a des JdR qui font bien plus que cela. Universalis
change les définitions du personnage et du décor de manière à ce que toute
chose puisse être contrôlée et altérée par les joueurs. Multiverser
a permis des expériences
de jeu aussi diverses qu’un gigantesque terrain de jeu, une boucle temporelle,
des océans vastes et respirables, et la naissance. Des créations qui
permettent aux joueurs de créer et d’explorer des mondes que les créateurs n’avaient
jamais imaginés. Elles repoussent les frontières et proclament les forces de
ces JdR.
L’implication interpersonnelle
Enfin, les jeux de rôles sont fondamentalement des formes
complexes d’interaction sociale structurée se produisant à l’intérieur
d’interactions sociales plus générales. Autrement dit, nous nous rassemblons
pour jouer comme une occasion d’apprendre à se connaître les uns les autres.
Les JdR ont une capacité supérieure à celle de la plupart des formes de jeux
interactifs en ce domaine. Ils nous donnent, individuellement, le pouvoir d’explorer
qui nous sommes et qui nous pourrions être, et ce faisant ils nous donnent la
capacité d’exprimer les aspects de nous-mêmes que nous aurions autrement
laissés enfouis.
Les JdR sont par essence des interactions sociales au travers
desquelles les joueurs incarnent des personnages qui interagissent socialement.
Ils sont une opportunité incroyablement riche d’explorer les relations
sociales, réelles et imaginaires, que peu d’autres formes de divertissement
font seulement mine d’approcher.
En étudiant les possibilités de ces quelques forces
identifiables des JdR, comparées à des jeux similaires, j’ai un grand espoir
pour l’avenir de notre loisir. Comme la radio a fait face aux défis de la
télévision, si nous reconnaissons et adoptons ces points forts et d’autres,
nous pouvons construire un futur pour notre passe-temps, qui ira au-delà de ce
que nous avions donc imaginé jusqu’ici.
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