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Votre campagne est écrite et prête à démarrer.
Une intrigue s’étalant sur deux ans attend les joueurs. Elle les mènera
jusqu’aux confins de l’univers ; les mettra en contact avec d’étranges
créatures exotiques ; changera à jamais le destin de l’humanité.
Et tout commence avec un petit garçon, pleurant dans la rue. Quelques mots de réconfort
et d’attention de la part des joueurs les mèneront vers un mystère plus
grand, plus marquant encore que ce qu’ils auraient pu imaginer.
La partie commence :
MJ : « Bon. Vous descendez la rue qui va de l’entrée du
spatioport au bar New Galactica. Vous remarquez un petit garçon accroupi
pleurant sous une voiture antigrav garée sur le côté.»
Joueur 1 : « J’vais dans l’bar là bas, voir si j’peux pas
m’trouver une de ces putes ! »
MJ : « Et pour le petit garçon ? »
Joueur 1 : (haussant les épaules)
« Quoi le petit garçon ? »
Certaines campagnes ne durent pas très longtemps.
Cependant, vous analyserez probablement cet exemple en vous disant qu’il y a
clairement un écart entre ce que le personnage voulait et l’accroche que le
MJ proposait, et que juste de petits ajustements seraient nécessaires pour
rectifier le tir.
Vous pourriez suggérer cela :
MJ : « Bon. Vous marchez le long de la rue qui va de l’entrée
du spatioport au bar New Galactica. Vous remarquez une fille avachie sur le siège
conducteur d’une voiture antigrav garée sur le côté. C’est une jeune
adolescente aux cheveux blonds qui lui descendent jusqu’aux épaules. Elle
serait jolie sans les larmes qui lui coulent sur le visage. Elle semble vulnérable. »
Joueur 1 : « Je m’approche et toque à la vitre conducteur. »
MJ : « Elle lève les yeux, met une seconde à te remarquer, puis presse
le bouton pour baisser la vitre. »
Joueur 1 : « Je dis :
‘Eh, poupée, qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que Jimbo peut rajouter
un sourire sur ton visage ? »
Et c’est parti, vous dites-vous, c’est réparé, la voilà l’entrée en
matière. Ouais, carrément !
Parce que dès qu’elle expliquera à Jimbo que, oui, il peut la faire sourire,
en allant dans l’entrepôt qui sert de base à l’organisation des truands
menaçant son père, et en leur disant très fermement de laisser Papa
tranquille…
… Jimbo aura déjà taillé la route.
Vous pouvez adoucir encore un peu l’amorce. Peut-être est-elle :
a) Un peu réticente à parler des problèmes de son père à un parfait étranger.
b) Sexuellement disponible.
Cela fera se dérouler les choses sans problèmes pour un temps. Mais, plus
tard, dans la chambre d’hôtel de Jimbo, alors qu’elle sera dans ses bras,
apaisée par la douce sensation de bien-être qui suit l’acte sexuel, et lui
parlant des terribles problèmes dans lesquels est son père…
… Jimbo partira.
(En fait, puisque c’est sa chambre d’hôtel, il la jettera probablement
dehors, et laissera la pauvre gamine ramasser ses sous-vêtements éparpillés
dans le couloir)
Reconnaissez-le. Jimbo est là pour rafler la mise. Il ne marchera jamais avec
une telle accroche.
Le problème
Construire des intrigues crédibles et plausibles est déjà assez difficile,
lorsque c’est pour une fiction, et ici il n’y a qu’un seul cerveau impliqué.
Mais jetez-y une bande de joueurs chacun avec ses propres idées, et ce sera
comme essayer d’écrire un roman en groupe d’écriture.
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[NdT : ‘Game Designers’ Workshop’
(1973-1996), éditeur entre autres de Traveller,
JdR de Space Opera aux multiples suppléments] |
Vous pouvez très bien continuer dans la foulée et faire une campagne qui
serait simplement cinq quinquagénaires, anciens militaires et touristes sexuels
testant toutes les maisons closes dans ce secteur de la galaxie. (Enfin un supplément
que GDW n’a pas publié…[NdT])
Mais vous ne voulez pas de cette campagne, n’est-ce pas ?
N’est-ce PAS ?
Bien. Content d’avoir résolu ça.
Motivations
Le problème ici concerne les motivations des participants engagés. C’est
compliqué parce qu’il y a deux sortes de motivations :
-
La motivation du personnage (ce que ce personnage veut accomplir et éprouver
dans cette campagne).
-
La motivation du joueur (ce que le joueur veut faire ressortir de la partie,
autrement dit : ce pourquoi il joue).
Examinons-les séparément.
1.Motivations des
Personnages
Le fait le plus important concernant la motivation des personnages est que
nombre d’entre eux n’en n’ont pas. Laissez-moi expliquer.
Certains joueurs jouent chaque personnage comme une personne différente, avec
sa propre personnalité et ses propres motivations. Mais beaucoup d’autres
joueurs interprètent simplement leurs personnages comme un prolongement
d’eux-mêmes.
Dans ce cas, les motivations du personnage sont identiques à celles du joueur
(ce dont on parlera plus loin).
Donc cette section ne s’applique qu’aux joueurs qui créent un personnage
avec ses propres motivations.
1.1 Qu’Est-Ce Que Ca Signifie ?
Les joueurs qui créent des « personnages » posent en fait moins de
problèmes du point de vue des motivations, tant que vous obtenez les
motivations adéquates avant que la campagne ne commence.
C’est très simple, tellement simple en fait que je n’arrive pas à penser
à quelque chose d’intéressant à dire, aussi vais-je faire remarquer les évidences
et poursuivre vers la prochaine section.
Définissez les motivations requises pour votre intrigue et dites aux joueurs de
créer des personnages avec ces motivations.
Si votre campagne nécessite cinq gars honnêtes qui, s’ils sont témoins de
quelques torts, s’évertueront directement à les réparer, alors soyez sûrs
que vos joueurs créent d’honnêtes gars.
Bien, ayant discuté des personnages, voyons du côté des joueurs.
2.Motivations des
Joueurs
Il y a plusieurs types de joueurs différents. Arrêtons-nous sur certains des
problèmes récurrents.
2.1 Le Fantaisiste
Le fantaisiste veut devenir ce qu’il aurait réellement aimé être. Ce qui,
en soi, n’est pas rare, si ce n’est que les films préférés du fantaisiste
sont généralement des films d’action américains qui nécessitent un âge
mental de 12 ans pour être appréciés (c'est-à-dire 12 ou moins).
Il aime également les films d’arts martiaux, mais passe sur l’intrigue en
vitesse accélérée pour ne regarder que les scènes de combat.
Le fantaisiste n’a généralement qu’une petite idée du genre ou de
l’ambiance. Il considère tout jeu comme si c’était de l’heroïc
fantasy, et est complètement dérouté lorsque quelque chose va mal.
Voici quelque chose qui est arrivé dans une partie dans laquelle j’ai joué.
Visualisez la scène. C’est le futur, sur un champ de bataille
post-apocalyptique. Des rayons laser d’une puissance terrifiante lacèrent
sans répit le paysage, alors que des robots géants de la taille de
gratte-ciels luttent dans un conflit titanesque.
Une silhouette avance rapidement à travers la zone, équipée d’une armure de
combat sophistiquée. Il est seul. Ses quatre compagnons sont à ce moment précis
tapis dans un bunker en béton à quelque trente kilomètres de là ; ce
n’est pas leur guerre, et ils pensent que leur compagnon est un con à vouloir
y aller.
Mais lui pense autrement. Parce qu’il SAIT qu’un homme peut faire la différence.
C’est alors qu’un laser le frappe
de plein fouet. S’il ne portait pas cette armure de combat, il aurait été
vaporisé en un instant, mais bien que sa protection soit totalement détruite,
le laissant nu, il s’en sort avec quelques brûlures mineures. Le laser était
juste assez puissant pour détruire son armure. S’il l’avait été légèrement
plus, cela l’aurait tué.
(Si le dé de dégâts avait indiqué un point de plus, comme 38 au lieu de 37,
ce point aurait traversé son armure et aurait suffi à le tuer instantanément.
On lui lançait des trucs du style : « Sale veinard ! »,
etc.)
Mais pas du tout intimidé, il va de l’avant, parce qu’un homme PEUT
faire la différence. Il court vers l’un de ces robots géants jusqu’à être
directement en dessous de lui et soudain…
… il se fait marcher dessus.
La chose amusante fut sa réaction. Il s’écria : « Mais je pensais que
je pouvais lui grimper dessus et le détruire comme Luke l’avait fait dans
Star Wars ! »
Le problème c’était que nous jouions à Rifts,
pas à Star Wars. Du fantastique
post-apocalyptique réaliste où il faut avoir du cran, pas de l’héroïque space opera.
Mais le fantaisiste ne joue qu’à un seul genre. Il croit en la chance et
croit que la sienne est bonne. Si un jet de combat demande 19 ou 20 sur un D20 décisif
pour gagner, avec pour alternative la mort, il tentera le coup, alors que le
reste de nous se serait retiré pour vivre plus longtemps.
En bref, il est le personnage, et le personnage est lui.
Ce qu’il veut
C’est très simple. Il (c’est à dire le joueur) cherche une opportunité de
prouver qu’il a l’âme d’un héros. Il veut une partie héroïque.
Ce qu’il faut faire
Si vous le faites jouer dans un monde réaliste où il faut du cran, il mourra,
semaine après semaine. Donc si vous voulez ce type dans votre partie, faites
alors une campagne héroïque. Ou prévoyez une réserve de fiche de personnage
sous la main.
2.2 Le Destructeur
À la base, le destructeur veut foutre les choses en l’air. C’est peut-être
parce qu’il est immature et qu’il aime sentir qu’il a le pouvoir (même si
cela ne fait qu’agacer les gens). Ou c’est peut-être simplement qu’il
aime foutre les choses en l’air.
Ce qui comprend généralement des tentatives de briser la campagne du MJ, ou,
parfois, d’empêcher quelqu’un d’autre de jouer son personnage.
Un groupe dans lequel j’étais il y a quelques années (dans le club de JdR où
j’ai commencé) débuta une campagne fantasy.
J’essayais de penser à un personnage à incarner qui soit différent de ceux
que j’avais joué auparavant. Le concept qui me vint fut celui d’un violent
et haïssable psychopathe.
C’est ainsi que Dremm est né.
Dremm était méchant et brutal, démarrant au quart de tour et avec un penchant
pour la violence (il avait l’habitude de torturer les écureuils pendant son
temps libre).
Maintenant la plupart des groupes ont une règle qui dit en gros : « Ne
tuez pas les personnages-joueurs ». Je me retrouvais donc avec un dilemme.
Je ne voulais tuer aucun personnage. Mais je jouais le genre de type qui
abattrait ses compagnons sans se demander une seconde s’il en avait envie.
J’ai donc briefé tout le monde sur le personnage que j’avais en tête, et
j’ai dit au cours de ma description quelque chose du genre : « S’il
vous plaît, ne venez pas me chercher, parce que si je veux rester fidèle au
concept de mon personnage, je devrais essayer de tuer le vôtre. » (Et
puisque Dremm était un vrai dur, stupide mais dur, il aurait probablement réussi).
Ils ont donc tous accepté cela, et la plupart le pensait vraiment. Ils
s’imaginaient que le personnage pourrait être drôle, et il était plutôt
facile pour leurs personnages d’acheter par de l’argent la protection de
Dremm (c’est de cela qu’il vivait – lui auriez-vous demandé de quitter le
groupe ?)
Mais il y avait ce type dans le groupe, appelé Dave. Dave était beaucoup plus
jeune que le reste d’entre nous et on pouvait compter sur lui pour faire
n’importe quoi. Ce qu’il fit à cette occasion. C’est venu à peu près
comme ça :
MJ : Ok, alors vous êtes tous à l’auberge du nom de…
Dave : Je dis à Dremm : “T’as l’air d’un vrai con !”
Moi : Je l’attaque avec ma hache. Je vais essayer de le trancher en deux.
[A ce moment je jette quelques dés, réussis, et tue le personnage de Dave sans
coup férir].
Dave (sanglotant un peu): Tu viens de me tuer !
Moi : Et bien je t’avais prévenu !
Tu t’attendais à ce que je fasse quoi ?
Certaines personnes pourront penser que c’était déplacé de jouer un
personnage psychopathe, mais le fait est que tout le monde avait accepté cela,
mais Dave a voulu tout foutre en l’air. Il voulait me forcer à revenir sur le
concept de mon personnage dès l’instant où nous avons commencé à jouer.
Ce qu’il veut
Agacer les autres joueurs et être le centre d’attention. Si jamais la partie
parle d’autre chose que de lui, il fera tout voler en éclats. Il peut aussi
tout bousiller sans raison, juste parce qu’il en est capable.
Ce qu’il faut faire
Il n’y a pas grand-chose que vous pouvez faire. Dites-lui soit de grandir,
soit de dégager.
2.3 Le Plaisantin
Là je pourrais très bien admettre qu’il y a un petit fragment de Plaisantin
en moi, mais j’essayerais malgré tout de ne pas être influencé. Si je suis
d’humeur fofolle, je vais essayer de jouer un personnage foufou qui a sa place
dans l’univers de jeu.
(Le cas de Harlequin et la Maisonvers [1]
vient à l’esprit, ou celui de vendre une assurance aux Hobbits de la Comté
dans une partie du Jeu de Rôle de la Terre du Milieu)
Mais certaines personnes sont tellement attachées à
faire les imbéciles qu’elles le feront même au détriment de la partie.
Un exemple est survenu au cours d’une partie dans laquelle je jouais. En fait,
le type n’était pas un plaisantin en puissance, mais comme moi il en possédait
certaines caractéristiques. C’est un bon copain (mieux vaut dire ça dans le
cas où il lirait ceci) mais je me souviens en une occasion avoir pensé qu’il
avait été trop loin.
C’était il y a quelques années de cela et mes souvenirs sont un peu flous,
mais aussi loin que je me rappelle, ça c’est passé ainsi :
Nous jouions à un jeu dans le genre exploration, où nos personnages
formaient une sorte d’équipe de surveillance envoyée vers quelque monde
hostile. Je ne me souviens pas des détails exacts mais nous marchions d’un
point A vers un point B. C’était assez tendu parce
que nous nous étions échoués au milieu de nulle part, et assez préoccupés
par le fait que l’on pouvait tomber dans une embuscade à tout moment.
Nous étions sur la crête d’une pente boueuse. Le reste d’entre nous
essayait de trouver un chemin sûr pour descendre la pente, peut-être en
utilisant les cordes au cas où quelqu’un glisserait. C’est alors qu’il
annonce qu’il sort son tapis de sol et dévale la pente en glissant vers
l’avant, tête la première.
Personnellement, si j’avais été le
MJ, j’aurais simplement dit: «D’accord. Tu commences à descendre, tu
vas vraiment très vite, tu aperçois un gros pic rocheux émergeant du sol en
face de toi, tu essaies de tourner mais tu ne peux pas ; tu t’écrases
sur le rocher qui te brise les os de l’aine jusqu’au cou.
Ce qu’il veut
Se marrer.
Ce qu’il faut faire
Faites savoir que toute blague doit être appropriée au genre et à l’univers
de jeu.
Conclusion
Trouvez quelles sont les motivations des joueurs et/ou des personnages avant de
commencer à jouer et assurez-vous qu’elles collent à votre scénario.
Parce qu’il est trop tard une fois que vous avez commencé.
Réaction :
Lord Lard of
Lardhampton
Dans le Numéro 6, tu avais un article nommé “Ouais, mais… mon personnage
n’en a rien à cirer!” à propos du problème des PJ n’accrochant pas au
scénario. Il donnait un exemple du problème :
Votre compagne est écrite et prête à partir... tout commence avec un petit
garçon pleurant dans la rue. Quelques mots de réconfort et d’attention de la
part des personnages-joueurs les conduiront vers un mystère… Reconnaissez-le.
Jimbo est là pour rafler la mise. Il ne marchera jamais avec une telle
accroche.
Il propose alors quelques solutions : trouver les motivations nécessaires
pour votre intrigue et dire aux joueur de créer des personnages avec ces
motivations… « Si votre campagne nécessite cinq honnêtes gars qui,
s’ils sont témoins de quelques torts, s’évertueront directement à les réparer,
alors soyez sûr que vos joueurs créent d’honnêtes gars ».
Ce sont de bons conseils avec lesquels je suis tout à fait d’accord, mais ils
ne prennent pas en compte un problème essentiel. Ce problème est que les PJ
n’ont pas d’objectifs avec lesquels commencer. L’univers de la campagne décrit
semble faire des PJ des témoins accidentels qui s’attendent à être impliqués
dans un mystère dès qu’il en voient un. C’est connu sous le nom d' « Approche
Scooby Doo de la motivation des personnages » et c’est essentiellement
du foutage de gueule. Combien de personnes, dans la vraie vie, font ce genre de
choses ? Combien de personnes, croisant quelque chose de mystérieux, se
mettent alors à enquêter dessus comme la bande de Scooby Doo ? Je vais
vous le dire – à peu près aucune.
Les parties comme ça sont idiotes. C’est bien trop récurrent dans la fantasy ;
l’ouverture standard pour la campagne fantasy
bourrine de base est que les PJ sont des « aventuriers errants » –
mais qu’est-ce qu’ils sont supposés être, bordel ? Je suis plutôt dérouté
de la voir appliqué telle quelle à la SF. Cela aurait tellement plus de sens
pour les PJ d’avoir un emploi et d’être payé pour voir de plus près
quelque chose de bizarre qui se trame. Ils pourraient être des policiers ou des
détectives privés ou tout ce genre de choses. Mais en faire seulement des êtres
à la dérive, sans occupations, et s’attendre à ce qu’ils bondissent héroïquement
pour redresser les torts qu’ils viennent à croiser, est entièrement
ridicule.
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