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Cet article est inspiré de deux sources majeures : HeroQuest
et The World of the Dark Crystal [1]. Je vous recommande fortement ces
deux livres. Ceci dit, cet article provient de mon observation personnelle que :
- les mythes dans les parties de HeroQuest peuvent devenir un élément du décor,
une histoire ;
- alors que le monde de Glorantha [2] consiste à : vivre un mythe, vivre dans
un mythe, et la création d’un mythe en cours du jeu.
En pensant au “mythe vivant” de Glorantha, j’ai commencé à penser à la
nécessité de laisser assez « d’espace » dans les mythes pour
permettre aux joueurs de créer leurs propres légendes. En plus de cela, j’ai
également pensé à la nécessité de faire apparaître des thèmes.
Mettre du mythe dans vos parties
Nous savons tous à un certain niveau ce qu’est un mythe, mais ce n’est pas
aussi facilement transposé aux jeux de rôles. Nous avons peut-être tous les
éléments du mythe, tels que la magie, les monstres et les contrées étranges,
mais, quelque part, l’essence du mythe est perdue. Dans le même temps, nous
voyons des films – Star Wars, Gladiator
ou Matrix – produire de nouveaux mythes sous nos yeux et cela parfois
sans avoir la plupart de ces éléments. Assurément, ce n’est pas l’élément
fantastique qui définit le mythe. C’est plutôt la manière de le présenter.
Voici comment apporter cela à vos parties.
Le Thème
Tous les mythes sont fondés autour de thèmes. Nous pouvons reconnaître des
personnages mémorables et des histoires extraordinaires dans les récits de
mythes, mais ce sont les thèmes que nous lions à un niveau plus profond, des
thèmes qui donnent au mythe un sens plus fort. Les thèmes abstraits sont
courants dans la mythologie. Nombre de mythes sont brodés avec des récits de
lumière, de ténèbres, de Bien, de Mal, de vie, de mort, de renaissance, de
logique, de passion, de rédemption, de corruption, d’innocence et plus
encore. Si vous voulez créer du mythe, vous devez créer du thème.
Introduire le thème
Le thème dans les jeux de rôle détermine « de quoi parle le jeu ».
Je vous recommande de vous asseoir en groupe et de vous mettre d’accord sur
deux ou trois thèmes fondamentaux dans vos parties. A ce stade, vous êtes
simplement en train de décider quels thèmes sont actifs et si un groupe ou un
personnage donné agissent comme représentants de ces thèmes. Vous n’êtes
pas en train d’émettre de jugement sur les thèmes. C’est mieux si les
personnages-joueurs restent « indécis » et ne soutiennent pas déjà
un des thèmes à coup sûr. Considérez ce stade simplement comme l’annonce
du cœur du conflit, pour qu’en tant que groupe vous vous accordiez sur le thème
à explorer dans la partie.
Exemple : Les membres d’un groupe décident qu’ils veulent avoir
les thèmes de la Vie, de la Mort et de la Renaissance. Aucun ne prend de décisions
telles que « Toutes les trois sont nécessaires à l’existence »
ou « La Mort viendra à nous tous » ou autres dans ce goût.
Toutes les idées de ce genre viennent plus tard, durant la partie elle-même.
Cependant, le groupe décide qu’un mouvement politique en
particulier représente la Mort et qu’un groupe d’indigènes représentent
la Vie, le conflit entre les deux groupes étant le reflet du conflit thématique.
Utilisation des thèmes
Il est évident qu’en cours de partie, la plupart des jeux de rôles
n’ont pas de règles explicites pour encourager les gens à utiliser les thèmes.
Soit les joueurs le font, soit ils
ne le font pas. C’est le moyen le plus simple, mais aussi le plus difficile,
de faire surgir les thèmes dans les parties.
Votre groupe peut envisager des règles maison pour encourager les thèmes. Le
moyen le plus simple pour cela est de faire en sorte que le maître du jeu récompense
les joueurs à chaque fois qu’ils avancent le thème. Ou le maître du jeu peu
offrir des bonus (points d’expérience, points d’héroïsme, karma, etc.)
pour chaque jet impliquant le thème choisi par le groupe. Certains jeux, tel
que The Riddle of Steel ou The
Questing Beast [3] ont ces règles intégrées à leur système en tant que
composantes du jeu.
Exemple : un personnage-joueur utilise la magie et ramène un ennemi
du seuil de la mort. Le personnage dit : « Tu es mort. Le lien qui
te reliait à ton maître est rompu, car tu as donné ta vie. Cette vie que
tu as dorénavant est la tienne, libre de toute obligation. Trouve qui tu es.
Vis ta vie. »
Le maître du jeu considère cela comme étant une utilisation exceptionnelle
du thème, sans parler de l’important retournement des événements dans la
partie. De façon appropriée, il récompense le joueur avec une quantité
importante de points [d’expérience].
Thèmes personnels
Les personnages devraient être construits autour de thèmes personnels. En tant
que groupe, vous devriez tous vous réunir et créer vos personnages ensemble,
parlant librement et échangeant des idées. Au lieu de vous lancer dans le jet
de dés et de jongler avec les points [de création], vous devriez commencer
avec un thème personnel. Ce thème peut être une variation sur l’un des thèmes
principaux ou il peut être un thème neutre à interpréter à la lumière des
thèmes principaux.
Là encore, le maître du jeu peut choisir de récompenser systématiquement
l’utilisation d’un thème personnel. De nombreux JdR font du thème
personnel un point central de leur système, dont Sorcerer, Dust Devils et Everway
[4].
Exemple : un joueur choisit de créer son personnage autour du thème de la
Rédemption. Alors qu’il reste proche du concept de Renaissance, il indique
également une forme de culpabilité, de péché ou de corruption, une forme
de Mort.
Son personnage est un prêtre qui a perdu la foi. Un autre joueur décide de
contraster le concept avec celui du Fanatisme ; [il crée] un zélateur
inébranlable dans ses croyances, alors qu'il ne fait que paver la route vers
l'enfer de ses bonnes intentions. Peut-être le fanatique sera à même de
montrer au prêtre le chemin de la Rédemption, ou peut-être le conduira-t-il
droit vers la damnation. Peut-être que le prêtre sera capable d’apporter
la Rédemption au fanatique. A elle seule la situation créée par ces deux
personnages-joueurs rend la partie très intéressante.
Passé et Futur, les chaînes du destin
Dans la mythologie, tout a un passé et tout ce qui est important a un
avenir. Le passé dans le mythe est le miroir du futur, soit en présageant ce
qui pourrait arriver soit en mettant en garde contre cela. Dans vos parties,
faites en sorte que tous les personnages-joueurs soient liés à une notion
d’histoire. Même si tous les personnages ne sont peut-être pas conscients de
leur histoire, elle doit toujours exister. Les joueurs devraient en avoir
conscience, mais pas forcément leurs personnages.
Le passé pointe vers le futur. Ce peut être une prophétie littérale qui doit
être accomplie ou empêchée de se réaliser. Cela peut être comme la légende
d’Atlantide se détruisant elle-même avec un pouvoir interdit, utilisée
comme présage pour empêcher la récurrence [de cet évènement]. Cela peut être une légende pleine
d’espoir d’un messie qui revient tous les dix mille ans.
Exemple : « Cette épée a tué le plus grand roi que le monde ait
jamais connu et le plus grand tyran que la monde ait jamais vu et désormais
elle repose entre tes mains. Cette épée coupe les fils du destin. Comment
l’utiliseras-tu ? »
En examinant cet exemple, il est plutôt évident que le personnage
rencontrera probablement des individus plus puissants et sera en mesure de
modifier l’histoire soit en leur laissant la vie, soit en la leur enlevant. Le
passé annonce le futur…
Certains JdR offrent aux joueurs la possibilité de « mettre en place
» le type d’événements qui peuvent survenir en jouant. Sorcerer,
The Riddle of Steel et Dust
Devils permettent tous cela en autorisant les joueurs à définir des points
névralgiques pour les conflits de leurs personnages. Les règles peuvent
facilement étayer l’idée d’une destinée ou d’un avenir conspirant à
mener le personnage à un moment de vérité.
Le chaînon manquant – Le présent
C’est là que les choses deviennent complexes. Tout ce qui précède est de la
préparation pour une vraie partie. Pour que le mythe soit mis en avant dans
votre façon de jouer, vous devez être capable d’utiliser les thèmes
mentionnés ci-dessus, mais également de laisser un « espace » dans
lequel le groupe pourra vraiment jouer. Vous pourriez dire que la mythologie que
vous avez développée ne peut être un produit fini ; elle doit libérer
de la « place » pour que vos héros y gravent leurs légendes, du
triomphe à la tragédie.
Les protagonistes sont importants
Dans un mythe, les décisions des protagonistes ont un impact important. Le succès
et l’échec ont chacun des conséquences. Il n’y a pas d’actions
insignifiantes. De la même manière, le MJ doit lâcher les personnages-joueurs
dans des situations significatives. Les personnages-joueurs doivent faire des
choix difficiles et les situations doivent mettre quelque chose de décisif en
jeu. Les conséquences de ces choix pourront survenir de manière inhabituelle
ou inattendue, ou encore peut-être qu’elles auront des effets plus importants
que ceux escomptés.
Exemple : Dans un exemple ci-dessus, le joueur choisit de
ressusciter un vil personnage . Bien plus tard, celui-ci revient sauver le
personnage d’une situation périlleuse. « Tu as sauvé ma vie, j’ai
sauvé la tienne. Nous sommes quittes. A notre prochaine rencontre, je
serai à nouveau ton ennemi ! » L’action passée du
personnage-joueur revient à un moment crucial.
Une croisée des chemins
Dans tous les mythes, il y a une croisée des chemins. Alors que de
nombreuses décisions pertinentes sont prises au long du périple, à
l’approche du point culminant de l’histoire, une « ultime » décision
doit être prise. C’est un choix final impliquant les forces abstraites qui
oeuvrent. Soit l’une d’entre elles prend le dessus, soit une forme de réconciliation
apparaît. Pour que les joueurs soient capables de créer leur mythe, ils
doivent être capable de choisir librement comment il surviendra.
La croisée des chemins est un moment piège parce que ce que vous voyez comme
une « décision majeure » n’est peut-être pas, en réalité, le
vrai nœud du conflit pour votre personnage. Le joueur peut faire campagne en
faveur d’une décision qu’il considère comme être le véritable centre
d'intérêt de son personnage. C’est pourquoi les règles de certains jeux de
rôles offrent du renfort pour permettre à la fois aux joueurs et aux maîtres
du jeu de vraiment s’accorder sur la « cote » qu’ont les décisions
sur « l’échelle dramatique ».
Exemple : Dans l’exemple cité plus haut, le joueur a créé un prêtre
qui a perdu sa foi et dont le thème est la rédemption.
A ce moment, le prêtre est au sol, vaincu et meurtri, à la merci de son
ennemi. Le Félon lui demande de lui révéler où les indigènes ont caché
leur artefact sacré. Le prêtre lève les yeux et dit : « Je ne sais
peut-être pas si Dieu me vois encore, mais au fond de mon cœur je sais ce qui
est bon et mauvais. Et cela me suffit. Tu ne sauras rien! ». Il se relève
brusquement et saisit une dague dans la ceinture de son adversaire puis se
poignarde avant que l’autre n’ait pu faire quoi que ce soit.
Ici, nous avons la Mort, mais accompagnée de la Rédemption. A la fois le thème
principal du groupe et le thème personnel du joueur se rejoignent en une seule
décision ultime.
Conséquences
La décision ultime doit posséder un plus grand poids et une plus grande
importance que simplement l’action seule. Une telle décision doit récompenser
le joueur en propageant ses conséquences. Le choix du joueur doit être
signifiant. Généralement avec la décision ultime, tout ce qui était en jeu
jouit ou souffre donc des conséquences.
Nous voyons ce dénouement dans des films populaires. Dans le film d’animation
Princesse Mononoké, la terre est sauvée.
Dans Dark Crystal, le monde est guéri.
Dans Tron, le Système est libéré.
Dans tous ces cas, nous assistons aux conséquences fantastiques qui sont le résultat
des décisions des personnages. Voilà ce que vous devriez rechercher dans vos
parties.
Exemple : bien que dans l’exemple précédent le prêtre soit mort, sa mort n'a pas été
vaine. Le scélérat se démène, mais il ne trouve toujours pas l’artefact
sacré. Il ne découvre la tribu indigène que lorsqu’il est trop tard pour
atteindre son but ; la tribu accomplit son rituel et soigne la terre. Le
coeur du sbire (qui avait été ressuscité dans un premier exemple) chavire
au dernier moment. Il se sacrifie pour stopper son maléfique employeur. Le
personnage-joueur qui avait sauvé l’homme de main arrive à temps pour ses
dernières paroles : « Je ne sais pas si Dieu me voit, mais ton ami
avait raison. Je sais ce qui est bon et mauvais… Même en essayant de faire
ce qui est bien, je choisis toujours la mort. »
« Non, tu as bien choisi, » répond le personnage-joueur. « Tu
as bien choisi. »
Les larmes coulent, on entend une triste musique, mais la terre est sauvée.
La mort devient renaissance qui devient vie. Hourra ! Une partie profonde
et un final plein de sens que tout le monde partage. C’est le mythe en action.
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